Fort de son expérience dans l’organisation de grands rassemblements internationaux, le Maroc confirme, une fois encore, sa maîtrise logistique et sécuritaire. Des assemblées d’envergure comme la COP22 à Marrakech, les réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI à Marrakech en 2023, ou encore les multiples forums internationaux accueillis à Dakhla et Rabat, ont permis au Royaume de bâtir une réputation solide en matière de gestion des flux, d’anticipation des risques et de coordination interservices.
La Coupe d’Afrique des nations, qui se déroule actuellement sur le sol marocain, vient consolider cette image. Sur le terrain, le dispositif sécuritaire déployé impressionne par son efficacité et sa discrétion : surveillance intelligente des stades, coordination entre forces de police, de gendarmerie et services de renseignement, gestion fluide des déplacements des équipes et des supporters. Cette mobilisation témoigne d’un savoir-faire désormais reconnu, fruit d’années de préparation et d’une stratégie nationale axée sur la prévention et la coopération internationale.
L’inauguration à Salé du premier Centre africain de coopération policière dédié à la sécurité des manifestations sportives est venue confirmer l’ambition du Maroc de se positionner comme un pôle régional de référence en matière de gestion sécuritaire intégrée, capable de mutualiser les expertises africaines et de renforcer la coopération entre les forces de l’ordre du continent. Ce dispositif, rappelons-le, réunit les services de sécurité marocains, des officiers de liaison des 23 pays participants, des équipes mobiles chargées de surveiller les flux de supporters, des représentants de la CAF et de la FIFA et des partenaires internationaux, notamment Interpol. Son objectif est d’assurer l’échange d’informations en temps réel, la prévention des incidents, l’analyse des risques et la coordination des interventions, un modèle de coopération qui pourrait être reproduit pour la Coupe du monde 2030.
Au-delà de la sécurité physique, le Maroc a adopté une approche judiciaire proactive, avec la mise en place de tribunaux spécialisés au sein des stades, garantissant un traitement rapide et efficace des infractions mineures pendant le Mondial. Cette logique reflète une vision intégrée de la sécurité publique : prévention, répression et justice, et coordination internationale, où les institutions marocaines dialoguent avec leurs homologues pour garantir la sûreté des millions de visiteurs attendus.
Cette capacité à garantir la sûreté des grands rendez-vous sportifs, mais aussi diplomatiques, ne relève pas seulement d’un impératif logistique : elle traduit une véritable doctrine de diplomatie sécuritaire. En faisant de la stabilité et de la prévention des risques un levier d’influence, le Maroc dépasse le cadre national pour s’affirmer comme un partenaire fiable dans la gestion des enjeux globaux. La sécurité, autrefois perçue comme une compétence interne, devient ici un outil de rayonnement international, au service d’une politique étrangère fondée sur la confiance, la coopération et le partage d’expertise.
Une diplomatie sécuritaire devenue levier d’influence
Face à la montée des défis transnationaux et aux challenges liés à l’organisation de grands rassemblements internationaux, le Maroc s’affirme de plus en plus comme un acteur central de la diplomatie sécuritaire mondiale. De l’accueil d’Interpol à la coordination de la sécurité pour les grands événements comme la CAN 2025 et la préparation de la Coupe du monde 2030, Rabat tisse des réseaux d’échanges et d’opérations qui dépassent largement les frontières nationales. En articulant sécurité nationale, coopération internationale et diplomatie sportive, le Maroc construit peu à peu une nouvelle architecture de puissance douce et stratégique.
En effet, le Royaume ne conçoit plus la sécurité comme un simple impératif intérieur, mais comme un instrument d’action extérieure. «La diplomatie sécuritaire du Maroc désigne une logique d’action dans laquelle les enjeux de sécurité occupent une place centrale dans la politique étrangère du Royaume», explique le Dr Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l'Université Lumière Lyon 2 et secrétaire général et chercheur associé à NejMaroc : Centre marocain de recherche sur la globalisation. Cette stratégie englobe la lutte antiterroriste, la criminalité transnationale au Sahel, la cybersécurité et la coopération policière internationale, illustrée par l’organisation du sommet mondial d’Interpol à Marrakech en novembre 2025. Pour ce conclave, le Royaume a réuni 179 États membres et signé de nouveaux accords bilatéraux, confortant sa stature de partenaire fiable et influent.
Une stratégie planifiée mais pragmatique
Cette diplomatie sécuritaire est à la fois structurée dans le temps et adaptable aux crises. Sous l’impulsion de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc a bâti une vision intégrée de la sécurité : modernisation des services, professionnalisation des forces, montée en puissance du renseignement et anticipation des menaces cybernétiques. Mais le Royaume fait aussi preuve d’un pragmatisme calculé, ajustant ses partenariats selon les évolutions géopolitiques. «Le Maroc sait dialoguer aussi bien avec des puissances occidentales qu’avec des États africains fragilisés», note l’expert. Cette capacité à occuper les espaces laissés vacants par d’autres puissances lui confère une marge de manœuvre géopolitique unique.
Marrakech, vitrine d’une centralité sécuritaire
Avec la 93ᵉ Assemblée générale d’Interpol organisée à Marrakech, le Maroc a démontré qu’il était devenu un acteur structurant dans la gouvernance mondiale de la sécurité. Plus de 800 responsables sécuritaires et 82 chefs de police y ont pris part, confirmant la confiance de la communauté internationale dans les institutions marocaines. «Le Maroc n’est plus un bénéficiaire passif», observe M. El Yattioui. «C’est un acteur producteur de sécurité transnationale, capable d’influencer les normes et les pratiques internationales», ajoute-t-il. D’ailleurs, les discussions bilatérales menées par le directeur général du pôle DGSN-DGST, Abdellatif Hammouchi, avec des délégations venues des cinq continents, ont abouti à de nouveaux accords opérationnels, consolidant le rôle du Royaume comme hub sécuritaire régional.
Sécurité et sport : la diplomatie du terrain
La tenue de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030 offre au Maroc un laboratoire grandeur nature pour sa diplomatie sécuritaire. Ces événements deviennent autant des tests logistiques que des instruments de rayonnement géopolitique. «Le sport de haute compétition est un levier de soft power. Il permet au Maroc d’affirmer sa stature régionale tout en consolidant ses alliances, notamment avec l’Espagne et le Portugal», souligne M. El Yattioui.
