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Elections : augmenter le nombre de députés est-ce une proposition pertinente ?

À l’approche des élections législatives de 2026, plusieurs partis réclament l’augmentation du nombre de députés, au nom d’une meilleure représentativité. Mais cette revendication, formulée dans un contexte où la défiance envers le Parlement atteint des sommets, interroge : plus de sièges pour quels résultats et surtout pour quels citoyens ?

17 Septembre 2025 À 18:00

Alors que législatives de 2026 se profilent à l’horizon, les partis multiplient les mémorandums destinés au ministère de l’Intérieur, dans lesquels les appels Royaux à la transparence et à la clarification de l’agenda électoral servent de toile de fond. Parmi les propositions les plus contrastées toutefois, celle d’augmenter le nombre de députés revient avec insistance. Une mesure qui aspire selon les partis à répondre à un double impératif : représentationnel et territorial, mais dont les contours réels restent flous.
C’est le Front des forces démocratiques (FFD) qui, jusque-là, donne le ton. Selon son mémorandum de 17 pages, le parti souhaite porter le nombre de sièges de la Chambre des représentants de 395 à 465, établissant un ratio d’un député pour 100 000 habitants, fondé sur les données du recensement 2024. Le texte prévoit également 130 sièges réservés aux femmes, soit environ 24,3% de l’Assemblée, ainsi qu’entre 30 et 100 sièges pour les compétences nationales et les Marocains du monde. «Nous voulons transformer les élections de 2026 en véritable transition qualitative pour la démocratie », déclare Mustapha Benali.
Pour sa part, le Parti authenticité et modernité (PAM) ne cache pas son ambition d’élargir l’hémicycle, mais choisit une voie plus mesurée que le FFD. Son mémorandum plaide pour 450 députés, assortis d’une liste nationale unique de 90 sièges destinée à regrouper femmes, jeunes et compétences. Officiellement, l’objectif est de simplifier et de rationaliser un système jugé trop éclaté. Le parti pose comme condition de cet augmentation des sièges de députés plusieurs ajustements institutionnels : refonte du découpage électoral, interdiction du cumul des mandats entre parlementaires et maires des grandes villes, extension des incompatibilités aux dirigeants d’agences régionales et d’établissements publics. Autant de mesures qui, sur le papier, visent à moraliser la vie publique et à renforcer la transparence.

La prudence des autres formations

D’autres partis préfèrent la retenue. Le Parti de la justice et du développement (PJD) juge illusoire de croire qu’un simple élargissement numérique du Parlement suffirait à restaurer la confiance citoyenne. Selon lui, l’enjeu est moins dans le «combien» que dans le «comment». Le parti insiste sur la nécessité de corriger les dérives de 2021 : criminaliser l’achat de voix, encadrer strictement les campagnes numériques, assurer une transparence totale dans la publication des résultats et renforcer la redevabilité des élus. Mais la formation islamiste va plus loin en matière de représentativité. Elle propose de réintroduire une liste nationale mixte composée de trois volets : l’un réservé aux femmes, l’autre aux jeunes de moins de 40 ans, et un troisième dédié aux Marocains du monde. Le PJD souhaite, en outre, que les douze premiers sièges de ces listes reflètent la diversité des régions du Royaume, afin d’éviter une concentration dans les grandes villes. Pour encourager une féminisation et un rajeunissement effectif de la vie politique, il préconise des incitations financières aux partis qui placeraient des femmes ou des jeunes en tête de liste locale.
Même ton au Parti du progrès et du socialisme (PPS), qui appelle à un rééquilibrage territorial et à une meilleure sélection des candidats, sans avancer de chiffres. Le Parti socialiste unifié (PSU) prend le contre-pied. Il défend un Parlement resserré mais crédible : limitation à quatre mandats par élu, interdiction du cumul, inscription automatique sur les listes électorales et création d’une instance électorale indépendante. La Fédération de la gauche démocratique (FGD) défend une rupture totale avec l’architecture actuelle. Elle propose l’instauration d’une circonscription nationale unique, au scrutin proportionnel intégral. Loin de se focaliser sur le simple élargissement numérique, la FGD estime que le nombre de sièges doit refléter fidèlement le poids électoral des partis. Son objectif : réduire l’influence des notables locaux, garantir l’égalité des voix et instaurer une véritable pluralité politique. L’Istiqlal, enfin, concentre ses propositions sur l’inclusion, avec des quotas pour les personnes en situation de handicap et davantage de place pour les jeunes et les femmes, sans trancher sur le nombre global de sièges.

