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L'Agence judiciaire du Royaume en quête de renforts face à l'explosion des affaires

Le rapport annuel 2024 de l'Agence judiciaire du Royaume lève le voile sur une réalité préoccupante : l'institution fait face à une charge de travail en constante augmentation avec des moyens humains limités. Les nouvelles affaires ont bondi de 15% en un an pour atteindre 21.218 dossiers, soit près du double du niveau enregistré il y a dix ans. Or l'effectif de 170 fonctionnaires, dont seulement 111 cadres affectés au contentieux, apparaît nettement insuffisant au regard des besoins estimés à 300 agents. Malgré ces contraintes, l'institution a produit 38.487 documents, participé à 3.162 expertises et assuré l'assistance de 2.213 fonctionnaires victimes d'agressions. Un équilibre fragile qui interroge sur la soutenabilité du modèle.

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Le constat est sans appel. En l'espace d'une décennie, le volume des affaires traitées par l'Agence Judiciaire du Royaume a pratiquement doublé, passant de 10.930 dossiers en 2014 à 21.218 en 2024, indique l’Agence dans son dernier rapport au titre de l’année 2024. Cette progression de 94% illustre l'intensification du contentieux impliquant l'État, dans un contexte de multiplication des projets publics et d'élargissement du périmètre d'intervention des administrations. Le rapport annuel 2024 de cette direction du ministère de l'Économie et des finances détaille l'ampleur du défi organisationnel auquel l'institution est confrontée.

21.218 nouvelles affaires : une hausse de 15% en un an

L'exercice 2024 a enregistré une augmentation significative du flux entrant. Selon le document, l'Agence judiciaire a reçu 21.218 nouvelles affaires, contre 18.395 l'année précédente. Cette progression de 15% confirme une tendance structurelle à la hausse du contentieux de l'État. La ventilation par nature de contentieux révèle la prépondérance des affaires administratives, qui représentent 58% du total avec 12.308 dossiers. Viennent ensuite les affaires portées devant les juridictions ordinaires (8.040 dossiers, soit 38%) et les procédures amiables (870 dossiers, soit 4%). Les recours de pleine juridiction dominent largement avec 43% de l'ensemble, suivis des recours en annulation (15%).

Cinq ministères concentrent près de la moitié du contentieux

L'analyse sectorielle met en lumière une concentration marquée des litiges. Le rapport indique que «cinq seulement d'entre eux (les départements ministériels) concentrent près de la moitié des nouvelles affaires, soit 47%», représentant 10.099 dossiers sur le total. Cette répartition s'explique par la nature même des missions exercées. Les rédacteurs du rapport soulignent que «les missions de certains ministères, leur rôle dans la mise en œuvre des politiques publiques, la gestion des infrastructures et des services essentiels, ainsi que la réalisation de projets structurants et la prestation de services publics, les exposent davantage à l'émergence de contentieux». Sur le plan géographique, trois régions accaparent l'essentiel des affaires : Rabat-Salé-Kénitra arrive en tête avec 29,31%, suivie de Casablanca-Settat (24,39%) et Marrakech-Safi (18,48%).

170 agents pour un besoin estimé à 300

C'est sur le volet des ressources humaines que le rapport se fait le plus explicite quant aux difficultés rencontrées. L'effectif total de l'Agence judiciaire s'établit à 170 fonctionnaires, dont 111 cadres chargés du contentieux, 52 agents assurant des tâches d'appui et 7 fonctionnaires dédiés à la gestion de la connaissance. Le document ne cache pas l'insuffisance de ces moyens. «La préparation des mémoires et plaidoiries, les déplacements vers les différentes juridictions du Royaume, la présence aux séances d'instruction et aux expertises, la correspondance avec les administrations (...) exigent à elles seules environ 50 agents par division, soit un total estimé à 300 agents pour l'ensemble des divisions», peut-on lire. L'écart avec les 170 agents disponibles paraît considérable.

38.487 documents produits, 3.162 expertises suivies

Malgré ces contraintes, l'activité de l'institution demeure soutenue. Le rapport fait état de 38.487 documents émis au cours de l'année, répartis entre correspondances (73%), mémoires et plaintes (23%) et mandatements d'honoraires (4%). En parallèle, 18.326 documents ont été reçus des partenaires, dont 3.268 via la plateforme électronique «Tabadoul». La participation aux mesures d'instruction représente une charge considérable. L'Agence judiciaire a reçu 9.287 convocations pour assister aux expertises, audiences et séances d'instruction, dont 3.162 convocations relatives aux expertises ordonnées par les différentes juridictions. Ces expertises portent principalement sur les domaines immobilier, comptable et médical. Le rapport reconnaît les difficultés logistiques que cela engendre : «Afin d'assurer la défense des intérêts de l'État, l'Agence judiciaire du Royaume veille à être présente à toutes les expertises, y compris celles qui se déroulent dans les régions éloignées».

2.213 fonctionnaires victimes d'agressions assistés

Parmi les missions de l'institution figure l'assistance juridique aux agents de l'État victimes de violences dans l'exercice de leurs fonctions. Au titre de l'année 2024, l'Agence Judiciaire a pris en charge 2.213 dossiers de cette nature, en baisse de 9,3% par rapport à 2023. Sur la période 2020-2024, ce sont au total 10.164 fonctionnaires qui ont bénéficié de cet accompagnement. Le rapport précise que l'institution intervient «en coordination avec les administrations concernées» pour «engager des actions en vue de réclamer des indemnités en leur faveur».

Poursuites de fonctionnaires et évacuations : les autres fronts du contentieux

Le document livre également des statistiques relatives aux poursuites pénales engagées à l'encontre d'agents publics. L'Agence judiciaire a reçu 1.690 avis de poursuites au cours de l'exercice, conformément à l'article 3 du Code de procédure pénale. La répartition par nature d'infraction révèle que la moitié (50%) concerne des violations de règlements administratifs, tandis que 8,8% portent sur des infractions et délits liés aux blessures. Les autres infractions représentent 41,2% du total.

Le contentieux immobilier mobilise également d'importantes ressources. L'Agence judiciaire assure le suivi des procédures d'évacuation des logements administratifs et de fonction occupés illégalement. En 2024, l'institution a obtenu 378 jugements d'évacuation et procédé à l'évacuation effective de 205 logements sur l'ensemble du territoire national. Cette mission s'inscrit dans «la protection du domaine public et la rationalisation de la gestion du parc immobilier de l'État», précise le rapport.

Face à l'ampleur des défis, le document évoque la perspective d'une révision de l'organisation structurelle de l'Agence judiciaire, avec notamment la création d'une division dédiée aux marchés publics et aux contrats administratifs. L'enjeu est de taille : maintenir le niveau de performance atteint tout en absorbant une charge de travail croissante, dans l'attente hypothétique de renforts humains.
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