Malgré une médiation annoncée par le
gouvernement en grandes pompes, entre le
ministère de l’Enseignement supérieur et les
étudiants en médecine, les négociations ont échoué de manière incompréhensible et décevante. Pourtant, tous les ingrédients d’une entente en demi-teinte étaient réunis. D’un côté, les étudiants et leurs parents sont épuisés par le plus long
boycott universitaire au
Maroc, désormais dans le top dix mondial. De l’autre, le gouvernement s'efforce de réussir une transition critique pour le nouveau Maroc. Mais les négociations se sont soldées par un cuisant échec provoquant douloureusement la poursuite de la
grève.
Comment a-t-on pu rater un consensus désiré par toutes les parties et qui aurait pu éviter une année noire ? Probablement, les quatre éléments fondamentaux de la négociation ont fait défaut : l’empathie, l’écoute active, la communication claire et l’approche consensuelle. En effet, l’accord était presque acquis puisque les
pharmaciens avaient accepté de reprendre les études et les
médecins étaient à 47% favorables à une reprise. Cependant, des décisions imprudentes ou mal interprétées ont enterré cette lueur d’espoir. L’euphorie d’une sortie de crise s’est vite transformée en désillusion.
Ironiquement, les points de discorde ne concernaient même pas les aspects non négociables. D’abord, le zéro collectif de l’examen boycotté durant le premier semestre n’a pas été annulé. L’annonce officielle de l’annulation des zéros concernait les
stages et non l’examen du premier semestre, ce qui a exaspéré davantage les étudiants qui l’ont interprété comme une tentative de désinformation.
Par ailleurs, les
dates des examens auraient été fixées de manière non concertée, avec un échéancier impossible à tenir. Chaque année de
médecine comprend deux semestres et un programme chargé, nécessitant un apprentissage par cœur en plus de l'acquisition de nouvelles compétences. En fixant la date de l'examen avec un délai de quelques jours, il était impossible pour les étudiants de bien réviser le riche contenu du deuxième semestre. De plus, le fait de programmer l’
examen de rattrapage pour ce même semestre deux mois plus tard, à la fin du mois d’août, était aussi incompréhensible qu’inacceptable par les étudiants. Mais cela ne suffisait pas : le rattrapage du premier semestre a été fixé juste après, soit en début septembre. Vu sous l’angle des étudiants, ce calendrier des examens dénote une méconnaissance des spécificités et contraintes des études en médecine et saborde, même de manière involontaire, les négociations.
Un autre point facile à concéder concerne la suppression des sanctions contre les représentants des étudiants, afin de favoriser un climat de dialogue et de respect mutuel. En réalité et toujours selon les étudiants, lesdites sanctions sont intervenues dans le cadre d’une grève pacifique et relèvent plus selon eux de l’intimidation que du disciplinaire. Ils clament qu’ils mènent une grève civique, sans vandalisme et sans blocage de l’accès aux salles d’examen. Pour preuve, disent-ils, les étudiants étrangers ont passé leurs examens sans entrave.
Dans le droit marocain, l’article 230 du Dahir des obligations et des contrats (DOC) stipule que «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites». Ainsi, formaliser les termes d’un accord était la seule manière de sceller le résultat des négociations. Les étudiants en pharmacie, dont les revendications étaient simples, étaient prêts à signer et mettre fin au boycott. Mais il semblerait que les représentants du ministère concerné aient déclaré que leur parole suffisait. Cette situation a généré des doutes quant aux intentions de respecter les points convenus, conduisant à un rétropédalage et à la poursuite du boycott. Ces différents sujets sont si basiques qu'il est incroyable de les voir hypothéquer toute entente. Cette situation exacerbe aussi les parents qui sont désorientés et s’interrogent sur l’intérêt d’une telle démarche.
Pour revenir au point central de cette crise, il est crucial de rappeler que la santé fait partie des principaux axes de la
Vision Royale pour un
Maroc social. Ainsi, d’importantes réformes ont déjà été menées avec succès, telles que la libéralisation de l’investissement dans les cliniques, l’autorisation de plusieurs
Facultés privées de médecine et le lancement de formations techniques connexes.
