Salle comble pour la 25e édition du HR Summit de l’Association des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF) nationale. L’événement, tenu autour du thème «Libérons les énergies, mobilisons les intelligences !» a réuni une panoplie d’experts et de leaders du Maroc et de l’international venus débattre et échanger sur des sujets d’actualité liés non seulement à la fonction RH, mais aussi et surtout aux transformations organisationnelles pour un développement socio-économique durable et inclusif.
Le marché de l’emploi se formalise de plus en plus
Tantôt optimiste, tantôt réaliste, le ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, Younes Sekkouri, est revenu sur les principaux indicateurs caractérisant le contexte socio-économique dans lequel opèrent les entreprises aujourd’hui. Et d’expliquer dans ce sens qu’il existe trois tendances qui alimentent la courbe du chômage et de l’emploi :
• Le Maroc a perdu 231.000 emplois non rémunérés essentiellement dans les milieux ruraux, en partie à cause de la sécheresse. Le secteur du bâtiment n’est plus en mesure d’absorber un grand nombre de chômeurs comme avant, ce qui devrait interpeller toutes les parties prenantes, y compris les professionnels RH.
• Le Maroc a perdu 680.000 postes dans l’auto-emploi. Ce ne sont pas forcément des auto-entrepreneurs, mais plutôt des gens qui déclaraient avoir des revenus en auto-emploi. Il ne s’agit donc pas de destructions d’emploi au sens salarial du terme.
• 600.000 personnes sont aujourd’hui déclarées en tant que salariés en entreprise, contre 130.000 l’année dernière. C’est du jamais vu dans l’histoire du Maroc. Ceci pourrait s’expliquer par la double hausse du SMIG et l’effort qui a été fait avec la CGEM, mais aussi et surtout l’implication des chefs d’entreprises qui ont décidé de formaliser les emplois.
Mais le ministre reste positif et appelle à accélérer la cadence pour mieux accompagner les efforts positifs et faire en sorte que cela s’inscrive dans la durée. Le ministre lance également un appel aux professionnels RH pour accompagner ces changements tout en capitalisant sur les différents dispositifs et programmes lancés comme «Tahfiz», «Taehil» et aussi «Awrash». Il indique avoir donné ses instructions pour faciliter davantage l’accès à ces programmes tout en renforçant le mécanisme d’octroi des chèques directement aux entreprises, au lieu de leur imposer de rentrer dans des logiques administratives parfois lourdes.
Formation continue : il est temps de réveiller la «belle endormie»
Le ministre souligne également l’urgence de la réforme de la formation continue. «Une réforme que le Maroc n’a pas pu faire pendant trois décennies», reconnaît M. Sekkouri, tout en précisant que «théoriquement, ce sujet devrait donner aux entreprises la main pour pouvoir mener leurs transformations humaines avec une intervention de l’État. «Aujourd’hui, seules 0,46% des entreprises pouvant bénéficier de la formation continue en profitent», regrette-t-il, tout en reconnaissant que la lourdeur administrative pour obtenir le remboursement constitue le principal frein pour les entreprises. «Nous avons pris la décision avec la CGEM pour prendre en main ce chantier à compter de ce mois de novembre, parce que les conditions politiques ou celles de la conscience collective sont aujourd’hui réunies, permettant d’instaurer une réforme de fond», déclare-t-il face aux experts RH du Maroc.
Sur la même longueur d’ondes, le président de la CGEM, Chakib Alj, est convaincu qu’il est temps de miser sur le capital humain qui constitue un pilier permettant à l’entreprise d’assurer sa compétitivité dans un environnement en constante évolution. Pour lui, les professionnels RH jouent un rôle central permettant aux collaborateurs de comprendre, d’accepter et surtout d’adhérer aux changements. Il faut surtout être à l’écoute des collaborateurs en vue de comprendre leurs besoins et tenter d’y répondre, insiste le responsable. «Face à la guerre des talents, il faut aussi mettre à la disposition des jeunes un environnement leur permettant d’évoluer via un système d’émancipation et de gestion des compétences, car celui existant répond très peu aux attentes des employés», souligne-t-il.
La jeunesse, le maillon fort de l’Afrique
La fidélisation du capital humain implique forcément la gestion de la cohabitation entre les séniors de l’entreprise et les jeunes talentueux. Ce volet a été mis en avant lors du panel baptisé «les intelligences au service du développement socio-économique durable et inclusif». Sur ce volet, Meryem Chami, DG d’Axa Afrique, estime que la jeunesse constitue le point fort dont disposent tous les pays de l’Afrique et qu’on gagnerait énormément à développer une solution favorisant l’employabilité des jeunes. Pour elle, il est important de miser sur les compétences de nos jeunes tout en favorisant la transmission des valeurs telles que le respect de l’autre.
