Hicham Oukerzaz
06 Octobre 2023
À 18:20
«C’est à vous, jeune génération, que j’ai l’honneur et le bonheur de m’adresser. Vous serez celles et ceux, hommes et femmes, qui aurez à relever le plus grand défi que l’humanité ait jamais rencontré». Ainsi s’est adressé
Jean-Luc Mélenchon aux jeunes venus en nombre assister à la conférence qu’il a animée à Casablanca à l’initiative de la
Fondation Links. Devant un auditoire captivé, M. Mélenchon, qui est venu également présenter son livre «Faites mieux ! vers la révolution citoyenne», a évoqué les préoccupations mondiales exprimées par le Secrétaire général de l'ONU, qui a averti il y a quelques jours que «l’effondrement a commencé !»
Pour le deuxième rendez-vous de sa troisième saison, «Book Club Le Matin» a reçu un fin connaisseur de l'histoire du Maroc. Bernard Lugan, qui n’est pas à présenter, a proposé à l’assistance, qui a afflué en nombre ce lundi 2 octobre à l’hôtel Onomo à Casablanca, un échange nourri autour de son livre «Histoire du Maroc : des origines à nos jours». L’auteur, qui ne cache pas son admiration pour «l’étendue et la profondeur de ce Royaume millénaire», estime qu’il est unique dans son environnement maghrébin en ce sens qu’il a existé en permanence depuis la dynastie des Idrissides. Pour M. Lugan, l'approche de l’immédiateté, que d’aucuns ont tendance à appliquer s’agissant de l’analyse de l’histoire du Maroc, «est une approche castratrice, car elle le dépouille de toute sa profondeur. Au moment de la colonisation, le Maroc était dans une phase de décadence comme tous les vieux États. Mais sa puissance va bien au-delà», souligne-t-il.
«La civilisation est mise au défi de ses actes» et «le changement climatique est en réalité une bifurcation de l’écosystème en direction de sa destruction et rien ne sert d’arrondir les angles et de faire comme si nous ne le savions pas», souligne M. Mélenchon. «On pensait qu’on avait le temps», dit le leader politique français, ajoutant que «la loi et le vote de la loi, semblait-il, étaient inscrits dans une temporalité au fond sans délai». Mais, souligne-t-il, «maintenant, nous sommes dans le monde des délais. Nous affrontons des délais. Et si nous ne sommes pas prêts dans les délais à apporter la réponse, alors nous périrons ou, plus exactement, la civilisation humaine, au point où nous l’avons rendue (...) s’effondrera. Et c’est ce que nous dit le SG de l’ONU».
La fluctuation du nombre est la véritable dynamique de l’histoire
«Et si je viens vous en parler, ce n’est pas pour répandre je ne sais quel catastrophisme qui vous couperait les jambes et vous dégoûterait de vivre», fait remarquer le leader des «Insoumis», répliquant à ceux qui avancent que «le temps étant cyclique, on revoit tout le temps les mêmes événements» que cette fois-ci la situation est bien différente. À présent, soutient M. Mélenchon, l’humanité est confrontée à un fait radicalement nouveau qui est «notre nombre». «La véritable clé pour comprendre l'évolution de l'
histoire de l'humanité, toujours et en toutes circonstances, est désormais déduite des fluctuations du nombre d'êtres humains», soutient-il.
«J’espère être des derniers témoins d’un événement que je ne vous souhaite pas. Nous sommes la génération qui aura vu pour la première fois deux doublements de la population humaine. Eh bien, je ne vous souhaite pas maintenant que nous voici à 8 milliards, qu’à votre tour vous en observiez 16 puis 32. Car à un milliard, le capitalisme était immoral, à 8 milliards, c’est un suicide», explique le leader politique. Et de rappeler que «390.000 ans ont été nécessaires pour atteindre le premier milliard d’
êtres humains». Il n’aura fallu que cent ans pour atteindre le second dans les années cinquante», poursuit M. Mélenchon, affirmant que «c’est à partir de 1950 qu’on voit toutes les courbes s’envoler :
consommation d’énergie, consommation de
matières premières,
consommation d’eau, etc., tout s’envole ! Et ensuite, c’est tous les 10 ou 12 qu’il y a un milliard d’humains de plus».
Il ne faut pas compter sur le capitalisme pour qu’il se corrige de lui-même
Devant cette
croissance démographique exponentielle, le système capitaliste, dont la dynamique tient au «capital qui produit des marchandises qui produisent de l’argent qui reproduit du capital», se refuse à toute tempérance. Cette dynamique du capitalisme consiste à aller toujours de l’avant, comme le disait
Lionel Jospin : «le capitalisme est une grande force qui va, mais qui ne sait pas où». Ce capitalisme, relève M. Mélenchon, «est le seul système productif qui se nourrit de ses propres turpitudes, c’est-à-dire qu’il gagne des sous à détruire et qu’il en regagne à construire». «Ce système est-il capable de trouver en lui-même un régulateur». «Non ! il n’en a pas. Il n’a qu’un régulateur : le marché», répond le leader politique, qui est d’avis qu’on «ne peut pas compter sur le système pour qu’il se corrige, ni se modère». «Je ne suis pas un lanceur d’alerte. Cette alerte a été faite par plus pertinent que moi avant», dit-il, appelant les jeunes générations «à faire mieux que ce que sa génération a fait, croyant bien faire».
Mélenchon appelle la France à tourner la page de «l’arrogance»
Lors d'une rencontre avec des journalistes à Amizmiz, mercredi dernier, Jean-Luc Mélenchon a fait part de ses préoccupations sincères concernant l'état actuel des relations entre la France et le Maroc et a plaidé en faveur de l'ouverture d'une nouvelle page. «Il faut tourner la page de l'arrogance», a déclaré le leaders des «Insoumis», ajoutant que «les relations de la France et du Maroc doivent s'améliorer». «Cette manière de regarder le Maroc de haut m'est encore plus insupportable en voyant ce que je vois ici», a-t-il déploré.
Lorsqu'il a été interrogé sur la question du
Sahara marocain, M. Mélenchon a choisi ses mots avec précaution, rappelant qu'il n'était pas venu au Maroc pour se prononcer sur des sujets aussi sensibles. Cependant, il n'a pas évité la question et a exprimé son respect pour la diplomatie marocaine qui, d’après lui, «est une diplomatie très efficace» et qui a pendant des années «permis que tout le monde s’y retrouve en étant d’accord avec les résolutions des Nations unies». Il a également noté que les positions des
États-Unis, d'Israël et de l'
Espagne, qui soutiennent la souveraineté marocaine sur le Sahara, ont eu un impact sur la perception mondiale de cette question. M. Mélenchon a plaidé pour que la France comprenne cette évolution et évite de transformer cette question en source de querelle avec les Marocains, soulignant que «ce ne serait pas juste». Enfin, le leader politique a appelé à une approche réaliste du dossier du
Sahara, reconnaissant que le Maroc a mis sur la table des propositions intéressantes et qui doivent être considérées.