La
réforme de la formation en médecine est certes une bonne initiative, mais sa mise en œuvre pose des problèmes à différents niveaux. Le benchmark de la durée de formation du
docteur en médecine générale ressort de prime abord des cycles entre 5 et 9 ans. À ce titre, les États-Unis, le Canada et la France sont plutôt à 8 ans et plus, tandis que la Chine, le Japon, l’Allemagne et l’Angleterre sont à moins de 7 ans. Il est important de préciser que pour les formations de moins de 7 ans, une phase d’internat est généralement obligatoire avant de pourvoir pratiquer la médecine de manière autonome. Par exemple, la formation de cinq à six ans au Royaume-Uni exige deux ans d'internat appelés « Foundation training», portant ainsi la durée totale entre sept et huit ans. Des systèmes similaires sont pratiqués au Japon et en Chine. En réalité, la majorité écrasante du benchmark révèle des durées entre 7 et 9 ans avant de pouvoir pratiquer avec un doctorat en médecine. Même au Maroc, la durée est souvent portée à 8 ans, vu l’énorme charge de travail entre les quatre examens cliniques, les formations complémentaires et la thèse de doctorat. Le Royaume-Uni étudie une option d’accélération de la formation à travers l’intégration de la formation clinique dès la première année, mais sous la supervision d’un médecin-formateur.
D’après les étudiants, la
réforme de la formation en médecine au Maroc a été hâtive et n’a pas pris le temps de bien analyser tout l’écosystème afin de faire une vraie refonte, tenant compte de nos spécificités et contraintes, notamment le manque d’infrastructures pour les stages et la pénurie de médecins pour la supervision pratique dans les
CHU. Accueillir des promotions de 700 étudiants dans des amphithéâtres conçus pour 500 est à la limite de l'acceptable. Heureusement, les cours sont disponibles en ligne, permettant ainsi aux grévistes de les suivre à distance. Cependant, démarrer les stages en troisième année sans infrastructures cliniques adaptées pose un vrai problème de qualité de la formation, même pour un cycle normal de 7 ans. De même, condenser un programme pédagogique déjà surchargé sur des périodes plus courtes représente un risque d’échec de l’initiative et d’exposition de nos
futurs médecins au surmenage ou à faire l’impasse sur des cours.
Ces mêmes médecins qui connaîtront un Maroc moderne ouvert à l’international, avec une économie plus développée et des citoyens plus exigeants, seront plus confrontés à la responsabilité de l’acte médical. Il est donc important de sauvegarder la qualité de la formation, de bien évaluer et concerter toute réforme, et enfin veiller à ce que les conditions préalables soient réunies avant de passer au déploiement.
Il est aussi possible que l’objectif ne soit pas de réduire la durée de la formation, mais plutôt de remplacer la
médecine générale par une nouvelle spécialité de médecine de famille, auquel cas, nous devons parler d’allongement des études et non de réduction. Mais là, c’est un autre sujet qui nécessite plus de concertation de la part des parties prenantes.
Il est vrai que nous vivons dans un monde VUCA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu) qui nécessite une grande agilité. Cependant, les actions hâtives et non concertées peuvent mener à des résultats contraires aux objectifs. Toute décision du Maroc moderne étant basée sur sa valeur ajoutée, il est légitime de se demander quelle serait celle d’un tel bras de fer qui s’éternise. L’objectif de former plus de médecins est déjà atteint à travers l’augmentation du nombre d’étudiants et l’ouverture de nouvelles Facultés publiques et privées. Celui de retenir les médecins au Maroc à travers une formation non reconnue à l’étranger ne sera certainement pas atteint de cette manière et il y aura en plus des répercussions sur la renommée de nos praticiens auprès des citoyens et des nombreux touristes que compte désormais le Maroc.
Il est nécessaire et urgent d’assurer un écosystème favorable qui puisse contribuer à retenir nos médecins. Ainsi, un médecin interne ou résident mérite d’avoir un vrai salaire, que ce soit dans le public ou le privé, ce qui nous éviterait de le voir partir faire sa spécialité sous d’autres cieux afin de ne plus dépendre de ses parents, s’ils en ont les moyens.
Aujourd'hui, l’année blanche semble, plus que jamais, se dessiner et les positions se sont durcies au point où il n’y a plus de dialogue. La médiation du Chef du gouvernement, qui donnait l’impression d’être à la fois juge et partie, n’a pas permis de rétablir la confiance. Il serait peut-être judicieux de recourir à un tiers de confiance crédible pour parvenir à un compromis qui puisse sauver l’année et envisager la future rentrée avec sérénité. Ceci est d’autant plus urgent qu’être sur le podium du boycott universitaire le plus long au monde ne fait certainement pas partie des ambitieux objectifs de notre pays.