Faire tourner une entreprise sans intégrer les enjeux
sociaux,
environnementaux et
éthiques ? En 2025, cela ne relève plus de l’imprudence, c’est devenu un facteur d’exclusion.
Blocage de financements,
perte de marchés, désaffection des jeunes talents : la
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est devenue l’armature invisible des sociétés qui veulent durer.
C’est le message sans détour lancé à Tanger lors de la 3ᵉ édition du Congrès
RSE Now, organisé par le
Club des Dirigeants (CDD), sous l’égide des
ministères de la Transition énergétique et de
l’Équipement et de l’Eau. Devant un parterre d’acteurs économiques, institutionnels et experts, le constat est tombé net : "la RSE n’est plus un supplément d’âme, mais le socle dur de la compétitivité".
Pour
Radia Cheikh Lahlou, conseillère en RSE, le tournant est sans appel : « l’entreprise n’est plus seulement un générateur de profit... Elle est aujourd’hui un acteur engagé vis-à-vis de ses salariés, de ses partenaires et de son environnement. » Un basculement s’opère : du
capitalisme des actionnaires vers celui des
parties prenantes. Et les entreprises qui traînent des pieds en paient déjà le prix : « Certaines multinationales ont rompu avec des fournisseurs marocains non conformes aux standards RSE », alerte-t-elle.
À l’heure où le changement climatique redessine les contours des équilibres planétaires, le Maroc s’érige en acteur de la transition énergétique, combinant rigueur politique et excellence technologique. Dans ce contexte, le Moroccan Institute for Policy Analysis (MIPA) lève le voile sur une analyse critique du secteur énergétique marocain, tissée au fil des échanges entre experts, décideurs publics et acteurs de la société civile. Inscrit dans le cadre du projet régional «Pont Vert pour une Transition écologique juste» (2023-2025), ce rapport, dévoilé le 20 juin, porte un focus sur les défis majeurs et les horizons prometteurs qui jalonnent la route de la transition énergétique et de la résilience climatique du Royaume, au moment où se joue l’équilibre fragile entre impératifs environnementaux et aspirations de développement. Car les avancées du Royaume en la matière ne vont pas sans obstacles : les défis techniques, financiers et réglementaires ainsi que les impératifs sociaux imposent un travail de coordination et d’adaptation permanente des cadres normatifs et opérationnels.
Sur le plan réglementaire, la circulaire 03/19
de
l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux oblige, depuis 2019, les
sociétés cotées à publier des
indicateurs ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Côté financements,
les
bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, la BERD ou la BAD exigent
des plans d’action environnementaux et sociaux (ESAP).
Tariq Essaid, conseiller stratégique du CDD, résume : « ignorer la RSE, c’est risquer le refus des banques, l’abandon des investisseurs, et bientôt, des sanctions. »
Un changement qui peine encore à s’imposer. Jusqu’en 2024, seules
124 entreprises marocaines ont obtenu le
label RSE délivré par la
CGEM depuis sa création en 2007, alors que le pays comptait
95 235 entreprises recensées cette même année. Parmi les structures labellisées, 37 % sont des PME, 36 % relèvent du secteur industriel, 64 % du tertiaire, et seulement 23 sont cotées en Bourse.
Pourquoi une entreprise doit-elle miser sur la RSE ?
Lors du Congrès, Radia Cheikh Lahlou, a affirmé que la
RSE n’est plus une option, mais un levier concret de performance. Pour étayer ses propos, elle a mis en évidence quatre dimensions essentielles sur lesquelles elle exerce un impact direct :
Les
jeunes générations ne recherchent plus seulement un salaire. Elles aspirent à s’investir dans des entreprises qui portent
des valeurs et donnent du sens à l’engagement professionnel. « Ils choisissent leur employeur comme on choisit une cause », souligne l’experte.
- Convaincre les investisseurs
« Fini les business plans à l’ancienne. » Aujourd’hui, les investisseurs , locaux comme internationaux , attendent des preuves concrètes d’
engagement extra-financier. L’approche ESG (Environnement, Social, Gouvernance) s’impose comme une grille de lecture prioritaire. Sans reporting structuré, sans indicateurs clairs ni audits, nombreux sont les fonds qui ferment la porte. Aïcha Cheikh Lahlou l’a rappelé :
la confiance se construit désormais aussi sur
la durabilité.
Entre aléas climatiques, contraintes réglementaires, tensions sociales ou crises réputationnelles, les entreprises évoluent dans un
environnement incertain. Pour Lahlou, une démarche RSE cohérente permet d’anticiper ces turbulences. Transparence, bien-être des collaborateurs, éthique, respect de l’environnement : ces piliers constituent un véritable bouclier, bien plus qu’un simple label, évoque-t-elle
Sur les marchés internationaux, notamment européens
, les exigences se renforcent. Clauses sociales, critères environnementaux, certifications : ces éléments deviennent déterminants dans l’accès aux appels d’offres. « Sans cela, l’accès peut être barré », prévient l’experte.
Décarbonation : la bataille des kilowattheures
Autre front abordé à Tanger : la
décarbonation. Un mot devenu synonyme de survie pour
les
industriels marocains.
Hicham Bouzekri, expert senior en transition énergétique, est formel :« Ce n’est plus à l’État seul d’agir. Ce sont les entreprises qui doivent prendre le relais »
Dès 2027, l
’Union européenne (UE) mettra en œuvre le
CBAM, une taxe carbone sur les importations à forte intensité CO₂ (acier, électricité, engrais...). À terme, le textile, l’électronique et l’agroalimentaire pourraient suivre. Un tournant qui inquiète, d’autant que plus des deux tiers des
exportations marocaines sont destinées à l’
Europe.
Pour
Hicham Bouzekri, le principal point faible reste le mix électrique du Royaume. Plus de
60 % de l’électricité consommée provient encore du
charbon, avec une intensité carbone qui dépasse les
600 g de
CO₂ par kilowattheure. Traduction : un surcoût à l’export, potentiellement mortel pour certaines marges.
Mais des solutions émergent. Parmi elles :
l’autoproduction solaire. Dans les zones industrielles de
Tanger ou
Casablanca, produire sa propre électricité grâce au solaire coûte moins de 0,35 dirham par kWh, un tarif largement inférieur à celui du réseau. Depuis peu, les entreprises sont même autorisées à revendre jusqu’à
20 % de leur surplus. Un combo gagnant : compétitivité renforcée et progression vers la neutralité carbone, conclut l’expert.
Une charte nationale en ligne de mire
Clôturant le congrès Tangérois, le Club des Dirigeants a annoncé une nouvelle ambition : lancer
une charte nationale de la RSE. Présent dans les 12 régions du Royaume et fort d’un réseau de 8 000 membres répartis dans 32 pays, le CDD entend fédérer les forces économiques autour d’un engagement commun en matière de durabilité. « Nous n’avons pas encore de charte signée avec les industriels, mais cela viendra », a résumé
Kaoutar Bennis, présidente du CDD Nord.