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Prise en charge des seniors et garde d’enfants : deux freins majeurs à l’emploi des femmes

Les femmes devraient-elles continuer à payer le prix des transitions démographiques qui s’accélèrent ? Alors que la population marocaine vieillit à un rythme soutenu, le dernier rapport sur le budget axé sur le genre tire la sonnette d’alarme. Il révèle que les femmes assument encore l’essentiel de la prise en charge des enfants et des personnes âgées, un fardeau invisible qui risque de s’alourdir avec la hausse continue du nombre de seniors. Ces deux responsabilités – la garde des enfants et les soins aux aînés – constituent aujourd’hui les principaux freins à l’accès des femmes au marché du travail : selon l’Enquête nationale sur l’emploi (2021), 63% des femmes inactives évoquent les tâches domestiques et la garde d’enfants comme raison principale de leur retrait, tandis que 74% des femmes inactives sont des femmes au foyer, dont plus de la moitié citent l’absence de solutions de garde comme principal obstacle à l’emploi.

27 Octobre 2025 À 10:30

Les femmes continuent de payer les frais de leur statut de femmes. Contraintes de prendre en charge à la fois les enfants et les personnes âgées, elles peinent à trouver leur place dans le marché de l’emploi. C’est ce que révèle le dernier rapport sur le budget axé sur les résultats tenant compte de l’aspect genre, publié par le ministère de l’Économie et des finances.

Alors que le Maroc traverse une transformation démographique accélérée, marquée par la nucléarisation des familles et le vieillissement de la population, les femmes demeurent les principales gardiennes du travail invisible. Le rapport met en lumière une réalité édifiante : les femmes génèrent 84% de la valeur ajoutée domestique, contre seulement 16% pour les hommes.

Une disproportion frappante qui illustre à quel point le fardeau du soin non rémunéré – enfants, personnes âgées, tâches ménagères – repose encore sur leurs épaules. Avec la disparition progressive des solidarités familiales élargies, elles se retrouvent prises entre deux exigences contradictoires : prendre soin des plus jeunes tout en veillant sur les aînés dépendants. Cette double implication alourdit leur charge mentale, réduit leurs possibilités d’éducation et d’emploi, et limite leurs perspectives de revenus.



Vieillissement démographique et crise du soin Le hic, c’est que cette situation risque de s’aggraver. Le Maroc fait face à une transition démographique rapide. Selon les données du rapport, le taux de dépendance des plus de 60 ans est passé de 15,1% en 2014 à 23,1% en 2024, et pourrait atteindre près de 40% à l’horizon 2050. Dans le même temps, l’indice de vieillissement a bondi de 33 à 52 personnes âgées pour 100 jeunes en dix ans, et pourrait grimper jusqu’à 129 d’ici 2050. Ces mutations bouleversent la structure sociale et posent avec acuité la question de la soutenabilité du modèle de prise en charge fondé sur la solidarité familiale. Mais cette solidarité repose presque entièrement sur les femmes, véritables piliers des soins de longue durée. Épouses, filles, belles-filles... elles prennent en charge, souvent sans soutien ni reconnaissance, les personnes âgées dépendantes. La réduction de la taille des fratries et la mobilité géographique accrue limitent encore davantage les relais intrafamiliaux, concentrant ces responsabilités sur un nombre restreint d’aidantes familiales. Ce phénomène accentue la fatigue physique et émotionnelle de ces femmes, tout en les éloignant du marché du travail et en accentuant leur dépendance économique.

Les femmes face au dilemme du soin et de l’emploi

Le soin aux personnes âgées n’est pas le seul obstacle à l’intégration des femmes dans la vie active. La garde des enfants demeure également un frein majeur à leur participation économique. D’après l’Enquête nationale sur l’emploi (2021) citée dans le rapport, 63% des femmes inactives (hors étudiantes) affirment que la garde des enfants et les tâches ménagères constituent la principale raison de leur retrait du marché du travail. Le Haut-Commissariat au Plan (2024) confirme ce constat : 74% des femmes inactives sont des femmes au foyer, et plus de la moitié (54%) invoquent l’absence de solutions de garde comme principal obstacle à l’emploi. Dans un contexte où la famille élargie s’efface au profit de la famille nucléaire, les soutiens traditionnels disparaissent, laissant les femmes seules face à la charge domestique et éducative. Résultat : une charge mentale accrue, des arbitrages douloureux entre vie professionnelle et vie familiale, et une marginalisation persistante sur le marché du travail formel, où le taux de participation féminine a chuté à 19,1% en 2024, contre 30,4% en 1999. Une régression alarmante qui traduit un gaspillage de compétences et un manque à gagner économique pour l’ensemble du pays.

Vers une économie du soin : une voie d’avenir

Pour faire face à cette situation, le rapport plaide pour la mise en place d’une véritable économie du soin, reconnue comme un levier stratégique d’inclusivité et de développement durable. De nombreuses institutions internationales la qualifient de «boussole du développement», capable d’allier croissance économique, équité sociale et bien-être collectif. Le rapport met également en avant une autre piste : le développement du préscolaire comme solution structurelle. Une étude conjointe du ministère de l’Économie et des finances, d’ONU Femmes et de l’Organisation internationale du travail (OIT) révèle que la généralisation du préscolaire pourrait produire des effets considérables.

Atteindre les objectifs du Programme national de généralisation et de développement du préscolaire (PNGDP) – soit 100% de préscolarisation des enfants de 4 à 5 ans d’ici 2028 – permettrait de créer environ 52.000 emplois, dont 90% reviendraient aux femmes. Au-delà des chiffres, il s’agirait d’un gain qualitatif majeur, en offrant aux femmes des postes plus qualifiés et mieux valorisés, contribuant ainsi à rééquilibrer les rapports économiques et sociaux.

Le prix caché du progrès démographique

En conclusion, le rapport met en évidence une vérité fondamentale : l’autonomisation économique des femmes ne peut se concevoir sans une refonte des politiques publiques de soin et d’éducation. Tant que la garde des enfants et la prise en charge des personnes âgées resteront non reconnues, non valorisées et non soutenues, les femmes continueront de payer le prix caché du progrès démographique. Face au vieillissement rapide de la population et à la mutation des structures familiales, la construction d’une économie du soin solide, inclusive et accessible apparaît désormais comme une urgence nationale – et la condition essentielle d’un développement équitable et durable.
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