Comprendre le Maroc : une clé incontournable pour une stratégie efficace en affaires publiques

Par Anass Benaddi, expert en communication stratégique, chroniqueur, essayiste

Pour les néophytes, il serait utile de rappeler ce qui suit : le Maroc est une monarchie constitutionnelle où l’institution monarchique joue un rôle central dans la vie politique d’un pays qui se modernise à une vitesse vertigineuse, sans jamais mettre en équation son authenticité incarnée à travers des traditions séculaires. L’institution monarchique, véritable symbole de ce Maroc en mouvement, conserve une place prédominante dans la prise de décision stratégique. Cela étant dit, une compréhension fine de ces orientations stratégiques est la première chose à intégrer dans une démarche en affaires publiques pour ceux qui la veulent sérieuse et efficiente.

Les initiatives Royales, souvent traduites en grands chantiers de développement, comme les projets d’infrastructures massifs ou les investissements dans les énergies renouvelables, doivent être intégrées dans toute stratégie d’affaires publiques. Ne pas tenir compte de cette réalité, c’est se priver d’un levier majeur. Pour autant, la recherche de la proximité avec le centre de la décision ne doit pas être perçue comme un accès automatique ou une garantie de succès. Les entreprises doivent naviguer prudemment dans cet écosystème, en respectant l’indépendance des institutions tout en prenant en compte les intérêts nationaux définis au plus haut niveau. En définitive, il est moins question ici de se rapprocher du soleil pour obtenir des passe-droits que de faire un effort intellectuel soutenu – il faut le reconnaître – pour comprendre et apprendre à agir de façon proactive.

Le Maroc, avec une aisance qui lui est quasi exclusive, est un pays qui jongle entre modernité et tradition. Si dans les grandes métropoles comme Casablanca, Rabat ou Marrakech, on observe une société de plus en plus tournée vers le numérique, les technologies de l’information et une jeunesse assoiffée de modernité, les régions rurales demeurent profondément attachées à des valeurs traditionnelles. Ce contraste, bien que souvent perçu comme une dichotomie, est en réalité un point d’ancrage pour le Maroc qui a su faire de ce clivage «tradition contre modernité» un véritable atout, un élément central de son identité, au point d’en faire la pierre angulaire de son nouveau modèle de développement.

Tradition vs modernité, un véritable atout

Dans ce contexte, une stratégie d’affaires publiques efficace doit refléter cette double identité, de même que les entreprises doivent faire preuve d’une grande adaptabilité et d’une sensibilité aux spécificités culturelles d’un des plus vieux États-nations du monde. Une campagne de communication en milieu urbain ne peut être simplement transposée en zone rurale. De même, les alliances avec les élites locales, les autorités traditionnelles et les réseaux d’influence régionaux sont souvent plus efficaces que des approches purement technocratiques. Ignorer ces dynamiques sociales, c’est prendre le risque de mal comprendre les leviers de pouvoir et de décision.

Au-delà des institutions politiques, il est crucial de prendre en compte la société civile marocaine, une variable qui s’impose d’elle-même depuis quelques années. Nul besoin de rappeler que le Maroc a connu, à l’instar de tous ces pays du sud de la Méditerranée, des mouvements sociaux significatifs, notamment lors du Printemps arabe en 2011, qui, bien qu’il ait pris une forme plus modérée qu’ailleurs – car géré avec hauteur et proactivité –, a marqué un tournant dans l’expression des aspirations populaires. Aujourd’hui, la montée en puissance des associations, des ONG et des mouvements sociaux, souvent portés par une jeunesse connectée et informée, doit être intégrée dans toute analyse stratégique.

Les affaires publiques ne peuvent plus se limiter aux relations institutionnelles avec les ministères ou les agences gouvernementales. Il faut désormais composer avec une société civile exigeante, capable de mobiliser l’opinion publique et de peser sur les décisions politiques. Pour les entreprises, cela signifie qu’il est indispensable d’adopter une approche inclusive, qui intègre les préoccupations sociales, environnementales et éthiques. L’époque où l’économie pouvait se dissocier du débat public est révolue. Aujourd’hui, toute stratégie d’entreprise doit nécessairement tenir compte des enjeux de responsabilité sociale.

Les lourdeurs administratives à prendre en compte

Il serait néanmoins naïf de ne pas évoquer certaines des difficultés qui subsistent en matière d’affaires publiques au Maroc. Comme dans de nombreux pays émergeants, la bureaucratie peut parfois s’avérer un obstacle majeur. Les processus décisionnels sont souvent longs, et les différentes strates administratives peuvent retarder la mise en œuvre de projets. De plus, bien que le Maroc ait fait des progrès notables en matière de transparence et de lutte contre la corruption, ces problématiques peuvent encore poser des défis pour les entreprises étrangères. Toutefois, ces difficultés ne sont pas insurmontables. Avec une connaissance approfondie des circuits administratifs et une collaboration étroite avec des partenaires locaux, les entreprises peuvent minimiser les frictions et accélérer leurs projets. La clé réside dans une approche proactive et patiente, accompagnée d’une communication régulière avec les décideurs. La compréhension des rouages administratifs permet souvent de contourner les blocages, tout en respectant scrupuleusement les cadres réglementaires en vigueur.

Enfin, il est crucial de replacer le Maroc dans son contexte géopolitique. En tant que porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne et partenaire privilégié de l’Union européenne, le Royaume joue un rôle de plus en plus important dans les dynamiques régionales. Sa politique étrangère, marquée par un retour en force au sein de l’Union africaine et un réseau d’accords commerciaux stratégiques, en fait une plateforme incontournable pour les entreprises qui aspirent à se développer – où à se maintenir – sur le continent. Pour la qualifier de consistante, une stratégie d’affaires publiques doit donc prendre en compte cette dimension régionale. S’associer à des projets qui soutiennent l’intégration africaine du Maroc ou qui contribuent à ses ambitions de leadership continental peut offrir des opportunités précieuses. Par ailleurs, en matière de réglementation, le Maroc tend à harmoniser ses pratiques avec les standards internationaux, notamment européens. Pour les entreprises internationales, cela représente une opportunité de bénéficier d’un cadre juridique de plus en plus transparent et favorable aux investissements étrangers. En définitive, mener une stratégie d’affaires publiques au Maroc requiert une compréhension fine des spécificités sociopolitiques du pays. Entre les particularités du jeu politique, les dynamiques sociales et culturelles, les défis administratifs et les opportunités régionales, le paysage est riche et complexe. Pour les entreprises, qu’elles soient nationales ou internationales, le succès ne dépend pas uniquement de la capacité à nouer des relations avec les décideurs. Il repose sur une approche holistique, qui intègre les réalités locales tout en anticipant les évolutions futures. Le Maroc, fort de ses atouts, est un terrain fertile pour ceux qui savent conjuguer connaissance et respect des spécificités, patience et vision stratégique...