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Prix du médicament : le gouvernement baisse, les pharmaciens craquent

Le 9 septembre, les pharmaciens marocains descendront dans la rue. Pour eux, le projet de réforme des prix des médicaments, que le gouvernement veut imposer sans concertation, est la goutte de trop. Derrière l’opposition à un décret, c’est une profession en crise qui réclame un sursaut politique.

07 Septembre 2025 À 17:27

Lorsque nous appelons Mohamed Lahbabi en fin de matinée, sa voix trahit une tension contenue. Il s’excuse brièvement, «Je sors d’une réunion, j’enchaîne avec une autre dans quelques minutes.» Le temps manque, mais les mots fusent, précis, sans détour. À la tête de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM), il pilote, dans l’urgence, une mobilisation qu’il qualifie lui-même de «décisive pour la survie de notre profession». «Ce n’est pas un simple mouvement de contestation, c’est un cri d’alarme», dit-il. Depuis plusieurs semaines, les syndicats s’efforcent de faire entendre une inquiétude qui dépasse la seule question des prix des médicaments. «Ce décret, c’est la goutte d’eau de plus. Le problème est bien plus large», ajoute-t-il.

Des prix de médicaments qui indignent les citoyens

Régulièrement, une même indignation traverse les réseaux sociaux marocains, portée par des captures d’écran, des tickets de caisse photographiés à la hâte, des témoignages bouleversés. «Ce médicament coûte 4.800 dirhams ici, 900 à Istanbul !», s’étonne un internaute, images à l’appui. De post en post, la même question revient, lancinante : pourquoi un tel écart pour un produit strictement identique, souvent issu du même laboratoire ? Ces comparaisons virales, entre pharmacies marocaines et officines turques ou espagnoles, n’indignent plus seulement les patients, elles bousculent aussi la confiance envers l’ensemble du système de santé.

À mesure que ces écarts de prix sont exposés au grand jour, c’est le sentiment d’un deux poids, deux mesures qui s’installe. Dans les pharmacies, cette colère numérique prend chaque jour une forme concrète. «Il y a des patients qui espacent leurs prises, qui prennent la moitié d’un comprimé pour faire durer le traitement», nous raconte un pharmacien de Fès, tandis que «d’autres arrêtent complètement». Une adaptation silencieuse, mais dangereuse, des parcours de soin, qui révèle une précarité thérapeutique bien réelle. À défaut de pouvoir acheter leurs traitements dans les circuits légaux, certains patients se tournent même vers l’automédication, les réseaux informels ou les plateformes d’achat en ligne, au risque de se procurer des produits contrefaits ou inadaptés.

Une réforme présentée comme salutaire

C’est dans ce contexte tendu que le ministère de la Santé a annoncé, en mai 2025, une réforme qualifiée de «profonde» du système de fixation des prix des médicaments. Le nouveau décret, en préparation avancée, vise à réviser les grilles tarifaires, à introduire de nouveaux référentiels et à moderniser les mécanismes de régulation. Le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, défend cette réforme comme une nécessité dans le cadre de la généralisation de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Lors de son passage à la Chambre des représentants, il a affirmé vouloir «garantir un accès équitable, durable et sécurisé aux médicaments». Mais pour les pharmaciens, cette promesse s’apparente à une façade technocratique. Car dans le détail, ce décret suscite de nombreuses inquiétudes. «On ne remet pas en cause la nécessité de baisser certains prix. Mais il faut cibler intelligemment», explique Mohamed Lahbabi. «Là, on veut baisser les prix des médicaments les moins chers, ceux qui assurent notre équilibre économique.»

Des baisses mal calibrées, un risque de retrait des laboratoires

Une étude commandée par le ministère, et réalisée par le cabinet Southbridge, a identifié 157 médicaments dont le prix dépassait 3.000 dirhams. Ces produits représentent à eux seuls 57% des remboursements de la CNSS. «Ce sont ces produits, trop chers, qu’il faut cibler», insiste M. Lahbabi. «Mais ils ne veulent pas les toucher. Le ministère préfère baisser les prix des produits bon marché, quitte à déstabiliser toute la chaîne.» La conséquence, redoutée par les syndicats, est une désaffection du marché marocain par les laboratoires. «Si les prix ne couvrent plus les coûts, les industriels vont se désengager. C’est ce qu’on observe déjà avec les ruptures de stock récurrents depuis quelques années.»

Un quotidien de plus en plus intenable dans les officines

Dans les pharmacies de quartier, la tension est palpable. Les patients s’impatientent, les médicaments manquent, les charges augmentent. Et les pharmaciens se sentent isolés. «On est les boucliers d’un système à la dérive», résume M. Lahbabi. «Quand un médicament est indisponible, c’est nous qui devons gérer l’angoisse du malade. Quand un prix augmente, c’est à nous qu’on demande des comptes.» En effet, depuis plusieurs années, les officines doivent composer avec un cadre réglementaire contraignant, une pression fiscale importante et un environnement juridique incertain. «Nous exerçons avec une loi datant de 1922 », rappelle Mohamed Lahbabi, un brin amer. «Ce texte a été conçu à une époque où l’on comptait à peine une vingtaine de pharmaciens dans tout le Royaume. Aujourd’hui, nous sommes plus de 40 000 professionnels. Et pourtant, c’est toujours ce dahir, vieux de plus d’un siècle, qui encadre notre métier.» Pour la profession, ce décalage incarne l’immobilisme du législateur face à une réalité qui a radicalement changé, tant en nombre qu’en complexité. «Cette loi est dépassée, incohérente et nous expose à des poursuites pour des actes médicaux de bon sens.»

Des revendications anciennes, restées lettre morte

Le dossier revendicatif porté par la CSPM comprend plusieurs points structurants : la reconnaissance du droit de substitution, la mise à jour du cadre législatif, la publication d’une liste de médicaments réservés au milieu hospitalier et la régulation du marché parallèle. Autant de demandes discutées avec le ministère... sans aboutissement. «On a travaillé pendant trois ans dans une commission mixte. On a validé chaque point. Mais rien n’a été appliqué. Et maintenant, le ministère passe en force avec un décret qui ignore tout ce travail.»
Ainsi, pour la CSPM, le sit-in du 9 septembre n’est pas un simple coup de colère. C’est un acte de survie. «Si cette réforme passe en l’état, des milliers d’officines vont fermer», prévient M. Lahbabi. «Et quand une pharmacie ferme, c’est tout un quartier qui perd un accès de proximité aux soins.» Dans son communiqué, la Confédération évoque une «crise sans précédent» qui menace la durabilité du secteur. «Nous ne sommes pas contre la réforme. Nous demandons juste qu’elle soit juste, concertée et qu’elle tienne compte des réalités du terrain», conclut M. Lahbabi.
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