La Coupe du monde 2030 est déjà un moteur de coopération sécuritaire régionale et internationale. En janvier 2025, des responsables marocains, espagnols et allemands se sont réunis pour renforcer les liens de coopération policière en vue de cet événement, notamment pour contrer les menaces transnationales et assurer une coordination efficace entre services. Par ailleurs, la co-organisation de cet événement de grande envergure, première édition de l’histoire à se tenir sur deux continents, symbolise ce pont euro-africain que Rabat ambitionne d’incarner.
Cette coopération tripartite traduit une alliance politique inédite, consolidée par le soutien de Madrid au plan d’autonomie des provinces du Sud et par une interconnexion culturelle et historique que le chercheur décrit comme un «héritage arabo-andalou partagé». Ces événements servent aussi le «nation branding» marocain, en projetant l’image d’un pays sûr, moderne et capable d’assurer la sécurité de millions de visiteurs. Un atout diplomatique et économique considérable.
Vers une sécurité inclusive : stabilité et image
Le Maroc affiche des indicateurs de sécurité intérieure en nette amélioration : baisse de 10% de la criminalité violente en 2025, taux de résolution des affaires de 95%, démantèlement de 105 réseaux de migration illégale et classement dans la catégorie à zéro impact du terrorisme selon l’Indice mondial du terrorisme. C’est dire que, sur le plan interne, les réformes engagées par les services de sécurité ont des retombées positives pour la population. Mieux, ces résultats alimentent un cercle vertueux : la stabilité intérieure renforce la crédibilité internationale, et cette crédibilité attire à son tour investissements, événements et partenariats. Pour M. El Yattioui, cette «sécurité inclusive» constitue un projet encore en construction, mais elle traduit une cohérence entre performance sécuritaire et ambition diplomatique.
Les défis du Mondial 2030 : entre cybermenaces et logistique globale
L’organisation du Mondial est un acte de confiance, mais elle n’en représente pas moins un défi sécuritaire total. Au-delà des flux humains et logistiques, le chercheur évoque la convergence des menaces criminelles et terroristes, où trafiquants et réseaux extrémistes partagent parfois les mêmes circuits. La montée des risques cybernétiques (piratage, vol de données, sabotage d’infrastructures numériques) impose une modernisation continue des dispositifs de défense. «La Coupe du monde 2030 sera un test grandeur nature pour la coopération sécuritaire internationale du Maroc. Elle exigera un équilibre entre haute technologie, coordination régionale et vigilance humaine», conclut M. El Yattioui.
Dans ce cadre, le Maroc mobilise activement ses institutions sécuritaires, en particulier la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et la Direction générale de la Surveillance du territoire (DGST), qui jouent un rôle clé dans la coopération internationale. Ces institutions participent à des forums multilatéraux, concluent des accords bilatéraux et prennent part à des dispositifs de coordination sécuritaire avec des partenaires européens, africains et moyen-orientaux. Cette action s’inscrit dans une approche proactive visant non seulement à prévenir les menaces directes contre le territoire national, mais aussi à contribuer à la stabilisation d’espaces régionaux fragiles, notamment le Sahel, considéré comme une zone de projection indirecte des risques sécuritaires.
Par ailleurs, la diplomatie sécuritaire marocaine s’inscrit dans une vision globale de la sécurité humaine, comme l'atteste son rôle majeur dans les différents sommets onusiens de lutte contre le terrorisme, ces dernières années. Le Maroc tend à articuler ses actions sécuritaires avec des objectifs de développement, de coopération Sud-Sud et de renforcement institutionnel. Cette approche repose sur l’idée que la sécurité durable ne peut être dissociée des facteurs socio-économiques, de la gouvernance et de la cohésion sociale. En ce sens, la diplomatie sécuritaire marocaine dépasse une logique strictement répressive pour intégrer des dimensions préventives et structurelles, visant à traiter les causes profondes de l’instabilité régionale.
Est-ce une stratégie planifiée ou une réponse pragmatique aux enjeux régionaux ?
L’analyse de la diplomatie sécuritaire marocaine montre qu’elle relève simultanément d’une stratégie planifiée de long terme et d’une réponse pragmatique aux évolutions rapides de l’environnement régional. Cette double dimension constitue l’une des caractéristiques majeures de l’action extérieure du Royaume dans le domaine sécuritaire et explique en grande partie son efficacité opérationnelle ainsi que sa résilience face à des menaces multiformes, transnationales et évolutives.
D’un côté, plusieurs éléments attestent l’existence d’une planification stratégique cohérente et structurée. Sous l’impulsion de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc a progressivement élaboré une vision intégrée de la sécurité, pensée comme un pilier central de la souveraineté nationale et un instrument d’influence internationale. Cette vision s’inscrit dans la durée et repose sur des choix institutionnels clairs, notamment la modernisation des services de sécurité, l’investissement dans les capacités de renseignement et la professionnalisation accrue des forces de sécurité intérieure. À titre d’illustration, la réforme continue des structures de la DGSN et de la DGST, accompagnée par l’introduction de technologies de pointe dans la lutte antiterroriste et la cybersécurité, traduit une anticipation des menaces futures plutôt qu’une simple réaction à des crises ponctuelles.
La multiplication des accords de coopération sécuritaire conclus avec des partenaires stratégiques constitue un autre indicateur fort de cette planification. Ces accords ne se limitent pas à des déclarations d’intention, mais prévoient des mécanismes opérationnels concrets, tels que l’échange systématique de renseignements, la formation conjointe d’unités spécialisées ou la coordination dans la gestion des risques transfrontaliers. La coopération approfondie avec plusieurs pays européens dans le démantèlement de cellules terroristes illustre cette approche structurée depuis le début du 21e siècle, où le Maroc agit comme un partenaire de sécurité fiable et anticipatif grâce à une expertise de renseignement de grande ampleur.
Toutefois, cette stratégie de long terme est indissociable d’un pragmatisme marqué. Le Maroc ajuste continuellement sa diplomatie sécuritaire aux réalités géopolitiques et aux menaces émergentes. L’aggravation de l’insécurité au Sahel, caractérisée par la prolifération de groupes armés, la circulation des armes et l’enracinement de réseaux criminels transnationaux, a conduit le Royaume à intensifier sa coopération sécuritaire avec les pays africains concernés, tout en renforçant la coordination avec les partenaires européens directement exposés aux répercussions de cette instabilité.
