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Le Maroc compte de plus en plus de femmes diplômées en dehors du marché du travail, déplore la Banque mondiale

C’est un grand paradoxe du marché de l’emploi marocain que vient de soulever un rapport de la Banque mondiale. Alors que le nombre de femmes diplômées n'a jamais été aussi élevé, leur participation au marché du travail stagne, voire régresse. Une situation d’autant plus déplorable que la Banque mondiale parle de «gâchis de talents» et de frein majeur à la croissance économique. Son dernier rapport intitulé «Emplois et femmes, talents inexploités, croissance non réalisée», présenté mardi à Rabat, dresse un constat sans appel sur les obstacles structurels et culturels qui continuent d'empêcher les Marocaines de participer pleinement à l'économie nationale, alors même que le Royaume peine à suivre le rythme des progrès enregistrés dans d'autres pays de la région.

12 Novembre 2025 À 17:15

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C’est un constat sans appel que vient de dresser Roberta Gatti, économiste en chef pour la région Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afghanistan et Pakistan à la Banque mondiale, lors de son intervention dans le cadre d’une conférence à Rabat. Selon cette haute responsable, la participation économique des femmes dans la région MENAAP (MENA+Afghanistan et Pakistan) reste la plus faible au monde, quel que soit le niveau de revenu des pays ou le milieu, urbain comme rural. Cette réalité préoccupante apparaît clairement dans le nouveau rapport «Emplois et femmes, talents inexploités, croissance non réalisée», dont les grands traits ont été présentés lors d'une conférence tenue mardi dernier.

Le Maroc, un élève en difficulté

Dans le détail, Mme Gatti souligne que bien que certains pays de la région enregistrent des progrès notables – à l'image de l'Arabie saoudite où la participation féminine est passée de 20 à 34% en dix ans –, le Maroc, lui, stagne. Pis encore, le Royaume, aux côtés de l'Égypte, de l'Iran et de la Jordanie voit même certaines de ses jeunes générations de femmes diplômées participer moins au marché du travail que leurs aînées. «Dans certains de ces pays, la participation des femmes hautement diplômées a stagné, voire diminué», alerte Mme Gatti, pointant du doigt un paradoxe inquiétant pour l'avenir économique de la région.

Le poids des normes sociales et des barrières structurelles

Mais comment expliquer ce paradoxe ? Selon la même responsable, la situation découle d'un enchevêtrement de contraintes qui se renforcent mutuellement. «Les facteurs contextuels, tels que des normes sociales restrictives et des lois inégalitaires, réduisent à la fois la participation des femmes au marché du travail ainsi que la demande d'emplois», explique l'économiste en chef. Ces normes, souvent perçues comme plus rigides qu'elles ne le sont réellement, se manifestent concrètement par des freins multiples : des transports peu fiables et parfois peu sûrs, un accès limité et coûteux aux services de garde d'enfants et des réticences culturelles à utiliser ces services, surtout pour les très jeunes enfants.

Du côté de la demande, le tableau n'est guère plus reluisant. Le secteur privé de la région demeure peu dynamique et génère un nombre insuffisant d'emplois de qualité. La discrimination de genre y persiste, particulièrement dans les petites entreprises et les secteurs en contact avec la clientèle. Paradoxalement, l'attractivité du secteur public oriente les femmes les plus qualifiées vers ces carrières, au détriment de l'entrepreneuriat et du secteur privé.

Face à cette situation complexe, les solutions partielles montrent leurs limites. «Les mesures partielles sont insuffisantes. Par exemple, la seule élimination de la discrimination à l'embauche n'aurait qu'un effet limité si les normes familiales et les coûts liés à la garde d'enfants demeurent contraignants», souligne le rapport. La Banque mondiale prône plutôt une approche globale qui combine plusieurs leviers d'action.

Les normes sociales en question

La stratégie doit notamment cibler ouvertement les normes sociales, grâce à des campagnes qui corrigent les perceptions erronées et mettent en avant des modèles féminins inspirants. Les réformes juridiques sont tout aussi cruciales : adoption de lois garantissant l'égalité de rémunération, suppression des restrictions professionnelles obsolètes et protection effective contre le harcèlement. Le rapport prône également le développement d'infrastructures adaptées – transports publics fiables, services de garde abordables, éclairage public sécurisant. Les experts soulignent en outre l’importance de promouvoir l'accès des femmes aux postes de direction et à l'entrepreneuriat. Un changement qui pourrait générer des effets multiplicateurs bénéfiques pour l'ensemble de l'économie.

Une urgence économique

En effet, au-delà de l'impératif d'équité, l'enjeu est fondamentalement économique. «La région ne peut plus se permettre de laisser inutilisée la moitié de son talent. L'augmentation de la participation des femmes constitue un enjeu fondamental pour soutenir la croissance économique», insiste Mme Gatti. Les analyses de la Banque mondiale montrent clairement que les plus grands bénéfices proviennent de réformes globales et mutuellement renforcées. Alors que le coût de l'inaction ne cesse de croître, les retours potentiels d'une action audacieuse et coordonnée pourraient être exceptionnels. Le message est clair : libérer le potentiel économique des femmes n'est plus une simple option politique, mais une nécessité impérieuse pour l'avenir économique de toute la région MENAAP.
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