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Le développement humain, un impératif pour une croissance inclusive et durable

Hicham HAFID, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat Mhammed ECHKOUNDI, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat

Le développement humain, un impératif  pour une croissance inclusive et durable

En dépit des avancées notables que le continent africain a réalisées, ces dernières années, une croissance régulière et soutenue en moyenne de 6% pendant presque deux décennies, le développement humain demeure un des défis majeurs auxquels l’Afrique doit faire face.

Qu’il s’agisse de l’éducation, de la création d’emploi, de la mise en place des infrastructures publiques, de l’espérance de vie, de l’innovation ou de l’entrepreneuriat, l’Afrique a fort à faire en vue de mettre l’amélioration des conditions de vie et l’épanouissement de ses populations au centre des préoccupations des décideurs. Ce qui nécessite de déployer des efforts considérables dans des domaines ayant trait au développement et à l’amélioration des capabilités de base de l’individu. Ceci est d’autant plus urgent que les réalités de terrain en Afrique montrent d’une façon limpide et saisissante que tout processus de développement dans lequel l’homme est relégué au second plan, voire laissé-pour-compte, génère un cercle vicieux où des facteurs de vulnérabilité tels qu’insécurité, pauvreté, extrémisme, conflits et corruption se renforcent mutuellement pour déboucher sur des situations chaotiques qui fragilisent davantage l’État et les institutions publiques. En d’autres termes, insécurité et pauvreté vont de pair.

L’échec des stratégies de développement humain rend la pauvreté multidimensionnelle

Du point de vue de la coopération pour le développement, la question du développement humain s’est imposée dans l’agenda des institutions financières internationales à partir des années 90, dans un contexte d’échec des politiques d’ajustement structurel qui fut lourd de conséquences en matière de pauvreté et de réduction des capacités de l’État dans tout ce qui relève du social. Vingt ans après le lancement du concept de développement humain, une initiative qui fut considérée comme une révolution dans l’économie de développement, qui est restée pendant longtemps prisonnière de l’analyse classique basée sur l’utilitarisme, l’heure est au bilan, tout en sachant que tout échec des stratégies de développement, dans leur ensemble, rend la pauvreté multidimensionnelle et non seulement monétaire. En effet, le développement humain est synonyme de création d’infrastructures institutionnelles, éducatives, sanitaires et routières, alors que le sous-développement humain renvoie à l’incapacité de l’État à générer, grâce à des politiques économiques incitatives, une croissance économique, profitant, moyennant des politiques redistributives, à l’ensemble de la population, plutôt qu’à une poignée d’individus.

Lors de la publication du premier rapport mondial sur le développement humain du PNUD. L’indice développement humain en Afrique était de 0.40 en 1990, contre 0.60 pour le reste du monde, soit un écart de 33% (PNUD, 2015). C’est dans l’espoir d’améliorer cet indice et ses principales composantes que nombre d’Africains se sont lancés, dans un premier temps, dans la rédaction des documents stratégiques de lutte contre la pauvreté et, dans un deuxième temps, dans la mise en place des stratégies nationales de développement humain (c’est le cas récemment).
Toutefois, le développement humain devrait être compris dans un sens plus large et du coup ne pas être réduit seulement à ces trois principales dimensions, à savoir l’espérance de vie, le revenu et l’éducation. De même, ces trois indicateurs devraient être soumis à un examen minutieux dans la mesure où la question de l’éducation, par exemple, devrait englober en plus du primaire, le secondaire et l’universitaire. Un pays africain ne devrait pas être jugé seulement à l’aune du pourcentage des enfants scolarisés et le nombre d’années passées à l’école, mais aussi à l’aune du pourcentage des élèves arrivant à l’université et la qualité des études universitaires.

L’investissement dans le renforcement des capabilités de base de l’individu : condition pour que l’Afrique redéfinisse sa place dans le nouvel ordre économique mondial

Il ne faut pas oublier qu’un individu bien formé et en bonne santé peut être une ressource au service du développement de son pays de par le potentiel de créativité qu’il recèle et les capabilités qu’il possède grâce aux politiques de développement humain, pour participer au renforcement du processus démocratique et partant l’amélioration du degré d’exclusivité des institutions politiques et économiques de son pays. Il est indéniablement important de souligner que la pauvreté matérielle, intellectuelle et entrepreneuriale ne fait que réconforter et renforcer les institutions exclusives qui sont à la base du développement de la culture de rente, de corruption, et de reproduction d’un contexte hostile à l’innovation technologique et organisationnelle. En effet, l’investissement dans le renforcement des capabilités de base de l’individu est la condition sine qua non pour que l’Afrique redéfinisse sa place dans le nouvel ordre économique mondial en gestation.

Le renforcement institutionnel et capacitaire de l’État, l’industrialisation et l’amélioration de la productivité agricole sont trois dimensions qui conditionnent le nouveau départ de l’Afrique et dans lesquelles la place de l’individu est à la fois centrale et incontestable.