Ce pragmatisme se traduit également par une diversification des partenariats. Face aux recompositions régionales et au recul relatif de certains acteurs traditionnels dans la gestion des crises sécuritaires, le Maroc a su se positionner comme un interlocuteur crédible, capable de dialoguer à la fois avec des États africains fragilisés et avec des puissances occidentales. Cette capacité à occuper des espaces laissés vacants est illustrée par l’augmentation des demandes de coopération sécuritaire adressées au Maroc, notamment en matière de formation, de renseignement et de lutte contre les réseaux criminels.
Le Maroc est-il en train de devenir un «hub sécuritaire» pour l’Afrique et la Méditerranée ?
Les évolutions observées en 2024 et 2025 indiquent que le Maroc s’inscrit dans une trajectoire visant à se positionner comme un hub sécuritaire régional, à l’interface de l’Afrique et de la Méditerranée. La notion de hub sécuritaire renvoie à la capacité d’un État à occuper une position centrale dans les réseaux de coopération, à coordonner des initiatives sécuritaires et à exercer une influence normative, institutionnelle et opérationnelle. À cet égard, plusieurs éléments concrets permettent d’étayer l’hypothèse d’un rôle central croissant du Maroc.
Sur le plan géographique, la position du Royaume constitue un atout stratégique majeur. Situé au carrefour de l’Europe, de l’Afrique subsaharienne et du monde arabe, le Maroc se trouve au cœur de routes migratoires, commerciales et sécuritaires essentielles. Cette situation lui permet de jouer un rôle de passerelle entre des espaces aux dynamiques sécuritaires distinctes mais interconnectées.
Sur le plan institutionnel, la reconnaissance croissante du Maroc au sein des organisations internationales de sécurité constitue un indicateur fort de son rôle émergent de hub sécuritaire. L’accès à des fonctions de leadership et la confiance accordée au Royaume pour organiser des événements de portée mondiale traduisent la crédibilité de ses institutions sécuritaires comme l'atteste l'accueil par le directeur général du pôle DGST-DGSN, Abdellatif Hammouchi, au début de ce mois de décembre, d'Alexandre Zouev, nouveau secrétaire général adjoint du Bureau des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme, qui était en visite de travail au Maroc, ou encore la création au Maroc d’un Bureau programme pour la lutte contre le terrorisme, à l'automne 2020, illustrant la centralité du Maroc sur cette thématique. Ces responsabilités permettent au Maroc de servir de plateforme d’échange d’informations, de bonnes pratiques et d’expertises entre différents acteurs régionaux et internationaux.
Au niveau bilatéral, le Maroc a densifié de manière significative son réseau de partenariats sécuritaires. Ces partenariats incluent des coopérations opérationnelles dans le démantèlement de réseaux criminels transnationaux, des programmes de formation destinés aux forces de sécurité africaines, ainsi que des dispositifs conjoints de lutte contre les trafics illicites. Par exemple, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre bénéficient de formations dispensées par des institutions marocaines, ce qui contribue à diffuser des standards professionnels et à renforcer l’interopérabilité des forces de sécurité régionales.
Le Maroc s’affirme également comme un centre de formation et de renforcement des capacités sécuritaires. Les initiatives visant à accueillir des cadres sécuritaires étrangers, à organiser des sessions de formation spécialisées et à promouvoir une approche intégrée de la sécurité participent à la construction d’un rôle de hub régional. Cette dimension est particulièrement visible dans les domaines de la lutte antiterroriste, de la police judiciaire et de la cybersécurité, où l’expertise marocaine est de plus en plus sollicitée.
En quoi la coopération avec Interpol et d’autres organisations internationales renforce-t-elle le poids géopolitique du Royaume ?
La coopération du Maroc avec Interpol et d’autres organisations internationales constitue aujourd’hui un levier central de sa stratégie de puissance alternative, contribuant à renforcer son poids géopolitique sur plusieurs plans : diplomatique, sécuritaire, institutionnel et symbolique. Cette dynamique s’inscrit dans une trajectoire de plus en plus affirmée où le Royaume ne se contente pas d’être un simple bénéficiaire de coopération, mais aspire à peser sur les normes, les agendas et les architectures de gouvernance sécuritaire globale. Au niveau institutionnel, l’intégration du Maroc dans les mécanismes de décision d’organisations internationales, et en particulier au sein d’Interpol, lui confère une tribune stratégique dans les débats mondiaux sur la sécurité.
L’année 2025 a illustré cette montée en puissance par l’organisation par le Maroc de la 93e Assemblée générale d’Interpol à Marrakech, une rencontre qui a rassemblé près de 179 États membres, plus de 800 responsables sécuritaires et 82 chefs de police. L’événement, tenu du 24 au 27 novembre, n’a pas été un simple rendez-vous technique : il a constitué un espace de négociation stratégique où se croisent visions, intérêts nationaux et réponses globale aux défis de la criminalité transnationale, du terrorisme et de la cybercriminalité. Dans ce cadre, le Directeur général de la Sûreté nationale et de la Surveillance du territoire, Abdellatif Hammouchi, a tenu plus de 43 réunions bilatérales avec des délégations issues d’Afrique, d’Europe, d’Asie et des Amériques, abordant des initiatives concrètes de coopération policière et d’échange de renseignements.
Ces rencontres ont permis de structurer de nouveaux partenariats, d’approfondir des cadres de coopération opérationnelle et d’affirmer le rôle du Maroc comme interlocuteur fiable sur les questions de sécurité. La signature d’accords avec des forces de police éthiopiennes, norvégiennes et d’autres partenaires illustre cette dynamique. Plus encore, l’exécution en 2025 de centaines de commissions rogatoires internationales et l’arrestation de personnes recherchées dans plusieurs pays renforcent l’idée que le Maroc n’est plus un bénéficiaire passif, mais un acteur actif dans la production de sécurité transnationale.
Être perçu comme un partenaire crédible dans la lutte contre des menaces globales : terrorisme, trafic de drogues, cybercriminalité, accroît son pouvoir de négociation avec des puissances européennes, des organisations régionales africaines et des institutions internationales. Dans un monde où la sécurité constitue un argument clé de partenariat, cette réputation se transforme en atout diplomatique. L’option marocaine de promouvoir une coopération Sud-Sud en matière de sécurité, par exemple vers des pays africains partenaires, renforce aussi sa légitimité régionale et sa capacité à offrir des solutions locales plutôt que dépendre exclusivement des acteurs occidentaux classiques.
