Yousra Amrani
21 Février 2025
À 17:26
Pour le ministre de la Justice,
Abdellatif Ouahbi, le
Code de la famille en cours de révision est l’un des textes juridiques les plus complexes, puisqu’il représente «la ligne de démarcation entre la modernité et d’autres courants». Intervenant lors la conférence organisée par le
Parti du progrès et du socialisme (PPS) jeudi dernier à Rabat, M. Ouahbi a souligné le flux et le reflux caractérisant les discussions autour de la
Moudawana, avançant par moments et reculant à d’autres. «Mais ce débat se poursuivra inévitablement», a-t-il assuré.
Nécessité d’adapter le Code pénal à la réalité de la société
Abordant la
réforme du Code pénal, le ministre PAM a insisté sur la nécessité d’adapter le cadre législatif aux mutations de la société. Il a reconnu toutefois que ce texte suscitait un débat particulièrement sensible, notamment en raison de deux questions majeures : la peine de mort et les dispositions relatives aux convictions religieuses. «Le processus législatif est un exercice d’équilibre entre modernisme et conservatisme, et les deux sont présents aussi bien dans l’opposition qu’au sein du
gouvernement», a-t-il déclaré. Il a regretté que certains modernistes de l’opposition préfèrent critiquer ses initiatives plutôt que de les soutenir, par crainte que leur position soit perçue comme un
appui politique explicite au gouvernement. «Je suis navré de voir que certains partis brandissant le
slogan de modernité me critiquent et m’attaquent au Parlement, pour ensuite m’inviter à dîner le soir afin de corriger leur posture. Mais mon problème, c’est que je ne sais pas me taire», a confié M. Ouahbi avec une pointe d’ironie, s’adressant directement au secrétaire général du PPS,
Nabil Benabdallah.
La législation est question de rapport de force
Sur le plan politique, le ministre a rappelé que «la législation est avant tout une décision politique, soumise aux rapports de force entre conservateurs et modernistes au sein de la société». Il a concédé que le travail législatif confrontait le ministre à un véritable dilemme entre ses convictions profondes et les réalités impliquées par
l’exercice du pouvoir. «Aucun ministre au monde ne légifère seul, car il s’agit d’une
affaire d’État impliquant divers ministères, institutions et instances», a-t-il précisé. Il a admis que certains idéaux se heurtaient aux contraintes de l’appareil d’État, générant des débats houleux d’où on sort gagnant parfois, mais où on essuie aussi des revers. Toutefois, «le but est d’atteindre un équilibre, en imposant certaines avancées tout en consentant à faire des concessions, pour garantir un progrès réel».
Situation pénale : défiance envers la justice
Évoquant la
situation pénale au Maroc, le ministre de la Justice a révélé que le nombre d’affaires criminelles traitées par les tribunaux était passé de 324.000 en 2002 à 700.000 en 2022, soit une multiplication par trois en l’espace de vingt ans. «En tout, dix millions d’affaires ont été instruites, soit une moyenne de 480.000 affaires par an, impliquant la poursuite de 12 millions de personnes», a-t-il précisé. Parmi ces infractions, 4,84% relèvent du crime organisé, tandis que les crimes et délits contre les personnes représentent 22,2%, ceux contre les biens 15,7%, et ceux portant atteinte à la famille et à la
morale publique 6,8%. Quant aux atteintes à la sûreté générale, elles constituent 2,5% du total.
S’agissant de la population carcérale, M. Ouahbi a indiqué qu’elle s’élèvait à 105.000 détenus, dont 31,3% en détention préventive et plus de 68% condamnés. En 2024, environ 600.000 citoyens ont été déférés devant la justice, tandis que 400.000 ont été placés en garde à vue. «Ces chiffres traduisent une certaine défiance du
système judiciaire envers les justiciables : nous n’avons pas confiance dans le fait que les citoyens se présenteront spontanément devant la justice, c’est pourquoi nous privilégions la détention préventive», a-t-il admis.
Enfin, M. Ouahbi a rappelé que, malgré la ratification par le Maroc de nombreuses conventions internationales, le Royaume continue de faire face à des défis majeurs en matière de procédure pénale. Il a souligné que le taux de détention provisoire, qui atteignait 40%, est redescendu à 32% après plusieurs réformes, tout en espérant voir ce chiffre baisser encore davantage avec l’introduction du bracelet électronique.
À travers son intervention,
Abdellatif Ouahbi a tenté de dresser le portrait d’un paysage législatif en pleine mutation, où chaque réforme se heurte aux résistances et aux rapports de force inhérents à la
société marocaine. Entre modernisation du Code de la famille, refonte du Code pénal et gestion des défis judiciaires, il a mis en lumière les enjeux d’un équilibre toujours fragile entre réformes nécessaires et compromis politiques.