Le Matin : Quelle évaluation faites-vous de votre visite au Maroc ?
Pietro Grasso : J’ai rencontré le président de la Chambre des représentants ainsi que le président de la Chambre des conseillers et le chef du gouvernement.
Le Maroc est le premier pays arabe de la Méditerranée que je visite. Il s’agit d’un choix au vu de l’importance géopolitique et stratégique dans le monde arabe et dans la Méditerranée. Le Maroc est un partenaire essentiel pour l’Italie sur le plan politique, économique, social et culturel. Les différentes entrevues que j’ai eues avec les responsables marocains ont confirmé la pertinence de mon choix.
Les relations bilatérales entre le Maroc et l’Italie sont au beau fixe sur le plan politique. Mais il reste beaucoup à faire au niveau économique. Comment peut-on justement promouvoir le partenariat entre nos deux pays ?
L’Italie et le Maroc ont des problèmes communs. En tant que représentants des deux pays, nous devons essayer de promouvoir le développement et la croissance dans une conjoncture maquée par les aléas de la crise. Afin d’atteindre les objectifs escomptés, il est important d’engager des investissements publics et privés dans tous les secteurs prometteurs, notamment les infrastructures et les énergies renouvelables.
Il est lieu d’inciter les entreprises italiennes à investir au Maroc et les entreprises marocaines à faire de même en Italie.
Je tiens, par ailleurs, à souligner que la communauté des Marocains résidant en Italie constitue la première communauté étrangère en dehors de l'UE. Quelque 600 000 ressortissants marocains vivent, en effet, en Italie. Ce qui crée un lien fort entre les deux pays d’autant plus qu’il s’agit d’une communauté bien intégrée, qui travaille et produit.
Quelle responsabilité incombe aux Parlements des deux pays pour promouvoir davantage les relations bilatérales ?
J’ai toujours été convaincu que la diplomatie parlementaire est de la plus haute importance, car elle instaure les bases pour le développement des relations gouvernementales et diplomatiques. Des groupes d’amitié au niveau de la Chambre des représentants et celle des conseillers œuvrent dans ce sens-là. J’ai essayé, à travers ma visite, de stimuler les activités du groupe d’amitié du sénat. Ce sont des instances importantes de par les débats qu’elles engagent. Elles font un travail préalable à la politique qui sera mise en place.
Le Maroc et l’Italie subissent l'impact négatif des flux migratoires. Comment les deux pays peuvent-ils développer une vision commune relative à ce dossier épineux ?
Le Maroc, comme l’Italie, souffre du problème de la migration à plusieurs facettes. Ils sont, à la fois, des pays de transit et de destination permanente (Syriens, Subsahariens). Il faut distinguer entre les différents phénomènes. L’immigration peut être due aussi bien aux guerres, à la violation des droits de l'Homme et à l'absence de système démocratique, qu'à des raisons purement économiques.
Outre la politique d’accueil, il s’avère nécessaire de se doter d’une politique de répression contre la prolifération du crime organisé. Certains immigrés s’adonnent, en effet, à des trafics liés à la traite des êtres humains, à la drogue et au terrorisme.
Le Sénat italien a voté en janvier en faveur de l’abrogation de la loi criminalisant l’entrée clandestine sur le territoire national au moment où plusieurs pays européens ont tendance à resserrer l’étau autour des immigrés. Quelle est la portée de cette abrogation ?
Le Sénat a, en effet, adopté l’abrogation du délit qui criminalise l’immigration clandestine. Ce délit n’existe que dans le cas d’un arrêté d’expulsion non impliqué. Il doit être approuvé par la Chambre des députés.
Il est important pour nous de ne pas considérer les clandestins comme des délinquants. C’est un changement important en matière de la politique italienne d’immigration. Le clandestin ne doit être incriminé que lorsqu’il commet des délits.
Lampedusa n’est pas que la frontière de l’Italie, mais aussi de l’Europe. Dans ce cadre-là, on a besoin de l’aide de l’Europe pour faire face aux problèmes de l’immigration. Il est essentiel de se doter d’un plan d’immigration pour évaluer les besoins de chaque pays en matière d’emploi.
Il faut des accords pour créer une porte légale facilitant les mouvements des immigrés. On doit travailler sur ce point-là et le développer. Il n’est pas possible que l’Italie soit une frontière ouverte, car l’Europe ne le permet pas. Beaucoup d’immigrés passent par l’Italie pour aller dans d’autres pays européens. Si on connaît les pays de destination et on définit les possibilités d’accueil de chacun, on peut mettre en place un plan au niveau européen.
Quel regard portez-vous sur les changements dans la région d’Afrique du Nord depuis le déclenchement du printemps arabe ?
Le Maroc a eu le mérite de prévoir, prévenir et résoudre les problèmes qui pouvaient découler du printemps arabe avant qu’ils ne se présentent. Il est, en effet, doté d’une vision stratégique. C’est pour cette raison qu’il est, géopolitiquement, un pays important dans le Maghreb. Le Maroc jouit d’une stabilité politique exceptionnelle sur la rive sud de la Méditerranée.
La stabilité de la région est un élément essentiel. Le Maroc et l’Italie ont la possibilité d’œuvrer, ensemble, dans le cadre de l’intégration européenne. Le Maroc est considéré comme un partenaire fiable de l’Europe. Nous devons travailler ensemble pour favoriser cette stabilité. Et dans ce cadre, le Maroc peut jouer un rôle important.
L’adoption de la constitution tunisienne est une autre avancée majeure dans la région. On attend des avancées du genre dans les autres pays : l’Algérie, la Libye et l’Égypte. La priorité doit être accordée à la stabilité dans la région.
Que pensez-vous du Plan d’autonomie des provinces du Sud présenté par le Maroc pour résoudre le conflit du Sahara ?
L’Italie a une position de neutralité par rapport à cette question. On est sûrs que l’ONU, qui est saisie de ce dossier, parviendra à trouver une meilleure solution pour le Maroc.