Nation

Rentrée politique 2025-2026 : une dernière année charnière en perspective

À douze mois des législatives de 2026, la rentrée politique s’ouvre sur un agenda saturé : dernière loi de Finances de la législature, révision annoncée du Code de la famille, relance du Code du travail, généralisation de la protection sociale… et, tout au bout du calendrier, une grande répétition générale avec la Coupe d’Afrique des nations (21 décembre 2025-18 janvier 2026), prélude au Mondial 2030. Entre promesses d’investissement et impatience sociale, le pays entre en campagne sans le dire.

09 Septembre 2025 À 18:36

Le cap a été donné par le Discours Royal du 29 juillet 2025. «Nous insistons sur la nécessité de préparer le Code général des élections [...] afin qu’il soit adopté et porté à la connaissance générale avant la fin de l’année». Le message est clair : baliser le terrain électoral avant d’entrer en campagne. Le calendrier est serré, vu les enjeux en question, d’où la mobilisation rapide du ministère de l’Intérieur : le 2 août, Abdelouafi Laftit réunissait les chefs de partis pour entamer un cycle de concertation anticipée. Objectif : adopter le nouveau texte lors de la session parlementaire d’automne, et le promulguer avant le 31 décembre prochain.
Ainsi, dès la fin août, plusieurs partis ont déposé leurs mémorandums. Le PJD plaide pour un quotient basé sur les suffrages exprimés et le retour à une liste nationale mixte. Le PPS prône la moralisation du processus : lutte contre l’achat de voix, transparence du financement, réformes pro-participation. L’USFP milite pour une parité réelle et une limitation des cumuls de mandats. La FGD propose une circonscription régionale unique. Toutes les formations politiques semblent converger vers un point : «Rendre le vote plus lisible, plus accessible et politiquement plus coûteux».

Besoin de réponses urgentes

Pour Mohamed Bouden, politologue et président du Centre Atlas pour l’analyse des indicateurs politiques et institutionnels, cette rentrée politique «sera dense en rendez-vous majeurs», dominée par la préparation active de la prochaine année électorale, en phase avec les Hautes Orientations Royales. Selon lui, les consultations entamées entre le ministère de l’Intérieur et les formations politiques ne se limitent pas à une simple formalité technique : elles s’inscrivent dans une volonté de consolidation du choix démocratique marocain et visent à renforcer les réformes institutionnelles engagées ces dernières années. Mais l’agenda politique dépasse les seuls enjeux électoraux. Il s’agit aussi, insiste Bouden, de répondre au double impératif de moralisation de la vie publique et de mobilisation citoyenne. La confiance des électeurs reste un défi central.



Outre ces enjeux majeurs, plusieurs urgences économiques et sociales planent sur ce début d’année parlementaire : la pression budgétaire liée au futur projet de loi de Finances 2026, les exigences de la transition sociale, la mise à niveau des infrastructures en vue de la CAN 2025 et du Mondial 2030, ainsi que les dérèglements climatiques qui prolongent la crise de l’eau et de la sécheresse. La session d’automne s’annonce donc capitale. Entre calculs électoraux et réalités structurelles, l’exécutif devra arbitrer entre stratégie de sortie et legs politique. Pour M. Bouden, «cette rentrée ouvre la voie à un processus électoral décisif pour l’avenir démocratique du pays, mais elle oblige aussi le gouvernement à fournir des réponses immédiates et concrètes face à des défis complexes, imbriqués et souvent urgents».