Peut-on dire que l’organisation d’événements comme la CAN 2025 ou la Coupe du monde 2030 sert la diplomatie du Maroc autant que son image ? Et comment ces rendez-vous sportifs contribuent-ils à renforcer les alliances régionales, notamment avec l’Espagne et le Portugal ?
Dans un contexte où le sport de haute compétition est devenu un vecteur de soft power, ces événements offrent au Royaume des opportunités uniques d’affirmer sa stature politique, d’accélérer ses ambitions d’intégration régionale et de renforcer ses alliances stratégiques, en particulier avec l’Espagne et le Portugal. D’une part, ces événements servent de plateformes d’exposition mondiale par le «nation branding», projetant le Maroc sur la scène internationale comme un pays capable d’organiser des manifestations de très grande envergure. Pour le Maroc, la CAN agit comme un laboratoire diplomatique, logistique et organisationnel en vue de l’événement encore plus stratégique qu’est la Coupe du monde 2030, co-organisée avec l’Espagne et le Portugal. Cette collaboration tripartite constitue un tournant géopolitique sans précédent : pour la première fois, une édition de la Coupe du monde sera organisée conjointement sur deux continents, soulignant une coopération approfondie entre l’Afrique et l’Europe. Ce format symbolise non seulement un pont physique et culturel, mais également une alliance politique renforcée entre les trois nations.
L’Espagne, plus grand partenaire commercial du Maroc, a vu ses relations avec Rabat se renforcer après avoir soutenu le plan d’autonomie marocain pour les provinces du Sud. La perspective de co-organiser un événement planétaire comme la Coupe du monde 2030 consolide cette alliance en lui donnant un contenu concret et visible, dépassant les seules relations économiques et sécuritaires pour intégrer des valeurs culturelles et sociales partagées, comme l'héritage arabo-andalou présent en Andalousie comme au nord du Maroc.
En outre, ces événements permettent au Maroc de construire une narrative diplomatique positive : celle d’un pays moderne, dynamique, capable d’œuvrer pour la paix, l’unité et la coopération interculturelle. Cette narrative est cruciale dans un contexte international où l’image d’un pays peut influencer les décisions d’investissement, d’alliance et d’intégration régionale. La CAN 2025, en particulier, sert de vitrine pour l’Afrique face au monde, et la Coupe du monde 2030 représente une scène de coopération euro-africaine d’une ampleur inédite. Le renforcement des coopérations institutionnelles et politiques permet au pays d'avoir un rôle de pont structurel entre l’Afrique et l’Europe, tout en consolidant ses aspirations à jouer un rôle de puissance régionale reconnue sur la scène internationale.
Peut-on parler d’une «sécurité inclusive» au Maroc, où la stabilité intérieure et l’image extérieure s’alimentent mutuellement ?
Sur le plan purement sécuritaire, les statistiques récentes montrent des progrès substantiels. Le rapport 2025 de la DGSN indique une baisse de 10% de la criminalité violente en 2025, une hausse du taux de résolution des affaires à 95%, et des efforts accrus contre le trafic de drogue, avec plus de 170 tonnes de cannabis et 1,7 tonne de cocaïne saisies, ainsi que la démantèlement de 105 réseaux de migration illégale et l’interception de plusieurs dizaines de milliers de tentatives de migration irrégulière. Parallèlement, le Maroc affiche l’une des performances les plus marquantes d’Afrique du Nord en matière de lutte antiterroriste : il est classé dans la catégorie à «zéro impact du terrorisme» selon l’Indice mondial du terrorisme 2025.
Ces indicateurs techniques sont des leviers essentiels de la stabilité intérieure et contribuent directement à projeter une image de sécurité solide à l’extérieur : un pays jugé sûr attire non seulement des investissements, mais aussi des grandes manifestations internationales, des missions diplomatiques et des partenariats stratégiques. La dialectique entre stabilité intérieure et image extérieure s’alimente dans ce contexte : des indicateurs sécuritaires solides renforcent la crédibilité internationale du Maroc et servent les objectifs diplomatiques ou économiques du pays. Au final, le concept de sécurité inclusive existe en projet, stimulé par des résultats tangibles, mais demeure inachevé sur ses volets sociétaux.
À votre avis, quels sont les risques sécuritaires majeurs auxquels le Maroc doit se préparer dans la perspective du Mondial 2030 ?
La perspective de la Coupe du monde de la FIFA 2030 offre au Maroc une opportunité de rayonnement international sans précédent, mais elle expose aussi le pays à des risques sécuritaires multiformes qui exigent une anticipation stratégique rigoureuse. Ces risques ne se limitent pas à de simples défis logistiques, mais touchent des dimensions criminelles, sociopolitiques, cybernétiques et géopolitiques. La tenue d’un événement d’envergure mondiale implique une présence massive d’acteurs, de visiteurs et de flux transnationaux qui peuvent être exploités par des réseaux criminels. Malgré une baisse notable de la criminalité violente enregistrée en 2025 (-10%) et un taux de résolution des affaires de 95%, certains trafics persistent, notamment ceux liés aux drogues et à l’immigration irrégulière, avec plus de 106.000 affaires traitées et des saisies significatives de substances illicites selon les rapports policiers récents.
Le défi majeur pour 2030 sera donc la convergence des menaces criminelles et terroristes, caractérisée par des réseaux hybrides où les trafiquants servent de vecteurs logistiques aux organisations terroristes, ce qui nécessite une coopération internationale approfondie et des capacités accrues d’anticipation et de renseignement. La préparation d’un Mondial implique une digitalisation massive des services (billetterie, transport, communications, systèmes de sécurité), exposant ces systèmes à des risques accrus de cyberattaques ciblées, de vols de données personnelles ou de détournement d’infrastructures numériques. Le renforcement des défenses cybernétiques et des capacités d’intervention rapide doit donc être une priorité stratégique.