Le sous-investissement dans l’individu est à l’origine de la fragilité de la croissance économique en Afrique

En effet, un développement tourné vers l’homme et un développement qui se nourrit de la créativité et la capacité intellectuelle et entrepreneuriale de cet homme. Alors qu’un développement qui se fait au détriment de l’homme est simplement de la croissance extravertie.
Force est opportunément de pointer du doigt le fait que la forte volatilité de la croissance économique en Afrique s’explique principalement par la nature de ses déterminants. En effet, il s’agit d’une croissance sans progrès technique et sans productivité. Ce qui veut dire que l’Afrique, en raison d’un sous-investissement dans l’individu, ne possède pas les ressorts nécessaires pour une croissance durable et inventive. D’où l’importance de prendre conscience de ces faiblesses structurelles en vue de mieux y remédier. C’est pour cela que le discours dominant sur la réduction de la pauvreté est à la fois simpliste et critiquable en ce qu’il fait de la question de la pauvreté et son éradication la finalité de toute action étatique, alors que l’objectif est de vaincre les facteurs de vulnérabilité et de privation pour avoir des individus épanouis, créatifs, inventifs capables d’influencer par leur action le processus de changement et de développement.

L’état du développement humain en Afrique

Selon le rapport 2014 du PNUD, l’île Maurice se positionne en tête du développement humain en Afrique avec un indice de 0.777. Cette petite île insulaire, malgré sa carence en termes de ressources naturelles et sa diversité ethnique, se classe dans le club des pays à développement très élevé (la Russie, les Bahamas, l’Uruguay, etc.). Quant au groupe des pays où le développement humain oscille entre 0.555 et 0.7, on y trouve la Tunisie, le Maroc, l’Afrique du Sud et le Gabon qui ont fait des réformes remarquables ces dernières années sur le plan économique et social.

En dépit de leur performance économique et l’abondance de leurs ressources naturelles, certains pays à l’instar de la Côte d’Ivoire, le Cameroun et la RDC se retrouvent étonnamment dans le bloc des pays faiblement développés dont le niveau de l’IDH est inférieur à 0.555.
Force est de souligner que ce paradoxe entre croissance économique et développement humain s’explique essentiellement par plusieurs contraintes considérables qui continuent de creuser l’écart entre pays africains (selon le nouveau rapport du PNUD, 2015, l’Afrique australe est la région la plus inégalitaire, devant l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest, sachant que l’Afrique du Nord est la moins inégalitaire) et de faire obstacle au développement humain, il s’agit en particulier des politiques publiques peu efficaces et moins axées sur les plus démunis, des inégalités sociales criantes.

L’Afrique est la deuxième région du monde derrière l’Amérique latine, pour les inégalités de revenu, du dysfonctionnement des institutions publiques, de l’absence d’une volonté politique ferme d’élaborer des réformes structurelles profondes et efficaces, des conflits armés récurrents et de l’instabilité politique.
Tout le monde s’accorde, à présent, à reconnaître qu’une stratégie efficace de lutte contre la pauvreté nécessitera une approche soutenue, large et intégrée qui offre de meilleures opportunités d’emploi et d’entrepreneuriat afin d’atteindre durablement un niveau élevé de croissance économique, répartie d’une manière favorable aux pauvres et assortie d’une amélioration des principaux services sociaux tels que la santé, l’éducation et le logement.

L’expérience des pays nouvellement industrialisés a démontré que la réussite de cette approche ne peut se faire qu’avec le développement et le renforcement des capacités des ressources humaines.
En définitive, le développement humain en Afrique nécessite que l’État se dote d’une stratégie claire qui s’inscrit dans le long terme. Laquelle stratégie devrait viser la lutte contre les inégalités territoriales moyennant des politiques d’équité territoriale en vue de doter les territoires en difficulté d’infrastructures routières, éducatives et sanitaires adéquates. Ce qui participera à leur désenclavement. En effet, la réduction des inégalités territoriales criantes entre territoires en Afrique devrait figurer parmi les priorités des politiques publiques. Ce qui est de nature à renforcer la cohésion territoriale et à faire taire certaines divergences.
En plus de l’équité territoriale, le développement humain nécessite l’investissement massif dans l’éducation à tous les niveaux d’apprentissage et pas uniquement le primaire. La scolarisation des enfants, quoiqu’importante, ne suffit pas, il faut améliorer la qualité des enseignements et l’introduction des matières inculquant à l’enfant l’esprit d’initiative et de créativité.

Le désenclavement des villages lointains ne devrait pas signifier simplement leur sortie de la pauvreté, mais leur intégration dans le processus de développement économique et politique à travers la mobilité sociale.
En outre, le développement humain nécessite de repenser la dialectique entre urgence humanitaire et développement.
Les bailleurs de fonds, les agences de coopération internationale et les ONG doivent travailler de concert, autour des projets qui auront été identifiés comme prioritaires par l’État et ne pas court-circuiter ce dernier sous prétexte qu’il est «fragile», «effondré», qu'il a «failli». Le développement humain nécessite l’existence d’un État fort et stratège. La coopération internationale pour le développement devrait faire du renforcement des capacités de l’État une priorité.

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