Mounia Senhaji
14 Octobre 2025
À 17:30
Le
Maroc aborde la fin de l’année 2025 dans une conjoncture diplomatique qui lui est particulièrement favorable, tant sur la scène européenne qu’onusienne. À Bruxelles, un nouvel accord agricole incluant les provinces du Sud consolide sa position économique, tandis qu’à New York, une résolution imminente sur le
Sahara pourrait marquer une étape décisive dans le processus de règlement de ce dossier. Deux fronts qui traduisent une même dynamique : celle d’un Maroc qui avance avec assurance et méthode sur la voie de la reconnaissance internationale de sa souveraineté sur ses territoires sahariens.
L’accord agricole Maroc-UE, un test de résilience diplomatique
Le nouvel accord agricole entre le Maroc et l’
Union européenne n’est pas un simple ajustement technique. Il est le résultat d’une intense bataille diplomatique enclenchée après la décision de la
Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui avait annulé l’accord précédent au motif qu’il s’appliquait aux provinces du Sud sans consultation des populations locales. Cette décision, perçue à Rabat comme une ingérence dans une question de souveraineté nationale, a contraint Bruxelles à réagir pour rectifier le tir et prendre en compte ainsi les intérêts d’un partenaire incontournable.
La Commission européenne a choisi une voie pragmatique : opter pour un étiquetage différencié des produits agricoles issus du
Sahara marocain, afin de se conformer aux exigences de transparence fixées par la Cour. Les produits agricoles en provenance de
Laâyoune-Sakia El Hamra ou de
Dakhla-Oued Eddahab continueront ainsi de bénéficier des tarifs préférentiels européens, confirmant de facto leur intégration dans le flux économique marocain.
Pour
Mohamed Badine El Yattioui, professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis, cette décision reflète les contradictions structurelles de l’Union européenne. «Une fois de plus, l’Union européenne se retrouve face à ses contradictions», analyse cet expert en relations internationales. «D’un côté, la Commission et la majorité des États membres reconnaissent que le partenariat avec le Maroc est vital. De l’autre, le pouvoir judiciaire européen campe sur une position déconnectée des réalités géopolitiques», ajoute-t-il. D’ailleurs, l’accord doit encore être validé par le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen.
En clair, les institutions européennes jouent une partition à plusieurs voix. M. El Yattioui rappelle qu’avant même le dernier arrêt de la
Cour de justice de l'Union européenne, l’avocate générale avait estimé qu’il n’était pas légitime de reconnaître le polisario comme représentant des populations sahariennes. Quelques mois plus tard, la Cour adoptait pourtant une position différente, imposant l’usage de la mention «Sahara occidental» dans certains documents officiels. Ce revirement illustre les incohérences internes d’une architecture européenne où le politique et le judiciaire évoluent sur des trajectoires divergentes. «Cela démontre à la fois la complexité du système européen et ses limites, puisque des contradictions entre organes exécutifs et judiciaires peuvent conduire à des crises diplomatiques», note l’universitaire.
Ce désalignement n’est pas anodin. Il traduit, selon lui, une tendance récurrente des organisations régionales à vouloir intervenir sur des dossiers qui dépassent leur compétence. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des organisations régionales s’engagent sur une voie périlleuse. Dans les années 1980, rappelle M. El Yattioui, l’
Organisation de l'unité africaine (OUA) avait commis une erreur similaire en admettant en son sein l’entité séparatiste, portant ainsi atteinte à la souveraineté marocaine. «Aujourd’hui, l’Union européenne semble répéter ce schéma : au lieu de s’en tenir à son champ de compétence économique et juridique, elle s’aventure dans des prises de position à la fois diplomatiques, politiques et idéologiques», relève l’analyste. Pour lui, une chose reste pourtant incontestable : la compétence exclusive dans le règlement de ce conflit revient à l’
ONU, et plus précisément au Conseil de sécurité des Nations unies. Toute tentative d’interprétation parallèle ne peut qu’alimenter la confusion sans modifier la réalité juridique internationale.