La Coupe d’Afrique des nations, qui se déroule actuellement sur le sol marocain, vient consolider cette image. Sur le terrain, le dispositif sécuritaire déployé impressionne par son efficacité et sa discrétion : surveillance intelligente des stades, coordination entre forces de police, de gendarmerie et services de renseignement, gestion fluide des déplacements des équipes et des supporters. Cette mobilisation témoigne d’un savoir-faire désormais reconnu, fruit d’années de préparation et d’une stratégie nationale axée sur la prévention et la coopération internationale.
L’inauguration à Salé du premier Centre africain de coopération policière dédié à la sécurité des manifestations sportives est venue confirmer l’ambition du Maroc de se positionner comme un pôle régional de référence en matière de gestion sécuritaire intégrée, capable de mutualiser les expertises africaines et de renforcer la coopération entre les forces de l’ordre du continent. Ce dispositif, rappelons-le, réunit les services de sécurité marocains, des officiers de liaison des 23 pays participants, des équipes mobiles chargées de surveiller les flux de supporters, des représentants de la CAF et de la FIFA et des partenaires internationaux, notamment Interpol. Son objectif est d’assurer l’échange d’informations en temps réel, la prévention des incidents, l’analyse des risques et la coordination des interventions, un modèle de coopération qui pourrait être reproduit pour la Coupe du monde 2030.
Au-delà de la sécurité physique, le Maroc a adopté une approche judiciaire proactive, avec la mise en place de tribunaux spécialisés au sein des stades, garantissant un traitement rapide et efficace des infractions mineures pendant le Mondial. Cette logique reflète une vision intégrée de la sécurité publique : prévention, répression et justice, et coordination internationale, où les institutions marocaines dialoguent avec leurs homologues pour garantir la sûreté des millions de visiteurs attendus.
Cette capacité à garantir la sûreté des grands rendez-vous sportifs, mais aussi diplomatiques, ne relève pas seulement d’un impératif logistique : elle traduit une véritable doctrine de diplomatie sécuritaire. En faisant de la stabilité et de la prévention des risques un levier d’influence, le Maroc dépasse le cadre national pour s’affirmer comme un partenaire fiable dans la gestion des enjeux globaux. La sécurité, autrefois perçue comme une compétence interne, devient ici un outil de rayonnement international, au service d’une politique étrangère fondée sur la confiance, la coopération et le partage d’expertise.
Une diplomatie sécuritaire devenue levier d’influence
Face à la montée des défis transnationaux et aux challenges liés à l’organisation de grands rassemblements internationaux, le Maroc s’affirme de plus en plus comme un acteur central de la diplomatie sécuritaire mondiale. De l’accueil d’Interpol à la coordination de la sécurité pour les grands événements comme la CAN 2025 et la préparation de la Coupe du monde 2030, Rabat tisse des réseaux d’échanges et d’opérations qui dépassent largement les frontières nationales. En articulant sécurité nationale, coopération internationale et diplomatie sportive, le Maroc construit peu à peu une nouvelle architecture de puissance douce et stratégique.
En effet, le Royaume ne conçoit plus la sécurité comme un simple impératif intérieur, mais comme un instrument d’action extérieure. «La diplomatie sécuritaire du Maroc désigne une logique d’action dans laquelle les enjeux de sécurité occupent une place centrale dans la politique étrangère du Royaume», explique le Dr Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l'Université Lumière Lyon 2 et secrétaire général et chercheur associé à NejMaroc : Centre marocain de recherche sur la globalisation. Cette stratégie englobe la lutte antiterroriste, la criminalité transnationale au Sahel, la cybersécurité et la coopération policière internationale, illustrée par l’organisation du sommet mondial d’Interpol à Marrakech en novembre 2025. Pour ce conclave, le Royaume a réuni 179 États membres et signé de nouveaux accords bilatéraux, confortant sa stature de partenaire fiable et influent.
Cette approche se fonde sur un équilibre entre sécurité intérieure consolidée et exportation d’une expertise reconnue, visible dans la participation marocaine à la sécurité des Jeux olympiques de Paris 2024 ou du Mondial 2022 au Qatar. «Le Maroc ne se limite plus à protéger son territoire. Il contribue à stabiliser des espaces régionaux fragiles, tout en promouvant une vision globale de la sécurité humaine», précise M. El Yattioui.
Une stratégie planifiée mais pragmatique
Cette diplomatie sécuritaire est à la fois structurée dans le temps et adaptable aux crises. Sous l’impulsion de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc a bâti une vision intégrée de la sécurité : modernisation des services, professionnalisation des forces, montée en puissance du renseignement et anticipation des menaces cybernétiques. Mais le Royaume fait aussi preuve d’un pragmatisme calculé, ajustant ses partenariats selon les évolutions géopolitiques. «Le Maroc sait dialoguer aussi bien avec des puissances occidentales qu’avec des États africains fragilisés», note l’expert. Cette capacité à occuper les espaces laissés vacants par d’autres puissances lui confère une marge de manœuvre géopolitique unique.
Marrakech, vitrine d’une centralité sécuritaire
Avec la 93ᵉ Assemblée générale d’Interpol organisée à Marrakech, le Maroc a démontré qu’il était devenu un acteur structurant dans la gouvernance mondiale de la sécurité. Plus de 800 responsables sécuritaires et 82 chefs de police y ont pris part, confirmant la confiance de la communauté internationale dans les institutions marocaines. «Le Maroc n’est plus un bénéficiaire passif», observe M. El Yattioui. «C’est un acteur producteur de sécurité transnationale, capable d’influencer les normes et les pratiques internationales», ajoute-t-il. D’ailleurs, les discussions bilatérales menées par le directeur général du pôle DGSN-DGST, Abdellatif Hammouchi, avec des délégations venues des cinq continents, ont abouti à de nouveaux accords opérationnels, consolidant le rôle du Royaume comme hub sécuritaire régional.
Sécurité et sport : la diplomatie du terrain
La tenue de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030 offre au Maroc un laboratoire grandeur nature pour sa diplomatie sécuritaire. Ces événements deviennent autant des tests logistiques que des instruments de rayonnement géopolitique. «Le sport de haute compétition est un levier de soft power. Il permet au Maroc d’affirmer sa stature régionale tout en consolidant ses alliances, notamment avec l’Espagne et le Portugal», souligne M. El Yattioui.
