Les
vacances d’été viennent à peine de commencer, et déjà, un vieux problème ressurgit sur les plages marocaines : l’
occupation illégale de l’espace public par des
loueurs de parasols. Un phénomène bien connu, dénoncé chaque année, mais qui semble désormais entrer dans une nouvelle phase : celle de la contre-offensive des autorités. En effet, si l’indignation a longtemps trouvé refuge sur les réseaux sociaux, cette année, les réactions officielles s’intensifient. Partout dans le pays, du Nord au Sud, les autorités semblent décidées à reprendre la main. Plans de gestion, contrôles renforcés, encadrements juridiques : la riposte s’organise face à une anarchie balnéaire qui a trop longtemps prospéré.
Une occupation du domaine public qui vire à la «Siba»Pour
Bouazza Kherrati, président de la
Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), cette situation n’a rien d’anecdotique. Elle est même profondément préoccupante. «Ce problème d'occupation de l'espace public est devenu récurrent au Maroc et porte atteinte à la crédibilité d'usage du bien commun», alerte-t-il.
Le constat est sans appel : chaque été, des plages entières sont colonisées illégalement, parfois par la force. Et les plaintes s’accumulent : «Les consommateurs se plaignent sur les réseaux sociaux, mais peu prennent la peine de saisir les associations ou les autorités locales pour faire valoir leur droit à profiter des plages sans agression ni harcèlement».
Pour Kherrati, ce n’est pas un désordre passager, mais un système parallèle bien organisé : «Il s’agit d’une véritable anarchie, qui peut prendre le caractère de la "Siba”. Chaque plage est devenue le terrain d’une bande de jeunes bien organisée, qui extorque les vacanciers».
Il ne s’agit pas ici de contester l’activité de location en elle-même, mais l’accaparement illégal et agressif de l’espace public : «Ils peuvent louer leur matériel, mais sans occuper l’espace public qui appartient à tous». Une dérive inquiétante qui, selon lui, s’ancre dans un vide juridique et une gestion parfois défaillante au niveau local.
Face à la privatisation sauvage, la contre-offensive des autorités s’intensifieAprès des années de tolérance, les signaux venus des
pouvoirs publics traduisent un changement de ton.
Rkia Alaoui, présidente du
Conseil régional du tourisme (CRT) de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, insiste : «Cette année, des actions renforcées de contrôle et de sensibilisation sont mises en place pour lutter contre les loueurs illégaux de parasols».
Dans le Nord, le CRT travaille en collaboration avec les communes littorales pour délimiter et signaler clairement les zones de location autorisées, dans le but de créer un cadre balnéaire structuré, équilibré et respectueux de l’espace public. «L’objectif est de garantir l’accessibilité des plages, leur propreté et la satisfaction des visiteurs, dans une optique de tourisme durable et responsable.»
Même détermination à Casablanca, où l’encadrement juridique est plus avancé.
Moulay Ahmed Afilal, vice-président du Conseil communal, rappelle l’existence d’un plan d’utilisation et de gestion des plages, basé sur une circulaire conjointe des ministères de l’Intérieur et de l’Équipement. Un document qui fixe des règles strictes : 80% des plages doivent impérativement rester accessibles à tous, et seuls 20% peuvent faire l’objet d’une occupation temporaire autorisée.
Afilal affirme que des commissions de contrôle interviennent régulièrement, avec l’appui de la préfecture, pour faire retirer les installations illégales. «Nous avons également renforcé la sécurité, installé de nouvelles poubelles, et recruté 200 ouvriers pour l’entretien et le ramassage des déchets.»
À Agadir, une gestion repensée des plages pour garantir l’accès à tousDans la ville d’Agadir, l’accès libre aux plages demeure une priorité : «80% des plages doivent impérativement rester des espaces publics ouverts à tous». C’est ce que rappelle fermement
Saïd Amzazi, Wali de la région Souss-Massa et gouverneur de la préfecture d’Agadir-Ida Outanane. Ce principe, inscrit dans une circulaire conjointe des ministères de l’Intérieur et de l’Équipement, constitue aujourd’hui le socle d’une réforme plus large menée à Agadir pour reprendre le contrôle de l’espace balnéaire.
Dès 2024, les autorités régionales ont en effet amorcé une refonte du modèle de gestion, en abandonnant le système classique de concessions par adjudication, souvent jugé opaque ou dévoyé. À la place, un modèle de partenariat encadré a été mis en place. Il vise à mieux répartir les responsabilités et à assurer une régulation plus équilibrée, inclusive et transparente, tout en préservant la vocation publique des plages.
«Nous avons opté pour une nouvelle approche où les prestataires sont intégrés dès le départ dans une vision collective et durable», explique le Wali. Désormais, les opérateurs choisis ne sont plus de simples loueurs, mais des partenaires contractuels, tenus par des engagements précis : respect de la part publique du littoral, maintien de la propreté, lutte contre les installations illégales, et interdiction de toute forme d’appropriation abusive de l’espace.
Autre nouveauté : les travaux des commissions d’attribution sont désormais ouverts aux associations locales, aux médias et aux citoyens. Une mesure destinée à renforcer la transparence du processus, souvent critiqué dans le passé.
En parallèle, des arrêtés préfectoraux ont été pris pour encadrer plus strictement l’usage du littoral : interdiction de la circulation des quads et motos sur les plages, limitation du stationnement sauvage de caravanes, encadrement renforcé des jet skis, ou encore création de zones interdites aux véhicules motorisés pour faciliter les déplacements piétons.
Le Wali insiste aussi sur l’importance de l’aménagement des accès et de la circulation piétonne, afin d’offrir un littoral sûr et agréable pour tous les usagers. «L’idée n’est pas d’interdire, mais de structurer intelligemment», souligne-t-il. Des efforts ont également été entrepris pour promouvoir les activités nautiques non motorisées, plus respectueuses de l’environnement.
Un enjeu collectif, une responsabilité partagéePour Bouazza Kherrati, cette dynamique est prometteuse, mais elle doit être soutenue par une mobilisation citoyenne. «Il faut que les estivants refusent de se laisser faire, mais sans agir seuls, car cela peut être dangereux. En cas d’agression, il faut saisir la Gendarmerie, la Police ou le Caïd.»
La FMDC plaide pour une coordination nationale et un changement de culture : «Nous n’avons pas besoin d’inventer. Il suffit de voir ce que font d’autres pays comme l’Espagne, un pays où les services balnéaires sont bien organisés, accessibles et respectueux».