Menu
Search
Jeudi 28 Mars 2024
S'abonner
close
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Un facteur majeur du renforcement des communautés économiques régionales africaines

Hicham Hafid Professeur-chercheur à l’Institut des études africaines Université Mohammed V de RabatM’hammed Echkoundi Professeur-chercheur à l’Institut des études africaines Université Mohammed V de Rabat

Un facteur majeur du renforcement des communautés économiques régionales africaines
Conscient de son enracinement historique en Afrique, de son modèle de développement socio-économique et de sa diplomatie, le Maroc a fait du renforcement de ses relations avec les autres pays africains une des priorités de sa politique étrangère.

Dans un monde de plus en plus mondialisé et marqué par la multiplication des blocs régionaux, voire continentaux, l’intensification des échanges de biens et services, l’oscillation des cours des matières premières et l’émergence de nouvelles puissances économiques qui redistribuent les équilibres des pouvoirs économiques et politiques et renforcent de plus en plus la coopération Sud-Sud, l’intégration régionale africaine devient non seulement un moteur de la croissance économique et sociale des pays membres, mais également un facteur incontestable pour une meilleure insertion sur la scène internationale, tant sur le plan économique que politique.

Sur le plan économique, l’intégration régionale permet à un bloc de pays d’échanger entre eux et de mettre en place des dispositifs de mise en valeur des ressources collectives, d’exploitation des complémentarités ainsi que la valorisation et la transformation structurelle des ressources sur place. Sur le plan politique, elle permet aux pays membres de parler à l’unisson et de renforcer leur marge de manœuvre quand il s’agit des négociations stratégiques au sein des instances internationales et de mieux s’insérer dans la chaine de valeur mondiale. Ceci est d’autant plus important qu’un État à lui seul semble trop petit pour faire face à des enjeux économiques et sécuritaires régionaux, voire mondiaux de grande ampleur.
En effet, l’Afrique qui suscite, de plus en plus, un intérêt croissant, aussi bien pour les anciennes que pour les nouvelles puissances, en raison de ses potentialités importantes (naturelles et humaines), de l’émergence de nouveaux dirigeants conscients de la nouvelle géographie économique et de l’opportunité qu’offre l’arrivée de nouvelles puissances sur la scène mondiale dans le but d’élaborer de nouvelles stratégies de développement et de diversifier les sources de financement, est appelée, aujourd’hui, à devenir un acteur incontournable dans cette nouvelle géo-économie mondiale.
En vue de tirer profit de cette fenêtre d’opportunité, l’Afrique, qui n’a été jusqu’alors qu’une fiction juridique sur la scène mondiale, devrait s’ériger en un acteur majeur de ce nouveau monde. Ce qui renvoie à la question relative à la capacité des pays du continent à se constituer en bloc afin de peser sur le processus de prise de décision au niveau international. D’où l’importance de revoir les modalités d’intégration à l’œuvre d’Afrique.
Il est important de souligner qu’il existe, aujourd’hui, davantage d’organisations régionales en Afrique comparativement aux autres continents. De même, les pays africains participent à plusieurs initiatives d’intégration régionale. Si, dès les premières années de l’indépendance, l’établissement des communautés économiques sous-régionales a été un volet important de la stratégie de développement de l’Afrique, le foisonnement de ces initiatives d’intégration ainsi que la multiple appartenance des pays du continent aux groupements régionaux, de par la multiplication des engagements et des accords qu’ils entrainent, créent une espèce de confusion et de redondance qui risquent de réduire à néant les efforts d’intégration. Dès lors, il devient primordial de rationaliser le processus d’intégration afin de faire sortir les pays du continent d’une croissance extravertie basée sur l’exportation des matières premières à un développement inclusif et durable au profit du citoyen africain.

Le paradoxe de l’intégration africaine : plus d’intégration, plus d’ambitions et moins de commerce intra-africain
Au regard de l’ampleur du commerce intra-communautaire, les résultats sont loin de répondre aux attentes des potentialités naturelles et humaines dont disposent les pays membres de ces blocs. C’est le cas notamment de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) et l’Union du Maghreb arabe (UMA). En effet, pour la CAE, les efforts en matière d’intégration entre les pays de cette CER sont largement perceptibles dans la mesure où la part des échanges intra-communautaires dans le total des exportations de cette CER est considérable quoique insuffisante, quant à l’importance et au dynamisme des pays de l’Afrique de l’Est, elle est de 18,83% en 2015 comparativement aux autres CER où la part ne dépasse guère 4,36% pour l’UMA, 5,6% pour le COMESA et 7,85% pour la CEN-SAD durant la même
année.
Quant à la CEN-SAD, la communauté économique régionale la plus importante en termes du nombre de pays (28 membres), elle trouve la justification de sa création dans la division géopolitique de l’Afrique et la lenteur des CER à s’adapter à la nouvelle géo-économie mondiale. En effet, l’enjeu majeur de cette communauté réside dans la maîtrise et l’exploitation des ressources énergétiques et minérales dont regorge l’espace (eau, pétrole, gaz, charbon, fer, uranium, sites touristiques…) et d’en faire un espace stratégique non seulement pour les pays membres, mais également pour l’ensemble des pays du continent par le biais de la maîtrise de la chaîne de valeur africaine.
L’UMA peut être considérée comme la CER la moins intégrée tant sur le plan politique que sur le plan économique, et pourtant la région disposent d'avantages comparatifs naturels et économiques considérables susceptibles de se transformer en avantages compétitifs non seulement à l’échelle régionale et continentale, mais aussi à l’échelle mondiale, compte tenu du positionnement géographique de la région et de la proximité culturelle et linguistique.
Cette mort clinique de la région s’explique essentiellement par les divergences politiques entre les États et leur structure économique, certains s’insèrent de plus en plus dans le processus de diversification de la structure productive (Maroc et Tunisie), d’autres s’enfoncent de plus en plus dans la concentration et l’exportation des produits de base (Algérie et Libye), et l’engagement des pays de la région dans une course, sans précèdent, à la signature d'accords commerciaux avec d’autres partenaires.
Au final, le processus d’intégration régionale en Afrique, quoiqu’en nette évolution, semble souffrir d’un ensemble d’anomalies qui empêchent les pays du continent d’en tirer profit par le biais de la diversification de leur structure productive, l’amélioration de la compétitivité des entreprises en leur facilitant l’accès à un marché plus vaste ainsi que l’exploitation des complémentarités.