La Coupe du monde 2030 est déjà un moteur de coopération sécuritaire régionale et internationale. En janvier 2025, des responsables marocains, espagnols et allemands se sont réunis pour renforcer les liens de coopération policière en vue de cet événement, notamment pour contrer les menaces transnationales et assurer une coordination efficace entre services. Par ailleurs, la co-organisation de cet événement de grande envergure, première édition de l’histoire à se tenir sur deux continents, symbolise ce pont euro-africain que Rabat ambitionne d’incarner.
Cette coopération tripartite traduit une alliance politique inédite, consolidée par le soutien de Madrid au plan d’autonomie des provinces du Sud et par une interconnexion culturelle et historique que le chercheur décrit comme un «héritage arabo-andalou partagé». Ces événements servent aussi le «nation branding» marocain, en projetant l’image d’un pays sûr, moderne et capable d’assurer la sécurité de millions de visiteurs. Un atout diplomatique et économique considérable.
Vers une sécurité inclusive : stabilité et image
Le Maroc affiche des indicateurs de sécurité intérieure en nette amélioration : baisse de 10% de la criminalité violente en 2025, taux de résolution des affaires de 95%, démantèlement de 105 réseaux de migration illégale et classement dans la catégorie à zéro impact du terrorisme selon l’Indice mondial du terrorisme. C’est dire que, sur le plan interne, les réformes engagées par les services de sécurité ont des retombées positives pour la population. Mieux, ces résultats alimentent un cercle vertueux : la stabilité intérieure renforce la crédibilité internationale, et cette crédibilité attire à son tour investissements, événements et partenariats. Pour M. El Yattioui, cette «sécurité inclusive» constitue un projet encore en construction, mais elle traduit une cohérence entre performance sécuritaire et ambition diplomatique.
Les défis du Mondial 2030 : entre cybermenaces et logistique globale
L’organisation du Mondial est un acte de confiance, mais elle n’en représente pas moins un défi sécuritaire total. Au-delà des flux humains et logistiques, le chercheur évoque la convergence des menaces criminelles et terroristes, où trafiquants et réseaux extrémistes partagent parfois les mêmes circuits. La montée des risques cybernétiques (piratage, vol de données, sabotage d’infrastructures numériques) impose une modernisation continue des dispositifs de défense. «La Coupe du monde 2030 sera un test grandeur nature pour la coopération sécuritaire internationale du Maroc. Elle exigera un équilibre entre haute technologie, coordination régionale et vigilance humaine», conclut M. El Yattioui.
Dr Yassine El Yattioui : Pour le Maroc, la CAN sert de laboratoire diplomatique, logistique et organisationnel en préparation de la Coupe du monde 2030
Le Matin : Comment définiriez-vous la «diplomatie sécuritaire» du Maroc aujourd’hui ?
Dr Yassine El Yattioui :
Dans ce cadre, le Maroc mobilise activement ses institutions sécuritaires, en particulier la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et la Direction générale de la Surveillance du territoire (DGST), qui jouent un rôle clé dans la coopération internationale. Ces institutions participent à des forums multilatéraux, concluent des accords bilatéraux et prennent part à des dispositifs de coordination sécuritaire avec des partenaires européens, africains et moyen-orientaux. Cette action s’inscrit dans une approche proactive visant non seulement à prévenir les menaces directes contre le territoire national, mais aussi à contribuer à la stabilisation d’espaces régionaux fragiles, notamment le Sahel, considéré comme une zone de projection indirecte des risques sécuritaires.
Par ailleurs, la diplomatie sécuritaire marocaine s’inscrit dans une vision globale de la sécurité humaine, comme l'atteste son rôle majeur dans les différents sommets onusiens de lutte contre le terrorisme, ces dernières années. Le Maroc tend à articuler ses actions sécuritaires avec des objectifs de développement, de coopération Sud-Sud et de renforcement institutionnel. Cette approche repose sur l’idée que la sécurité durable ne peut être dissociée des facteurs socio-économiques, de la gouvernance et de la cohésion sociale. En ce sens, la diplomatie sécuritaire marocaine dépasse une logique strictement répressive pour intégrer des dimensions préventives et structurelles, visant à traiter les causes profondes de l’instabilité régionale.
Est-ce une stratégie planifiée ou une réponse pragmatique aux enjeux régionaux ?
L’analyse de la diplomatie sécuritaire marocaine montre qu’elle relève simultanément d’une stratégie planifiée de long terme et d’une réponse pragmatique aux évolutions rapides de l’environnement régional. Cette double dimension constitue l’une des caractéristiques majeures de l’action extérieure du Royaume dans le domaine sécuritaire et explique en grande partie son efficacité opérationnelle ainsi que sa résilience face à des menaces multiformes, transnationales et évolutives.
D’un côté, plusieurs éléments attestent l’existence d’une planification stratégique cohérente et structurée. Sous l’impulsion de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc a progressivement élaboré une vision intégrée de la sécurité, pensée comme un pilier central de la souveraineté nationale et un instrument d’influence internationale. Cette vision s’inscrit dans la durée et repose sur des choix institutionnels clairs, notamment la modernisation des services de sécurité, l’investissement dans les capacités de renseignement et la professionnalisation accrue des forces de sécurité intérieure. À titre d’illustration, la réforme continue des structures de la DGSN et de la DGST, accompagnée par l’introduction de technologies de pointe dans la lutte antiterroriste et la cybersécurité, traduit une anticipation des menaces futures plutôt qu’une simple réaction à des crises ponctuelles.
La multiplication des accords de coopération sécuritaire conclus avec des partenaires stratégiques constitue un autre indicateur fort de cette planification. Ces accords ne se limitent pas à des déclarations d’intention, mais prévoient des mécanismes opérationnels concrets, tels que l’échange systématique de renseignements, la formation conjointe d’unités spécialisées ou la coordination dans la gestion des risques transfrontaliers. La coopération approfondie avec plusieurs pays européens dans le démantèlement de cellules terroristes illustre cette approche structurée depuis le début du 21e siècle, où le Maroc agit comme un partenaire de sécurité fiable et anticipatif grâce à une expertise de renseignement de grande ampleur.
