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Comment l’Agence judiciaire du Royaume anticipe les litiges

Prévenir plutôt que guérir. Cette maxime semble désormais guider l’action de l’Agence judiciaire du Royaume, dont le rapport annuel 2024 met en lumière un virage stratégique majeur vers l’anticipation des contentieux. Lancement de la plateforme «Mouwakaba» pour les consultations juridiques en ligne, création du centre d’appel «Nidaa» dédié aux urgences, doublement des séances de conciliation entre administrations publiques... l’institution déploie un arsenal de mesures préventives. Au cœur de cette démarche, une étude inédite portant sur l’analyse de près de 9.000 jugements a permis d’identifier 40 types de risques contentieux et de proposer 26 mesures de prévention. Le plan stratégique 2024-2028 ambitionne de réduire le volume des litiges en amont.

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Les données du rapport de l’Agence judiciaire du Royaume (AJR), publié au titre de l’année 2024, dressent un constat sans appel : l’administration fait face à une vague croissante de litiges, enregistrant un total de 21.218 nouvelles affaires reçues, ce qui représente une augmentation de 15% par rapport à 2023. C’est dans ce contexte d’explosion du contentieux que l’État a formalisé une réponse stratégique majeure. Le Plan stratégique 2024–2028 de l’AJR marque en effet un basculement décisif, reposant sur une nouvelle approche de gestion du contentieux de l’État, fondée sur l’anticipation et la prévention. Il s’agit de passer d’une logique de jugement subi à une culture du conseil et de l’intervention précoce pour atténuer les risques juridiques en amont.



Parmi les innovations phares de l’exercice écoulé de l’AJR figure le lancement de la plateforme numérique «Mouwakaba». Accessible à l’adresse «mouwakabaajr.finances.gov.ma», ce service constitue, selon les termes du rapport, «un nouveau service numérique offrant un espace interactif dédié à la réception des demandes d’avis émanant des administrations publiques». L’objectif affiché est double : accélérer le processus de consultation juridique et assurer une intervention précoce afin d’éviter que les divergences ne se transforment en contentieux judiciaires. Les rédacteurs du document soulignent que cette plateforme répond à un besoin croissant d’accompagnement des administrations confrontées à des questions juridiques complexes. Au titre de l’année 2024, l’Agence judiciaire a traité quelque 60 consultations juridiques, un chiffre appelé à croître avec la montée en puissance de l’outil numérique. Parallèlement à la plateforme digitale, l’institution a mis en place un centre d’appel baptisé «Nidaa». Joignable au numéro (212) 530.400.047, ce service permet aux administrations et établissements publics de communiquer directement avec les équipes d’appui de l’AJR. Le rapport précise la vocation de ce dispositif : «fournir conseils et orientations en cas d’urgence concernant certaines mesures préventives liées aux contentieux d’investissement, à l’arbitrage ainsi qu’à la défense des intérêts de l’État». Cette réactivité accrue vise à désamorcer les situations potentiellement conflictuelles avant qu’elles n’atteignent le stade judiciaire. En amont de ces outils opérationnels, l’Agence judiciaire a conduit un travail d’analyse sans précédent. Le document révèle que 8.963 jugements ont été passés au crible pour identifier les sources récurrentes de contentieux. Cette étude approfondie a permis de répertorier «40 types de risque de contentieux» et de formuler «26 mesures de prévention proposées». Cette démarche de veille juridique s’est accompagnée de la création d’une cellule dédiée, chargée d’assurer un suivi permanent de l’évolution jurisprudentielle et réglementaire. L’enjeu est de taille : anticiper les facteurs générateurs de litiges pour permettre aux administrations d’adapter leurs pratiques en conséquence.

Le rapport met également en exergue la dynamique croissante du recours aux modes alternatifs de règlement des différends entre personnes publiques. Instituée par la circulaire du Chef du gouvernement n°10/2021 du 19 mai 2021, la procédure de conciliation entre administrations publiques connaît un essor notable. Les chiffres sont éloquents : le nombre de séances de conciliation a plus que doublé, passant de 14 en 2023 à 30 en 2024. Sur ce total, 11 dossiers ont été réglés à l’amiable et de manière définitive. Le document indique que les agences de distribution d’eau et d’électricité ainsi que les agences des bassins hydrauliques arrivent en tête des demandes de médiation, suivies par l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail avec 7 demandes. Cette progression traduit, selon les rédacteurs, «une prise de conscience progressive de l’importance des modes alternatifs de règlement des différends, favorisant la solidarité entre les institutions publiques et renforçant la cohérence de l’action publique». La prévention du contentieux s’étend également au domaine sensible de l’investissement. Le rapport fait état de l’examen de 190 projets d’investissement au cours de l’année 2024, dans le cadre des travaux des commissions nationales, techniques et centrales chargées de leur préparation et de leur suivi. L’Agence judiciaire a participé à 26 réunions de ces commissions, contribuant à l’amélioration de la qualité des contrats et conventions d’investissement. Cette implication en amont vise à «assurer la conformité des engagements avec le droit national et les obligations internationales du Royaume» et à «prévenir l’émergence de différends susceptibles d’entraver la réalisation des projets».

La stratégie préventive passe enfin par un volet formation ambitieux. Le document recense 25 sessions de formation dispensées au profit de 161 bénéficiaires issus de diverses administrations partenaires. Deux sessions emblématiques ont ciblé les cadres de l’Agence nationale de la sécurité routière et ceux de la Direction générale de la Protection civile. Ces programmes abordent tant les domaines d’intervention de l’Agence judiciaire que les stratégies de prévention du contentieux, la gestion des dossiers litigieux ou encore le système d’information intégré «SIGILE». Par cette diffusion des bonnes pratiques, l’institution entend créer un effet de levier, démultipliant sa capacité d’action à travers l’ensemble de l’appareil administratif. Ce tournant stratégique répond à un constat lucide : malgré les succès enregistrés dans la défense judiciaire, la prévention demeure le moyen le plus efficace et le moins coûteux de protéger les intérêts de l’État. La mise en œuvre du plan 2024-2028 dira si ce pari basé sur l’anticipation sera gagnant.
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