Les partis forcés d’entrer dans le dur

Cette rentrée sous tension oblige ainsi les formations politiques à sortir du confort déclaratif. Alors que les discussions sur le Code électoral battent leur plein, plusieurs voix s’élèvent pour rappeler que les règles du jeu ne suffiront pas à elles seules à raviver la participation. Il faut aller au fond des choses, pas seulement à la forme. L’ancienne ministre Nouzha Skalli (PPS), aujourd’hui à la tête du think tank Awal, sur l’émission Frontale, a tiré la sonnette d’alarme : «Le système reste fermé pour les nouveaux entrants». Elle plaide ainsi pour une refonte des conditions de participation : inscription automatique sur les listes électorales via la carte nationale, débats publics entre chefs de file et réintroduction d’une éducation civique dès l’école. Objectif : rouvrir l’espace démocratique en profondeur.
Même volonté de rupture chez Mehdi Mezouar (USFP), qui appelle à une «secousse démocratique». L’enjeu, selon lui, n’est pas seulement de limiter les mandats, mais de restaurer une légitimité politique mise à mal par l’usure des discours. Pour y parvenir, il insiste sur l’importance d’une reddition des comptes réelle et visible, condition indispensable pour que la confiance citoyenne ne soit pas qu’un vain mot. Cette quête de crédibilité déborde désormais les seuls cénacles institutionnels. Elle s’impose aussi sur le terrain social, là où les urgences se font plus criantes, notamment au niveau de l’emploi.
Dans l’émission Voix de la Jeunesse, Abdellah eid Nizar (PAM) estime que le taux grimpant du chômage revient d’abord et avant tout à la sécheresse prolongée et les séquelles économiques de la Covid qui ont lourdement affecté l’agriculture, premier employeur en milieu rural. En dehors de ce secteur, affirme-t-il, «l’emploi progresse». Il mise sur la Charte de l’investissement, le maillage territorial des CRI et les chantiers liés à la CAN 2025 et au Mondial 2030 pour relancer la dynamique.
Un optimisme que conteste frontalement Younes Serraj (Jeunesse socialiste), chiffres à l’appui. Pour lui, le compte n’y est pas : le million d’emplois promis n’a jamais vu le jour, trop d’entreprises ont mis la clé sous la porte, trop d’aides ont été distribuées avec retard. Il appelle à des mesures d’urgence cette rentrée : aides directes et temporaires aux jeunes diplômés sans emploi et révision des seuils d’âge dans l’accès à la fonction publique, afin d’élargir le champ des possibles. Les données confortent cette inquiétude. Au deuxième trimestre 2025, le chômage global atteint 12,8%, mais explose à 37,7% chez les 15–24 ans en milieu urbain. Le taux d’activité féminin stagne à 19%. Et la catégorie des «NEET», jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni à l’école, s’étend 1,7 million de 15–24 ans et jusqu’à 4,5 millions si l’on inclut les 15–34 ans. Parmi eux, 78% sont des femmes. Autant dire que les dispositifs actuels ne résorbent pas les angles morts : reste à charge élevé dans le privé, inégalités d’accès aux opportunités, fractures territoriales tenaces.

Réformes en tension, CAN en test, budgets...

Côté réformes de société, les chantiers ouverts s’annoncent décisifs. Au premier rang, la révision du Code de la famille, annoncée pour cette législature, concentre à elle seule crispations symboliques et lignes rouges idéologiques. Mariage des mineures, régime de tutelle, partage des biens, filiation... Les sujets sont connus, mais la méthode reste floue. Le gouvernement promet une concertation, sans en préciser les modalités. Or le calendrier politique impose d’avancer rapidement, sous peine de renvoyer l’essentiel à plus tard.
Autre dossier structurant : le Code du travail. Il s’agit, là encore, de moderniser un cadre qui ne reflète plus les réalités économiques actuelles : encadrement du télétravail, reconnaissance du temps partiel, relance des conventions collectives, clarification des droits dans l’économie informelle. Des arbitrages difficiles, qui doivent pourtant être bouclés avant le gel pré-électoral. En toile de fond, un événement sert de catalyseur discret à cette rentrée : la Coupe d’Afrique des nations (CAN 2025), prévue du 21 décembre au 18 janvier, fonctionne déjà comme un stress test à la fois logistique, budgétaire et politique. Infrastructures, transports, sécurité, hospitalité... La réussite ne se mesurera pas que sur les pelouses. C’est aussi la gouvernance du territoire, la qualité de la dépense publique et la capacité à générer des retombées locales qui seront scrutées.
Mais le véritable juge de paix viendra à l’automne : le projet de loi de Finances 2026, dernier budget de la législature. Il cristallise les priorités réelles. Quels arbitrages entre investissements structurants (stades, rails, hôpitaux), ciblage social (couverture santé, aides directes) et incitations privées (allègements fiscaux, commande publique) ? Le contexte macroéconomique semble porteur, croissance à 4,6%, inflation maîtrisée autour de 1%, taux directeur maintenu à 2,25%, mais les marges de manœuvre restent fragiles. L’agriculture subit toujours de plein fouet les aléas de la pluviométrie. Les équilibres géopolitiques qui demeurent incertains ne favorisent pas une bonne visibilité à moyen et long termes. Ainsi, cette rentrée politique condense un trilemme exigeant : fixer à temps les règles du jeu électoral, débloquer des réformes sociales structurelles et livrer une CAN exemplaire dans un climat d’attente sociale forte. Pour le Pr Bouden «Tout retard ou faux pas sur l’un de ces fronts fragilisera le mandat sortant. Toute avancée tangible, au contraire, pourrait enclencher une dynamique».

Badr Zaher Al Azrak, économiste : «Le défi n’est pas tant d’achever des projets en suspens que de poser les bases d’un changement profond»

Alors que le Maroc s’apprête à ouvrir une année politique décisive, quel regard portez-vous sur le bilan gouvernemental de ces 5 dernières années ?