Toutefois, cette stratégie de long terme est indissociable d’un pragmatisme marqué. Le Maroc ajuste continuellement sa diplomatie sécuritaire aux réalités géopolitiques et aux menaces émergentes. L’aggravation de l’insécurité au Sahel, caractérisée par la prolifération de groupes armés, la circulation des armes et l’enracinement de réseaux criminels transnationaux, a conduit le Royaume à intensifier sa coopération sécuritaire avec les pays africains concernés, tout en renforçant la coordination avec les partenaires européens directement exposés aux répercussions de cette instabilité.
Ce pragmatisme se traduit également par une diversification des partenariats. Face aux recompositions régionales et au recul relatif de certains acteurs traditionnels dans la gestion des crises sécuritaires, le Maroc a su se positionner comme un interlocuteur crédible, capable de dialoguer à la fois avec des États africains fragilisés et avec des puissances occidentales. Cette capacité à occuper des espaces laissés vacants est illustrée par l’augmentation des demandes de coopération sécuritaire adressées au Maroc, notamment en matière de formation, de renseignement et de lutte contre les réseaux criminels.
Le Maroc est-il en train de devenir un «hub sécuritaire» pour l’Afrique et la Méditerranée ?
Les évolutions observées en 2024 et 2025 indiquent que le Maroc s’inscrit dans une trajectoire visant à se positionner comme un hub sécuritaire régional, à l’interface de l’Afrique et de la Méditerranée. La notion de hub sécuritaire renvoie à la capacité d’un État à occuper une position centrale dans les réseaux de coopération, à coordonner des initiatives sécuritaires et à exercer une influence normative, institutionnelle et opérationnelle. À cet égard, plusieurs éléments concrets permettent d’étayer l’hypothèse d’un rôle central croissant du Maroc.
Sur le plan géographique, la position du Royaume constitue un atout stratégique majeur. Situé au carrefour de l’Europe, de l’Afrique subsaharienne et du monde arabe, le Maroc se trouve au cœur de routes migratoires, commerciales et sécuritaires essentielles. Cette situation lui permet de jouer un rôle de passerelle entre des espaces aux dynamiques sécuritaires distinctes mais interconnectées.
Sur le plan institutionnel, la reconnaissance croissante du Maroc au sein des organisations internationales de sécurité constitue un indicateur fort de son rôle émergent de hub sécuritaire. L’accès à des fonctions de leadership et la confiance accordée au Royaume pour organiser des événements de portée mondiale traduisent la crédibilité de ses institutions sécuritaires comme l'atteste l'accueil par le directeur général du pôle DGST-DGSN, Abdellatif Hammouchi, au début de ce mois de décembre, d'Alexandre Zouev, nouveau secrétaire général adjoint du Bureau des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme, qui était en visite de travail au Maroc, ou encore la création au Maroc d’un Bureau programme pour la lutte contre le terrorisme, à l'automne 2020, illustrant la centralité du Maroc sur cette thématique. Ces responsabilités permettent au Maroc de servir de plateforme d’échange d’informations, de bonnes pratiques et d’expertises entre différents acteurs régionaux et internationaux.
Au niveau bilatéral, le Maroc a densifié de manière significative son réseau de partenariats sécuritaires. Ces partenariats incluent des coopérations opérationnelles dans le démantèlement de réseaux criminels transnationaux, des programmes de formation destinés aux forces de sécurité africaines, ainsi que des dispositifs conjoints de lutte contre les trafics illicites. Par exemple, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre bénéficient de formations dispensées par des institutions marocaines, ce qui contribue à diffuser des standards professionnels et à renforcer l’interopérabilité des forces de sécurité régionales.
Le Maroc s’affirme également comme un centre de formation et de renforcement des capacités sécuritaires. Les initiatives visant à accueillir des cadres sécuritaires étrangers, à organiser des sessions de formation spécialisées et à promouvoir une approche intégrée de la sécurité participent à la construction d’un rôle de hub régional. Cette dimension est particulièrement visible dans les domaines de la lutte antiterroriste, de la police judiciaire et de la cybersécurité, où l’expertise marocaine est de plus en plus sollicitée.
En quoi la coopération avec Interpol et d’autres organisations internationales renforce-t-elle le poids géopolitique du Royaume ?
La coopération du Maroc avec Interpol et d’autres organisations internationales constitue aujourd’hui un levier central de sa stratégie de puissance alternative, contribuant à renforcer son poids géopolitique sur plusieurs plans : diplomatique, sécuritaire, institutionnel et symbolique. Cette dynamique s’inscrit dans une trajectoire de plus en plus affirmée où le Royaume ne se contente pas d’être un simple bénéficiaire de coopération, mais aspire à peser sur les normes, les agendas et les architectures de gouvernance sécuritaire globale. Au niveau institutionnel, l’intégration du Maroc dans les mécanismes de décision d’organisations internationales, et en particulier au sein d’Interpol, lui confère une tribune stratégique dans les débats mondiaux sur la sécurité.
L’année 2025 a illustré cette montée en puissance par l’organisation par le Maroc de la 93e Assemblée générale d’Interpol à Marrakech, une rencontre qui a rassemblé près de 179 États membres, plus de 800 responsables sécuritaires et 82 chefs de police. L’événement, tenu du 24 au 27 novembre, n’a pas été un simple rendez-vous technique : il a constitué un espace de négociation stratégique où se croisent visions, intérêts nationaux et réponses globale aux défis de la criminalité transnationale, du terrorisme et de la cybercriminalité. Dans ce cadre, le Directeur général de la Sûreté nationale et de la Surveillance du territoire, Abdellatif Hammouchi, a tenu plus de 43 réunions bilatérales avec des délégations issues d’Afrique, d’Europe, d’Asie et des Amériques, abordant des initiatives concrètes de coopération policière et d’échange de renseignements.
Ces rencontres ont permis de structurer de nouveaux partenariats, d’approfondir des cadres de coopération opérationnelle et d’affirmer le rôle du Maroc comme interlocuteur fiable sur les questions de sécurité. La signature d’accords avec des forces de police éthiopiennes, norvégiennes et d’autres partenaires illustre cette dynamique. Plus encore, l’exécution en 2025 de centaines de commissions rogatoires internationales et l’arrestation de personnes recherchées dans plusieurs pays renforcent l’idée que le Maroc n’est plus un bénéficiaire passif, mais un acteur actif dans la production de sécurité transnationale.