L’expert souligne aussi que le choix de l’exécution provisoire de l’accord est révélateur d’une chose : l’Europe sait qu’elle ne peut pas se permettre de se couper de Rabat. «Cet accord est plus qu’un texte commercial. C’est un acte politique. C’est la démonstration que Bruxelles est prête à contourner ses propres blocages pour préserver sa relation avec le Maroc», affirme-t-il. À cet égard, cette révision est plus qu’un compromis : c’est une reconnaissance implicite de l’unité économique du territoire marocain. À travers ce mécanisme, Bruxelles accepte de fait que les provinces du Sud font partie intégrante de la zone de libre-échange Maroc-UE. Les capitales européennes ont compris qu’un retrait du partenariat aurait des conséquences lourdes : perturbation de chaînes logistiques, tensions diplomatiques et fragilisation d’un allié stratégique aux portes de l’Europe.
Le texte prévoit également un mécanisme de suivi destiné à garantir que les retombées économiques profitent directement aux populations locales. L’Union européenne cherche ainsi à se protéger juridiquement tout en maintenant la coopération avec Rabat. Comme le souligne un diplomate européen, «personne n’a intérêt à une rupture avec le Maroc, l’UE a simplement besoin de préserver les apparences juridiques».
Cette posture assumée n’a pas manqué de provoquer des remous au Parlement européen. Des eurodéputés écologistes et d’extrême gauche ont demandé la désapprobation du texte, arguant qu’il violait les arrêts de la CJUE et le droit international. Malgré ces voix discordantes, la Commission et une majorité d’États membres soutiennent ouvertement cette voie de contournement légal. Le nouvel accord est ainsi entré en vigueur provisoirement avant même son adoption formelle. Ce choix traduit une volonté politique claire : préserver le partenariat stratégique avec Rabat coûte que coûte.
Un tournant diplomatique au Conseil de sécurité
Si les appareils judiciaire et exécutif de Bruxelles peinent à accorder leurs violons, le Conseil de sécurité s’achemine lui vers une reconnaissance politique accrue du plan marocain d’autonomie. Une séquence diplomatique que le Maroc entend exploiter au maximum. Pour Rabat, il ne s’agit plus d’un dossier à défendre, mais d’une cause à affirmer. Et pour de nombreux observateurs, l’heure est venue de consacrer dans le langage onusien la centralité du plan d’autonomie proposé par le Maroc.
Depuis 2020, une dynamique diplomatique favorable s’est installée : les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne reconnaissent la pertinence du plan marocain d’autonomie comme base unique de règlement. M. El Yattioui considère que cette dynamique offre aujourd’hui une fenêtre de reconnaissance plus large. «le Maroc bénéficie désormais d’un alignement stratégique exceptionnel. Les grandes puissances occidentales ont clarifié leurs positions», indique-t-il.
Dans le vote à venir, poursuit-il, la Chine pourrait s’abstenir, et la Russie, qui entretient désormais une relation plus équilibrée avec le Maroc, pourrait également choisir l’abstention. Ces deux «abstentions stratégiques» ouvriront la voie à une résolution favorable. «Il est très probable que la Russie choisisse de s’abstenir. Le Maroc a d’ailleurs envoyé un signal diplomatique positif en s’abstenant lui-même lors d’un vote sensible sur la question des droits de l’Homme en Russie. Moscou pourrait, en retour, adopter une position similaire au moment du vote sur la résolution concernant le Sahara», avance l’expert.
Toutefois, l’enjeu ne se limite pas au vote, mais porte aussi sur le contenu même du texte. Washington, «penholder» de la résolution, pourrait pousser à une évolution significative du mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara. L’idée d’une transformation du rôle de la Minurso circule depuis plusieurs mois. Les Américains souhaiteraient réduire le caractère figé de cette mission, renforcer son mandat politique et avancer vers une solution définitive. Ce changement de doctrine serait historique, car il marquerait la fin d’une logique d’attente et le début d’une logique de règlement.