On entre dans une séquence politique décisive. Ce n’est pas seulement l’heure du bilan, c’est aussi le début d’un compte à rebours électoral, dans un contexte particulièrement chargé. D’un côté, il faut évaluer ce qui a été fait sur cinq ans. De l’autre, les partis commencent à ajuster leurs postures : certains tentent de se distancier des mesures impopulaires, d’autres cherchent à capitaliser sur les réussites. Mais au milieu de ce brouhaha politique, un fait reste clair : les chiffres sont plus parlants que les discours. Et ces chiffres sont sans appel, notamment sur l’emploi. Le taux de chômage est passé de 13,3% en 2024 à 12,8% en 2025. Une légère baisse en trompe-l’œil, car le chômage des jeunes dépasse les 36% et celui des femmes avoisine les 20%. Ce n’est pas juste une question de taux global : c’est la capacité à créer de vraies opportunités pour les plus vulnérables qui fait défaut. Malgré une stabilité monétaire et financière reconnue, l’économie marocaine reste incapable d’absorber les cohortes de jeunes diplômés qui arrivent chaque année sur le marché.

Le deuxième point noir, c’est le poids du secteur informel. Aujourd’hui, plus de deux millions d’unités économiques opèrent en dehors de tout cadre légal ou fiscal, soit environ 83% du tissu entrepreneurial selon certaines estimations. Ce n’est pas nouveau, mais c’est devenu central. Car, au-delà de l’évasion fiscale, c’est aussi une saignée sociale : pas de couverture, pas de droits, et une pression fiscale croissante sur les secteurs formalisés, qui supportent seuls le financement de la solidarité nationale. Bien sûr, le gouvernement a pris des mesures : hausse des salaires, allègements fiscal pour la classe moyenne, dialogue social relancé. Mais ces efforts restent périphériques si l’on ne s’attaque pas au cœur du problème. Signer des accords ne suffit pas à convaincre un citoyen dont la réalité quotidienne reste précaire. La question est simple : peut-on parler de progrès social quand des millions de travailleurs sont encore en marge du droit commun ? Pour l’instant, la réponse est non.

 La loi de Finances 2025 est souvent présentée comme l’outil de tous les espoirs pour finaliser des chantiers majeurs et rassurer les citoyens. Faut-il y voir une véritable dynamique de réforme, ou plutôt un habillage politique à l’approche des élections ?

C’est tout l’enjeu de cette dernière année : la loi de Finances actuelle, lourde de crédits, vise en priorité à achever plusieurs projets emblématiques, la reconstruction post-séisme d’Al Haouz, la gestion des conséquences de la sécheresse, le déploiement du chantier de la protection sociale, avec des mesures allant de la réforme des caisses de retraite au renforcement des infrastructures sanitaires. Mais derrière l’affichage, il y a une réalité moins reluisante : les finances publiques marocaines demeurent sous tension. Les recettes fiscales stagnent, l’endettement extérieur reste élevé et la croissance économique peine à redémarrer dans un contexte international instable. Le gouvernement se veut rassurant, affichant la volonté de poursuivre la réforme fiscale, de contenir le déficit budgétaire, de maintenir la stabilité monétaire. Cependant, je considère que la dimension politique prend le pas sur la cohérence réformatrice : beaucoup des mesures annoncées ont un objectif électoral évident, cherchant à embellir le bilan à court terme plus qu’à répondre à la profondeur des défis structurels. À mon sens, tant que la réforme fiscale reste inaboutie et que la gouvernance des investissements publics demeure critiquée, cette loi de Finances restera plus un outil de communication qu’un véritable levier de transformation durable.

Au fond, la dernière année d’un gouvernement peut-elle suffire à corriger le tir ? Quel héritage ce mandat risque-t-il de laisser et quelles attentes percevez-vous du côté des citoyens ?

Le défi, dans cette phase de transition, n’est pas tant d’achever des projets en suspens que de poser les bases d’un changement profond. Il faut bien comprendre que les grands dossiers : chômage, secteur informel, réforme de la protection sociale... ne se résolvent pas en quelques mois, ni par des décisions ponctuelles, aussi ambitieuses soient-elles. Le véritable enjeu est de savoir si le gouvernement parviendra à inscrire dans le temps des réformes de fond, susceptibles d’offrir au prochain exécutif un terrain plus solide. À défaut, ce mandat risque de n’être perçu que comme un chapitre supplémentaire dans l’histoire du report des grandes réformes. Le citoyen marocain, aujourd’hui, n’attend plus seulement des chiffres ou des promesses, il espère des transformations tangibles sur le terrain de l’emploi, de la justice sociale, de la réduction des inégalités et de la soutenabilité économique. La mémoire collective retiendra moins le montant des crédits débloqués que la capacité de ce gouvernement à produire, ou non, une inflexion réelle dans la gestion des déséquilibres structurels. Si ces réformes restent une fois encore différées, la dernière année du gouvernement ne sera qu’une occasion manquée de plus, dans un contexte où le pays ne peut plus se permettre de perdre du temps.
Copyright Groupe le Matin © 2025