Avec un discours plutôt réaliste, Mohammed Haitami, PDG du Groupe Le Matin, estime de son côté que si on veut parler d’intelligence collective, «il faut que le contexte s’y prête. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui en Afrique, compte tenu de plusieurs facteurs», note-t-il. Pour élucider ses propos, M. Haitami revient sur deux constats éloquents de la Banque mondiale : le premier indique que 600 millions de personnes en Afrique n’ont pas accès à l’électricité. Le deuxième est que 40% de la totalité de la récolte agricole n’est pas exploitée parce qu’il n’existe pas de chaîne de froid. Ces chiffres et d’autres, conjugués à l’instabilité en Afrique, invitent à une réflexion profonde. Pour le PDG du Groupe Le Matin, un changement de paradigmes s’impose en vue de permettre de se prendre en charge. Et d’ajouter que les efforts doivent être conjugués pour mobiliser les intelligences, mais aussi et surtout les ressources en matière de recherche et développement.
Sur la même longueur d’ondes, Alioune Sall, directeur de African Futures Intitute (AFI) met l’accent sur la nécessité d’investir davantage dans les universités pour permettre aux jeunes d’apprendre et d’évoluer. Les intervenants à ce panel sont convaincus aussi que l’Afrique ne peut se développer que par le biais de ses jeunes, à condition qu’ils soient suffisamment formés, motivés et surtout engagés. Des compétences qu’on ne peut acquérir justement que par le biais de l’accompagnement. Sur ce volet, le président de la commission capital humain de la CGEM, Karim Cheikh, note que le capital humain doit être formé en adéquation avec les besoins des différents secteurs. Effectivement, le marché de l’emploi, tel qu’il se présente aujourd’hui, est loin d’être l’environnement dans lequel s’applique le concept anglo-saxon «the right man at the right place». Pour Karim Cheikh, l’adaptation entre l’offre et l’emploi est également une façon de faire face au phénomène de la fuite du capital humain, et ce dans tous les secteurs d’activité.
Déclarations
Bouchra Nhaili, Présidente de AGEF nationale, DRH de Lydec
«Je tiens d’abord à féliciter l’ensemble des membres du bureau de l’AGEF pour leur engagement pour la réussite de cette édition du HR Summit. Nous avons mutualisé nos intelligences et libéré nos énergies pour réussir. Nous avons reçu plus de 500 invités et une trentaine d’entreprises ont occupé les espaces d’exposition. Grâce aux experts et panélistes, venus de différents horizons, nous avons pu jeter la lumière sur une thématique d’actualité et discuter des approches les plus pratiques pour libérer les énergies et mobiliser les intelligences au service du développement. Ce que je retiens de ces deux jours de débats, c’est qu’il n’est de richesses que d’Hommes. L’Homme représente le capital humain, immatériel, social, organisationnel, un mix qui donne une richesse pour l’entreprise et à grande échelle pour le pays. Nous sommes tous intelligents, différents et nous pouvons tous voir en l’IA un outil de travail, mais qui ne remplacera jamais l’humain.»
Meryem Chami, DG AXA Afrique
«Le capital humain représente la vraie richesse des entreprises. C’est encore plus vrai dans un contexte marqué par des changements économiques, sociétaux et géopolitiques importants. La fonction RH doit être dans une dynamique accélérée pour accompagner les entreprises dans cette conjoncture.»
Ayoub Azami, PDG de Marjane Holding
«Si l’intelligence artificielle peut permettre à l’entreprise de gagner en performance, elle reste incapable d’égaler l’intelligence humaine dont l’intuition est l’apanage, qui est capable de faire des ruptures de paradigmes, de créer et d’innover.»
Mohammed Haitami, PDG du Groupe Le Matin
«Les intelligences, humaine et artificielle, se mettent au service du développement économique et social inclusif et durable. Il faut donc lancer la réflexion, notamment au niveau de la communauté RH, pour voir si les conditions sont réunies pour mobiliser les intelligences. Cette réflexion, nous devons la lancer au niveau de notre continent africain qui fait face à de nombreux défis, mais possède d’importantes capacités.»
Hicham Zouanat, président de la Commission sociale de la CGEM
«Avant de se projeter sur les transformations organisationnelles à entreprendre, il faut faire un état des lieux du présent. Pour moi, la transformation organisationnelle est le parent pauvre des transformations. Il nous faut penser à des stratégies agiles et matures en évoluant vers le concept de "team based organisation” basé sur la performance des équipes plus que la performance individuelle.»
Alioune Sall, Fondateur et directeur exécutif de l'African Futures Institute
«La fonction RH évolue dans la mesure où le facteur humain devient primordial pour tout développement. L’autre facteur qui fait sont entrée est l’intelligence artificielle qu’il faut maîtriser. C’est donc toute une stratégie de formation et d’accompagnement pour mobiliser les deux intelligences au service de l’entreprise.»