Être perçu comme un partenaire crédible dans la lutte contre des menaces globales : terrorisme, trafic de drogues, cybercriminalité, accroît son pouvoir de négociation avec des puissances européennes, des organisations régionales africaines et des institutions internationales. Dans un monde où la sécurité constitue un argument clé de partenariat, cette réputation se transforme en atout diplomatique. L’option marocaine de promouvoir une coopération Sud-Sud en matière de sécurité, par exemple vers des pays africains partenaires, renforce aussi sa légitimité régionale et sa capacité à offrir des solutions locales plutôt que dépendre exclusivement des acteurs occidentaux classiques.
Peut-on dire que l’organisation d’événements comme la CAN 2025 ou la Coupe du monde 2030 sert la diplomatie du Maroc autant que son image ? Et comment ces rendez-vous sportifs contribuent-ils à renforcer les alliances régionales, notamment avec l’Espagne et le Portugal ?
Dans un contexte où le sport de haute compétition est devenu un vecteur de soft power, ces événements offrent au Royaume des opportunités uniques d’affirmer sa stature politique, d’accélérer ses ambitions d’intégration régionale et de renforcer ses alliances stratégiques, en particulier avec l’Espagne et le Portugal. D’une part, ces événements servent de plateformes d’exposition mondiale par le «nation branding», projetant le Maroc sur la scène internationale comme un pays capable d’organiser des manifestations de très grande envergure. Pour le Maroc, la CAN agit comme un laboratoire diplomatique, logistique et organisationnel en vue de l’événement encore plus stratégique qu’est la Coupe du monde 2030, co-organisée avec l’Espagne et le Portugal. Cette collaboration tripartite constitue un tournant géopolitique sans précédent : pour la première fois, une édition de la Coupe du monde sera organisée conjointement sur deux continents, soulignant une coopération approfondie entre l’Afrique et l’Europe. Ce format symbolise non seulement un pont physique et culturel, mais également une alliance politique renforcée entre les trois nations.
L’Espagne, plus grand partenaire commercial du Maroc, a vu ses relations avec Rabat se renforcer après avoir soutenu le plan d’autonomie marocain pour les provinces du Sud. La perspective de co-organiser un événement planétaire comme la Coupe du monde 2030 consolide cette alliance en lui donnant un contenu concret et visible, dépassant les seules relations économiques et sécuritaires pour intégrer des valeurs culturelles et sociales partagées, comme l'héritage arabo-andalou présent en Andalousie comme au nord du Maroc.
En outre, ces événements permettent au Maroc de construire une narrative diplomatique positive : celle d’un pays moderne, dynamique, capable d’œuvrer pour la paix, l’unité et la coopération interculturelle. Cette narrative est cruciale dans un contexte international où l’image d’un pays peut influencer les décisions d’investissement, d’alliance et d’intégration régionale. La CAN 2025, en particulier, sert de vitrine pour l’Afrique face au monde, et la Coupe du monde 2030 représente une scène de coopération euro-africaine d’une ampleur inédite. Le renforcement des coopérations institutionnelles et politiques permet au pays d'avoir un rôle de pont structurel entre l’Afrique et l’Europe, tout en consolidant ses aspirations à jouer un rôle de puissance régionale reconnue sur la scène internationale.
Peut-on parler d’une «sécurité inclusive» au Maroc, où la stabilité intérieure et l’image extérieure s’alimentent mutuellement ?
Sur le plan purement sécuritaire, les statistiques récentes montrent des progrès substantiels. Le rapport 2025 de la DGSN indique une baisse de 10% de la criminalité violente en 2025, une hausse du taux de résolution des affaires à 95%, et des efforts accrus contre le trafic de drogue, avec plus de 170 tonnes de cannabis et 1,7 tonne de cocaïne saisies, ainsi que la démantèlement de 105 réseaux de migration illégale et l’interception de plusieurs dizaines de milliers de tentatives de migration irrégulière. Parallèlement, le Maroc affiche l’une des performances les plus marquantes d’Afrique du Nord en matière de lutte antiterroriste : il est classé dans la catégorie à «zéro impact du terrorisme» selon l’Indice mondial du terrorisme 2025.
Ces indicateurs techniques sont des leviers essentiels de la stabilité intérieure et contribuent directement à projeter une image de sécurité solide à l’extérieur : un pays jugé sûr attire non seulement des investissements, mais aussi des grandes manifestations internationales, des missions diplomatiques et des partenariats stratégiques. La dialectique entre stabilité intérieure et image extérieure s’alimente dans ce contexte : des indicateurs sécuritaires solides renforcent la crédibilité internationale du Maroc et servent les objectifs diplomatiques ou économiques du pays. Au final, le concept de sécurité inclusive existe en projet, stimulé par des résultats tangibles, mais demeure inachevé sur ses volets sociétaux.
À votre avis, quels sont les risques sécuritaires majeurs auxquels le Maroc doit se préparer dans la perspective du Mondial 2030 ?
La perspective de la Coupe du monde de la FIFA 2030 offre au Maroc une opportunité de rayonnement international sans précédent, mais elle expose aussi le pays à des risques sécuritaires multiformes qui exigent une anticipation stratégique rigoureuse. Ces risques ne se limitent pas à de simples défis logistiques, mais touchent des dimensions criminelles, sociopolitiques, cybernétiques et géopolitiques. La tenue d’un événement d’envergure mondiale implique une présence massive d’acteurs, de visiteurs et de flux transnationaux qui peuvent être exploités par des réseaux criminels. Malgré une baisse notable de la criminalité violente enregistrée en 2025 (-10%) et un taux de résolution des affaires de 95%, certains trafics persistent, notamment ceux liés aux drogues et à l’immigration irrégulière, avec plus de 106.000 affaires traitées et des saisies significatives de substances illicites selon les rapports policiers récents.
Le défi majeur pour 2030 sera donc la convergence des menaces criminelles et terroristes, caractérisée par des réseaux hybrides où les trafiquants servent de vecteurs logistiques aux organisations terroristes, ce qui nécessite une coopération internationale approfondie et des capacités accrues d’anticipation et de renseignement. La préparation d’un Mondial implique une digitalisation massive des services (billetterie, transport, communications, systèmes de sécurité), exposant ces systèmes à des risques accrus de cyberattaques ciblées, de vols de données personnelles ou de détournement d’infrastructures numériques. Le renforcement des défenses cybernétiques et des capacités d’intervention rapide doit donc être une priorité stratégique.