Le retour du Maroc à l’Union africaine : un pas sûr vers un partenariat continental stratégique
Conscient de son enracinement historique en Afrique, de son modèle de développement socio-économique et de sa diplomatie et de son positionnement géographique, le Maroc a fait, durant les deux dernières décennies, du renforcement de ses relations avec les autres pays africains une des priorités de sa politique étrangère. Le discours prononcé par le Roi du Maroc lors de sa dernière visite en Côte d’Ivoire : «la coopération, hier basée sur la relation de confiance et les liens historiques, est, aujourd’hui, de plus en plus fondée sur l’efficacité, la performance et la crédibilité», témoigne éloquemment de la volonté de ce pays d’instaurer des relations marquées par le saut du pragmatisme et de l’efficacité économique.
Les dernières visites royales en Afrique anglophone et le nombre d’accords et de conventions signés entre le Royaume et certains pays de l’Afrique de l’Est et australe, à l’instar de l’Éthiopie, de la Tanzanie, du Rwanda, du Madagascar et du Nigeria, réaffirment l’engagement du Maroc à œuvrer de concert avec tous les pays du continent en faveur de la solidarité africaine et de la croissance inclusive convertie en développement humain.

Le développement de l’agriculture : levier fondamental pour une intégration régionale réussie
Dans un contexte de forte croissance démographique et urbaine, le bilan alimentaire en Afrique est aujourd’hui inquiétant, 2/3 des pays africains sont de nets importateurs des produits alimentaires avec plus de 35 milliards de dollars en 2016 ; 240 millions de personnes souffrent de malnutrition, la situation devient de plus en plus difficile, notamment avec un déficit de production (sécheresse récurrente, inondation…) et une hausse des prix mondiaux des grands exportateurs des denrées alimentaires. L’Afrique de l’Est comme l’Afrique australe sont les deux régions les plus touchées par l’insécurité alimentaire. L'Éthiopie à elle seule compte plus de 15 millions de personnes en insécurité alimentaire chronique, de même pour le Zimbabwe, le Mozambique et le Malawi.
C’est dans ce contexte que la signature de l’accord de coopération dans le domaine de l’agriculture avec l’Éthiopie relatif à la mise en place d’une plateforme industrielle des engrais permettra non seulement à l’Éthiopie de faire face au défi de l’insécurité alimentaire, mais également à la région de l’Afrique de l’Est de devenir une puissance alimentaire à travers une intégration sectorielle. Force est de souligner que ce partenariat, à portée continentale, entre les deux pays entre dans le cadre d’une vision commune pour un développement inclusif et durable. Il bénéficiera d’une exploitation collective des ressources naturelles en Afrique et pour l’Afrique.

Le projet stratégique du Gazoduc africain atlantique : une opportunité d’interconnexion de l’Afrique francophone et anglophone
La signature du fameux projet qui consiste à relier les ressources gazières du Nigeria au Maroc via plusieurs pays atlantiques réaffirme la vision stratégique du Maroc et la volonté des deux pays de faire de l’espace atlantique une plateforme industrielle importante qui attire à la fois les investisseurs issus de l’Afrique anglophone et ceux de l’Afrique francophone.
De même, ce projet sera un fer de lance pour insuffler une nouvelle dynamique d’intégration dans la région à travers le renforcement de la compétitivité des pays de l’Afrique de l’Ouest, la mise en place des écosystèmes, la génération d'économies d’échelle, la structuration d’un grand marché régional d’électricité aussi bien pour la population locale que pour celle de l’Afrique de l’Est et australe, d’autant plus que la question énergétique devient un enjeu majeur pour ces pays.
Enfin, dans le but de mieux accompagner cette dynamique du retour du Maroc à l’UA, le Maroc est appelé, dans l’immédiat, à mettre en place des cellules d’analyse économique dans toutes les représentations diplomatiques en Afrique, à définir des priorités avec les partenaires africains et à mettre en place des unités de gestion de la politique africaine du Maroc.
Dans le moyen et le long terme, il serait opportun d’améliorer la compétitivité des entreprises marocaines et l’offre exportable, une forte coordination entre les grandes et les petites et les moyennes entreprises, le renforcement des relations politiques et économiques avec l’Afrique anglophone et lusophone, la mise en place des stratégies d’intégration économique axées sur le développement humain, sans oublier d’inciter les partenaires de l’UA à plus d’engagement, de volonté politique et de confiance pour un continent prospère.

Lisez nos e-Papers