Le
Maroc, en accueillant la
CAN 2025, sait ce qu’il met en jeu. L’événement est une démonstration de capacité :
logistique, sécurité, hospitalité, infrastructures, expérience spectateur. Et aussi un pari économique, avec des estimations allant de 600.000 à 1 million de visiteurs et jusqu’à 12 milliards de dirhams de recettes additionnelles, sur fond d’investissements lourds dans les stades (autour de 9,5 milliards de dirhams pour la mise à niveau de plusieurs enceintes). Autrement dit : une vitrine. Or une vitrine attire deux types de regards. Ceux qui évaluent. Et ceux qui cherchent à fissurer. C’est précisément ce point que souligne
Jaouad Bennis, professeur en sciences de l’information et de la communication (SIC) et directeur du laboratoire LOGOS à la FLSH Ben M’sik. Selon lui, «l’accueil de la
CAN 2025 par le
Maroc a suscité autant d’admiration que de rivalité». Et cette rivalité ne date pas d’hier : «dès le départ et même avant le lancement de la compétition», dit-il, des détracteurs ont «tenté de semer le doute sur sa capacité à organiser un tel événement». Il évoque même des allégations allant «jusqu’à faire croire que les images du
Complexe sportif Moulay Abdellah seraient de simples photos retouchées». Dans cette lecture, la CAN n’est pas seulement une compétition : elle devient un objet symbolique, une guerre d’image.
La séquence Tayashi
La première étincelle médiatique marquante est venue d’une chaîne tunisienne. Le journaliste Hamza Tayashi, envoyé d’El Hiwar El Tounsi, a affirmé à l’antenne qu’une panne de courant aurait touché le stade après un match. Problème : le propos était factuellement faux ou, à tout le moins, fortement exagéré. La coupure évoquée aurait été limitée, selon les explications fournies ensuite, au centre des médias. Le journaliste finira par s’excuser le soir même. La chaîne aussi, reconnaissant une faute professionnelle. Mais l’épisode laisse une trace : l’info erronée s’imprime plus vite que son rectificatif. Et, dans un tournoi suivi en temps réel, cette asymétrie est décisive. Elle fabrique de l’ombre, même lorsque les faits sont rétablis.
L’Algérie, deuxième front
Dans les médias algériens, les «ratés» supposés de l’organisation marocaine reviennent en boucle, le problème, c’est que ces récits s’appuient souvent sur du fragile ou du fabriqué. L’exemple le plus parlant reste celui du journaliste Kamel Mahoui (Ennahar TV). Sur les réseaux, son départ a été rapidement présenté comme une expulsion par les autorités marocaines. Mais selon nos confrères à Yabiladi, la réalité est plus simple : il n’a pas été expulsé et aurait quitté le Maroc de son propre chef, via un vol vers Istanbul. Dans la même veine, une vidéo largement relayée montre un reporter algérien au Maroc orientant des supporters : il les pousse à dire face caméra qu’ils ne trouvent pas de billets, les incite à interpeller la CAF, tout en leur demandant d’éviter certains sujets.
D’autres séquences jouent sur le décor : on filme volontairement loin des zones d’affluence, près de la plage ou dans des espaces périphériques, pour donner l’impression qu’il n’y a «personne». Et certaines pages diffusent même de vieilles vidéos d’inondations, sans lien avec la CAN, pour suggérer que «les stades prennent l’eau». Pour Jaouad Bennis, il ne s’agit pas seulement de dérapages isolés. «Les appareils idéologiques de l’État, principalement les médias, sont souvent mobilisés pour minimiser les réalisations du Maroc, allant jusqu’à la diffusion de contenus mensongers», explique-t-il, évoquant aussi des contenus «destinés, entre autres, à la consommation interne» afin de «détourner l’attention des citoyens algériens de leurs vrais problèmes et mieux gérer les tensions locales».
