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«Les ennemis d’hier sont devenus de vrais partenaires, intimement solidaires du projet de construction européenne»

Par son parcours professionnel à Madrid, Genève, Bruxelles, Luxembourg, Eneko Landaburu est le symbole même du citoyen européen. De nationalité espagnole, il se lance en politique et devient en 1980 député du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) au Parlement du Pays basque espagnol (Eusko Legebiltzarra). Parallèlement, il poursuit des activités de recherche qui l’amènent en 1983 à diriger, pour trois ans, l’Institut de recherche sur les multinationales de Genève. Depuis 1996, il est membre du Conseil scientifique de l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles. Il se tourne ensuite vers l’Europe communautaire et entre à la Commission européenne où, en juillet 1986 il est nommé directeur général de la Politique régionale et de cohésion de la Communauté. Il occupera ce poste pendant 13 ans, jusqu’en décembre 1999. Dans le même temps, Eneko Landaburu participe au conseil d’administration de la Banque européenne d’investissement (BEI) en tant

«Les ennemis d’hier sont devenus de vrais partenaires,  intimement solidaires du projet de construction européenne»
Eneko Landaburu.

Eneko Landaburu est membre (juillet 2006) du conseil d’administration du think tank «Notre Europe» fondé par Jacques Delors en 1996. Jusqu’au 15 septembre 2009, il a été directeur général de la DG Relations extérieures de l’Union européenne. Il est depuis le 16 septembre 2009 le chef de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc. Depuis le 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la Délégation est devenue, «Délégation de l’Union européenne auprès du Royaume du Maroc».


Le Matin : Comment avez-vous réagi, en tant que citoyen européen à la nouvelle de l’attribution du Prix Nobel à l’Union européenne ?
Eneko Landaburu : Ma première réaction a été de ressentir une grande joie et de la reconnaissance pour nos pères fondateurs qui lancèrent ce projet visionnaire de réconciliation et d’espoir. En tant qu’ambassadeur de l’Union européenne au Maroc, c’est la conviction que l’Institution pour laquelle je travaille depuis longtemps est un instrument crédible et déterminant pour approfondir les liens entre l’UE et le Maroc.

L’Union européenne est avant tout un projet politique qui a permis de relire le passé et de construire une ère apaisée après deux Guerres mondiales dévastatrices ?
En effet, cela fait soixante ans qu’au sein des frontières de l’Union, il n’y a plus eu de conflits entre ses États membres et qu’une réconciliation durable et fructueuse a été possible. Les ennemis d’hier sont devenus de vrais partenaires, intimement solidaires du projet de construction européenne. Les élargissements successifs ont permis d’étendre la stabilité, la prospérité et la paix sur notre continent, autour de valeurs comme la liberté, la paix, la dignité, la démocratie, la justice, l’état de droit et le respect des droits de l’homme. Malgré les difficultés économiques présentes, ce bilan ne peut être contesté.

Certains observateurs ont ressenti ce prix comme un appel a plus de responsabilités pour assurer les droits sociaux des peuples de l’Europe dans un contexte de crise aigüe ?
La crise économique et financière qui sévit depuis 2008 a frappé l’ensemble des pays européens, entraînant d’importantes répercussions sociales   : fermetures et délocalisations d’entreprise, chômage, augmentation de la pauvreté, etc. La crise financière a débouché sur une crise de l’euro, une crise des dettes publiques, une crise de l’emploi dont il est impossible aujourd’hui de prédire la fin et les conséquences. Dans ce contexte, il est certain que les tensions sociales se sont avivées et que les États membres doivent trouver ensemble des solutions pour surmonter ces obstacles économiques, afin de préserver au mieux les acquis sociaux et les droits des travailleurs. Les leaders européens ont défini une approche commune pour restaurer la confiance dans l’activité financière et préserver la croissance économique. Les Institutions européennes coordonnent les réponses nationales et font des recommandations pour améliorer le système financier. Ceci bien entendu ne devant en rien occulter la problématique de la préservation des droits sociaux qui risquent d’être affaiblis par des politiques d’austérité. Ce dont il s’agit, c’est de préserver un modèle de société où la justice sociale est essentielle. Voilà l’enjeu.

D’autres l’ont ressenti comme un appel à œuvrer à contrer la montée des populismes et de l’extrême droite qui mettent à l’index les Roms, les musulmans et demain toutes les autres minorités ?
En effet, je pense que l’Union européenne doit également faire honneur à ce prix, en œuvrant encore plus et encore mieux pour préserver les droits des citoyens, de tous les citoyens, vivant sur son sol. Les périodes de crise engendrent souvent une stigmatisation des «autres», devenant les boucs émissaires de toutes les frustrations inhérentes aux problèmes sociaux et économiques qui en découlent. L’Union européenne se doit d’être encore plus vigilante en ces temps incertains. Je vous rappelle que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reprend en un texte unique l’ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux des citoyens européens ainsi que de toutes personnes vivant sur le territoire de l’Union. Chaque État membre et l’ensemble de l’Union européenne doivent veiller à l’application stricte de son contenu. Nous devons nous mobiliser plus encore contre toute forme de racisme et de manifestation de xénophobie.

Ce prix vient saluer la détermination des pères fondateurs de l’Europe qui se sont attelés à une œuvre historique, et nous appelons de tous nos vœux dans notre région, celle du Maghreb, une œuvre semblable. En tant qu’observateur politique, quel est votre ressenti sur ce déficit d’union régionale dans un contexte de déstabilisation du Sahel ?
Le coût du non-Maghreb est très important aussi bien en termes économiques que politiques. Il est certain qu’à l’heure où les blocs régionaux sont de plus en plus présents sur la scène internationale, la concrétisation de l’intégration maghrébine serait de nature à susciter des effets sur le commerce régional et les investissements directs étrangers destinés au pays de l’UMA. Avoir une véritable Union du Maghreb arabe augmenterait, certes, la prospérité dans la région, mais permettrait également la mise en place d’un bloc régional stable à même de prendre des mesures solidaires face un Sahel fragile et en proie à toutes les dérives terroristes. L’Union européenne continuera à encourager et soutenir les pays du Maghreb afin qu’ils arrivent à dépasser les différends qui les opposent, et à concrétiser ce projet nécessaire et indispensable au bénéfice de toute la région. Le Prix Nobel de la Paix à l’UE est aussi la reconnaissance de l’émergence, sur le plan international, de la dimension régionale. Tout comme l’UE, l’Union du Maghreb constituera un facteur de paix et de sécurité dans cet espace du monde arabe si agité.

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