L'ex-ministre malien des Finances Soumaïla Cissé, 63 ans, a créé la surprise en reconnaissant lundi soir la victoire à la présidentielle de dimanche de son rival Keïta avant même la publication des résultats provisoires et officiels attendus d'ici vendredi.
Il est allé dans la discrétion, avec sa femme et ses enfants, au domicile de Keïta à Bamako pour «le féliciter et lui souhaiter bonne chance pour le Mali,» a-t-il expliqué à l'AFP juste après la rencontre.
Il a ensuite précisé à d'autres médias qu'il avait souhaité faire le déplacement chez son rival parce que c'est plus «dans la tradition malienne» qu'un simple appel téléphonique, comme cela se fait le plus souvent dans d'autres pays.
«L'heure n'est plus à la polémique», a-t-il affirmé, alors que son entourage avait dénoncé auparavant dans la journée «des fraudes massives» et une attitude «partisane» du régime de transition en place à Bamako depuis le coup d'Etat du 22 mars 2012 qui avait renversé le président élu Amadou Toumani Touré.
La décision de reconnaître la défaite a été prise dès lundi matin, a confié à l'AFP un conseiller de Soumaïla Cissé, tant était grand l'écart de voix avec IBK à l'issue du second tour, selon des estimations et résultats partiels portant sur deux tiers des bulletins dépouillés.
Le camp d'Ibrahim Boubacar Keïta n'avait pas encore réagi mardi matin au geste de Cissé.
Cette élection, dont la réussite a été saluée par les observateurs de l'Union européenne, représente aussi un succès pour la France, qui avait exercé une forte pression sur le régime de transition à Bamako pour qu'elles aient lieu, en dépit des craintes.
Mesures de confiance
Après son investiture officielle prévue en septembre, Ibrahim Boubacar Keïta, dont le parti, le Rassemblement du peuple du Mali (RPM), est membre de l'Internationale socialiste, va devoir très rapidement prendre des mesures concrètes pour redonner de la confiance à des Maliens traumatisés et divisés par la profonde crise politique et militaire qu'ils viennent de traverser.
Cette crise avait débuté en janvier 2012 par une offensive de rebelles touareg dans le nord du Mali, supplantés rapidement par des groupes criminels et islamistes armés liés à Al-Qaïda pour le contrôle de cette région, à la suite du coup d'Etat militaire du 22 mars 2012.
Les groupes jihadistes ont laminé la rébellion touareg et l'armée malienne, commis d'innombrables exactions, avant d'être en grande partie chassés par une intervention militaire franco-africaine toujours en cours.
Le conflit a plongé en 18 mois le Mali dans la récession, accentué la pauvreté, ravivé les tensions entre communautés touareg, arabes et noires, et provoqué un exode massif de population, environ 500.000 déplacés internes et réfugiés.
Ibrahim Boubacar Keïta souhaite mettre en place un gouvernement de large union pour faire face à ces immenses défis. A plusieurs reprises, il a indiqué que sa première tâche serait «la réconciliation', en particulier avec la minorité touareg qui se sent marginalisée.
Un accord intérimaire signé le 18 juin à Ouagadougou entre des représentants du régime malien de transition et les groupes armés rebelles touareg prévoit l'ouverture de «pourparlers de paix» dans les 60 jours suivant la mise en place du nouveau gouvernement.
Vivant essentiellement dans le nord du Mali qu'elle appelle l'Azawad, la communauté touareg -quelques centaines de milliers de personnes sur une population totale de 14 millions d'habitants- s'estime mise volontairement à l'écart du développement du reste du pays. Le Mali a d'ailleurs déjà vécu plusieurs rébellions touareg depuis son indépendance en 1960.
Une frange de cette communauté rêve d'indépendance ou au moins d'autonomie, ce que refuse catégoriquement IBK car elle aboutirait à la partition du pays. Pour mieux prendre en compte l'identité propre aux Touareg et leur développement, il mise sur une politique de décentralisation plus poussée.
Le nouveau président pourra compter sur l'appui de la communauté internationale qui a promis une aide massive de 3,2 milliards d'euros au Mali.
Pour Corinne Dufka, de l'organisation Human Rights Watch, la présidentielle malienne «a tenu ses promesses pour le peuple malien» qui souffert de la crise, mais «il reste malgré tout beaucoup à faire».
Elle exhorte les nouvelles autorités maliennes à ne plus tolérer d'abus des forces de défense, ne plus tolérer la corruption et à «renforcer les institutions qui garantissent l'Etat de droit».