Une rivalité politique qui déborde sur le sport
Walid Kebir, journaliste algérien, lie ces polémiques au climat régional. «À mon sens, une partie des polémiques observées autour de l’organisation de cette compétition ne peut être dissociée du contexte politique régional», explique-t-il. Il parle ainsi d’une rivalité assumée et d’une difficulté, pour «certains acteurs étatiques», à accepter «l’image positive et le capital de crédibilité acquis par le Maroc sur la scène africaine».
Dans le même esprit, Jaouad Bennis insiste sur l’arrière-plan géopolitique : «Les tensions géopolitiques chroniques entre l’Algérie et le Maroc» transforment parfois toute performance, économique, politique ou sportive en enjeu. Cette dimension change la nature du débat : on ne parle plus seulement de journalisme perfectible, mais de communication politique et de l’usage du sport comme terrain de rivalité. Cette stratégie, si stratégie il y a, se heurte néanmoins à un obstacle simple : le terrain.
Walid Kebir relève un fait qui a contredit le récit officiel : la présence de nombreux supporters algériens au Maroc, et surtout leurs témoignages diffusés sur les réseaux. Des vidéos d’influenceurs et de visiteurs décrivent une organisation fluide, des infrastructures solides, un accueil chaleureux. C’est une mutation décisive : à l’ère des contenus directs, la désinformation a un adversaire qu’elle ne contrôle pas, à savoir l’expérience vécue, filmée, partagée, recoupée. Quand l’écart entre le récit et le réel devient visible, la propagande perd de sa force.
Quand l’information devient un enjeu d’organisation
Pour les organisateurs, la CAN ne se joue plus seulement en logistique (transports, billetterie, sécurité...). Elle se joue aussi en gestion du récit : répondre vite sans sur-réagir, corriger sans amplifier, laisser la place à la critique légitime tout en coupant court aux intox. Ainsi, face aux narratifs hostiles, Jaouad Bennis plaide pour une riposte à la fois stratégique et propre. Le Maroc gagnerait, selon lui, à bâtir une communication publique «fondée sur la diffusion d’informations crédibles», adossée à «un contre-discours factuel qui laisse parler les réalisations» et à une veille capable d’identifier et de traiter les campagnes adverses.
Les réseaux sociaux deviennent alors un levier central, parce qu’ils permettent une communication directe vers les supporters et l’opinion, à condition de tenir un cadre clair : transparence, liberté de la presse, protection des journalistes, refus de la désinformation. La réponse, enfin, doit être collective. Les journalistes marocains, dit-il, sont attendus sur la rigueur : vérifier avant diffusion, produire des contenus factuels en arabe, français et anglais, et donner à voir des témoignages de journalistes étrangers. Les institutions doivent communiquer sur les réussites comme sur les défis, en produisant du contenu exploitable par les médias et les plateformes. Et le public, déjà salué pour son hospitalité, a une responsabilité simple : vérifier avant de partager, pour éviter cette «amplification affective» qui nourrit la désinformation.
Aucun impact sur le Maroc
Finalement, ces offensives médiatiques font du bruit, mais laissent rarement des traces. Pour le Pr Jaouad Bennis, «l’effet de ce type de narratif sur l’image du Maroc est éphémère, car il est vite démenti par les faits». La séquence virale peut heurter, semer un doute, abîmer une soirée, mais elle bute sur une réalité plus solide : «si elle réussit parfois à porter atteinte à l’image du pays, elle n’entame jamais sa réputation». Cette réputation, rappelle-t-il, n’est pas une tendance : c’est un acquis patiemment construit, «fondé sur ses performances économiques, sa stabilité politique, son patrimoine culturel et son rayonnement international». Autrement dit, un capital qui tient à ce que le Maroc fait, plus qu’à ce qu’on dit de lui. Et dans cette CAN, le football agit comme un amplificateur : «Le sport, notamment le football, contribue largement à façonner la réputation d’un Maroc émergent et attractif». Reste donc ce paradoxe : plus le tournoi expose, plus il attire les récits hostiles, mais plus il offre aussi, chaque jour, la possibilité de les démentir. À la fin, ce ne sont pas les montages ni les rumeurs qui demeurent : ce sont les images réelles, celles des tribunes, des routes, des villes, et d’un pays qui continue d’avancer, match après match.