Une stratégie offensive assumée par Rabat
Zakaria Abouddahab, professeur de droit et de relations internationales, voit dans cette séquence bien plus qu’une opportunité. Pour lui, elle est l’aboutissement d’une stratégie méthodiquement construite par le Royaume. «Ce dossier est considéré comme clos. Le Maroc n’est plus dans une logique de défense, mais d’affirmation. La reconnaissance internationale est une question de temps, pas de substance», explique-t-il.
L’Algérie, longtemps considérée comme le principal obstacle, apparaît aujourd’hui affaiblie, isolée et sans réelle marge de manœuvre. Ses contradictions sont apparues au grand jour : se disant officiellement non partie prenante de ce conflit, elle en est en réalité l’architecte principal. Les tensions internes et diplomatiques, son mandat non permanent au Conseil de sécurité peu fructueux et la perte de relais idéologiques l’ont fragilisée, analyse l’universitaire. Même au sein de la pseudo-rasd, des signaux discrets évoquent une forme de résignation face à la montée en puissance du plan marocain d’autonomie, ajoute-t-il.
Deux pronostics qui convergent
Les deux analystes partagent la conviction que la résolution du conflit artificiel est proche. Pour M. El Yattioui, «tout indique que la résolution qui sera votée dans les prochains jours au Conseil de sécurité consacrera le plan marocain comme seule base crédible pour une solution politique. Ce sera une étape décisive. Pas encore la fin du processus, mais le moment où le rapport de forces bascule définitivement». «Nous avons une fenêtre diplomatique unique. L’alignement des puissances occidentales, la neutralité calculée de la Russie et de la Chine, l’essoufflement de l’Algérie et du Polisario et le travail méthodique du Maroc convergent vers une issue favorable», précise-t-il.
M. Abouddahab va plus loin encore, tout en nuançant ses propos. Il situe la résolution définitive d’ici quelques années, au plus tard en 2030. «Le dossier sera réglé politiquement dans les années qui viennent, sur la base de l’autonomie marocaine. Nous percevons aujourd’hui des signes encourageants, une certaine accélération ou un tournant potentiel. Néanmoins, il demeure crucial de conserver une posture réaliste, consciente des défis et des enjeux diplomatiques et techniques qui restent à surmonter», assure-t-il. L’universitaire évoque un processus graduel : adoption de résolutions fermes, pression croissante sur Alger, démantèlement progressif des camps de Tindouf sous supervision internationale et intégration des populations concernées dans le tissu économique et social des provinces du Sud.
Deux fronts, une même bataille
Ce qui fait la force de la stratégie marocaine, c’est la convergence entre ces deux fronts. L’accord agricole avec l’Union européenne incarne dans les faits l’intégration économique pleine et entière du Sahara au Royaume. La résolution onusienne, elle, vient légitimer politiquement et juridiquement cette intégration au niveau international. À Bruxelles, le Maroc démontre que ses provinces du Sud ne sont pas une zone grise, mais une partie vivante et active de son économie nationale. À New York, il rappelle que la souveraineté sur ce territoire est une réalité qui s’impose et que le plan d’autonomie est la seule voie crédible vers une solution durable. Le message est clair : ce que l’Europe valide dans ses pratiques commerciales, l’ONU ne tardera pas à l'entériner politiquement.
Le Maroc a toujours évité la confrontation avec ses partenaires européens. Au lieu de contester les décisions de la CJUE sur le terrain judiciaire, il a choisi de négocier tout en maintenant sa ligne rouge : la souveraineté sur le Sahara n’est pas négociable. Ce réalisme stratégique a porté ses fruits : la Commission européenne s’est alignée sur la position pragmatique de plusieurs États membres, qui refusent de compromettre un partenariat stratégique pour des débats procéduraux.
Sur la scène onusienne, Rabat avance avec la même détermination. La diplomatie marocaine, discrète mais méthodique, a su construire des alliances solides et crédibles. Elle s’appuie sur des arguments historiques, mais aussi sur une réalité géopolitique contemporaine : le Maroc est aujourd’hui un acteur central de la stabilité régionale, un partenaire énergétique clé, et un interlocuteur crédible pour les grandes puissances.