Hicham Oukerzaz
07 Janvier 2024
À 15:40
La crise du secteur de
l’éducation nationale est-elle en train de gagner en intensité ? Après les ponctions opérées sur les salaires des
enseignants grévistes, le ministère se dirige-t-il vers l’application d’une mesure plus radicale, à savoir leur révocation pour abandon de poste ? Une correspondance datée du 4 janvier, de la directrice provinciale de l’Éducation nationale d’
Agadir-Ida Outanane, confirme cette tendance. L’objet de celle-ci porte sur les modalités pratiques relatives à l’application de cette
procédure disciplinaire.
Dans le détail, le directeur provincial d’Agadir-Ida Outanane décline les mesures à prendre au niveau des établissements scolaires pour appliquer la procédure d’
abandon de poste (conformément au dahir n°1-58-008 portant statut général de la
fonction publique, et plus particulièrement son article 75 bis). Par ailleurs, plusieurs enseignants du primaire et du secondaire qualifiant relevant des directions provinciales de
Médiouna et de
Mohammedia ont reçu des lettres les informant de leur suspension provisoire de travail sur la base de l’article 73 du dahir susmentionné. Une mesure prévue pour les fonctionnaires ayant commis des fautes graves ou manqué à leurs obligations professionnelles.
«L’absence de loi régissant le droit de grève ne doit pas ouvrir la porte aux abus»
Dans son commentaire au «Matin» sur la mise en œuvre de ces mesures par les directions provinciales de l’Éducation nationale, le professeur de droit public à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’El Jadida,
Rachid Lebrak, souligne que «tout projet revendicatif doit avoir un plafond afin d’éviter que les choses ne dégénèrent et que le débat ne devienne sans objet». Pour M. Lebrak, cette crise dans le secteur de l’éducation est tellement sensible que tout expert ou observateur qui exprime une opinion contraire aux positions avancées par les grévistes court le risque d’être voué aux gémonies. Il appelle de ce fait les enseignants à garder à l’esprit qu’ils ne sont pas les seuls dans l’équation, et qu’il y a aussi les intérêts des élèves, en particulier ceux qui passeront des examens de certification.
«Bien que nous soyons comprenions les doléances de la profession enseignante, le prolongement des grèves pour une durée indéfinie doit être repensé», souligne le professeur de droit public, faisant observer que d’un point de vue juridique, «il y a un accord qui a été conclu entre le gouvernement et les représentants officiels du corps enseignant, en l’occurrence les syndicats» et, de ce fait, les enseignants sont appelés à retourner dans leurs classes tout en continuant à défendre leurs revendications, en usant d’autres formes de protestation.
Sur la question du recours à des mesures de
suspension temporaire de travail à l’encontre des grévistes ou à l’activation de la procédure d’abandon de poste, M. Lebrak souligne que «l’administration est obligée de faire son travail», et que le fait qu’il n’y ait pas de loi régissant la grève à ce jour ne doit pas servir de prétexte pour justifier des «abus».
«La participation à une grève ne constitue pas une faute grave»
La procédure d’
abandon de poste ne doit pas être appliquée aux enseignants en grève. C’est ce qu’affirme de son côté le président de la Fédération nationale de l’enseignement-Orientation démocratique,
Abdellah Ghmimat. Pour ce syndicaliste, la grève est un droit garanti par la Constitution et ne peut être assimilée aux absences injustifiées qui donnent lieu au déclenchement de procédures disciplinaires. Aussi, il faut tenir compte, ajoute-t-il, du fait que les enseignants observent des grèves de trois à quatre jours et ne sont pas en grève ouverte. Ainsi, estime le président de FNE-Orientation démocratique, l’envoi de courriers aux enseignants grévistes les informant de leur suspension provisoire de travail, de même que l’activation de la procédure d’abandon de poste, ne reposent sur aucun fondement juridique, d’autant plus que ces courriers ne sont pas datés et ont été envoyés dans certains cas via whatsApp.
Par ailleurs, et à la question sur la légalité de ces grèves à répétition qui durent depuis trois mois maintenant, d’autant que le gouvernement est en dialogue avec les syndicats, qui sont les représentants légaux du corps enseignant, M. Ghmimat répond que cette situation n’est que la conséquence du vide juridique résultant de l’absence d’une loi organique relative à ce droit et qui en précise les modalités d’exercice.