Représenter plus, ou représenter mieux ?

Les promoteurs de l’élargissement invoquent l’équité démographique : plus de sièges pour mieux refléter la population et corriger les déséquilibres territoriaux. Mais la comparaison internationale relativise cet argument. Avec 465 députés pour 37 millions d’habitants, le Maroc afficherait une densité parlementaire plus forte que l’Espagne, qui compte 350 députés pour 47 millions d’habitants, ou la Tunisie, qui a choisi de réduire son hémicycle à 161 sièges. Ailleurs, certains pays, comme le Royaume-Uni, plafonnent à un député pour environ 100.000 habitants. Autrement dit, augmenter le nombre d’élus ne garantit pas une meilleure représentativité : la question centrale reste la confiance et l’efficacité des institutions. Selon la Banque mondiale, 61% des Marocains déclarent ne pas faire confiance au Parlement, et seuls 39% disent lui accorder du crédit. Le MIPA Trust Index 2023 confirme cette tendance : la confiance est passée de 52% en 2022 à 42% en 2023. Dans ce contexte, ajouter des sièges risque de paraître comme une fuite en avant plutôt que comme une solution.

Une réforme coûteuse et impopulaire

L’équation budgétaire complique encore le tableau. Un député touche un salaire annuel de 441.570 dirhams, sans compter les indemnités et les avantages. Sur une législature, les 395 sièges actuels coûtent déjà plus de 800 millions de dirhams. Une augmentation de 50 à 70 sièges représenterait plusieurs dizaines de millions supplémentaires. Dans un pays en proie à l’inflation et aux restrictions budgétaires, la mesure pourrait être perçue comme une provocation.

Entretien avec Dr Othmane Ezzayani, professeur de droit public et de sciences politiques

«Rien ne garantit qu’un plus grand nombre de députés se traduise par une meilleure performance»

Faut-il plus de députés pour mieux représenter les Marocains ? La question, sensible, renvoie autant aux équilibres démocratiques qu’aux contraintes budgétaires. Dans un contexte de méfiance croissante envers les institutions, Dr Othmane Ezzayani, professeur de droit public et de sciences politiques à l’Université Mohammed Ier d'Oujda, met en garde contre une réforme qui pourrait autant revitaliser la vie parlementaire... que l’affaiblir.



Le Matin : D’un point de vue constitutionnel, une augmentation du nombre de députés est-elle justifiée ?

Dr Othmane Ezzayani :
Souvent, cette question est défendue pour deux raisons principales. La première tient à la représentativité des citoyens : un Parlement démocratique doit assurer une représentation élargie et équitable, que ce soit en raison de la croissance démographique ou pour intégrer des catégories sociales et des régions jusque-là marginalisées. La seconde justification relève de la promotion du pluralisme politique, en offrant davantage de chances aux petits et moyens partis et en renforçant la participation politique. Cependant, cette démarche soulève des difficultés, notamment en matière de finances publiques. Toute extension du nombre de sièges entraîne une hausse des dépenses, ce qui impose une évaluation sérieuse du coût face à l’efficacité réelle de la Chambre des représentants. Le pari constitutionnel reste celui d’un Parlement fort et efficace, non pas d’une assemblée gonflée numériquement, mais d’une institution qui se distingue par la qualité et la pertinence de son action. Ainsi, une augmentation du nombre de députés ne saurait être recevable que si elle vise des objectifs clairs : élargir la représentativité, renforcer la confiance des citoyens dans le Parlement ou adapter le découpage électoral aux transformations démographiques et régionales. En revanche, si cette réforme répond à de simples calculs partisans, elle risque de contredire l’esprit de la Constitution et le principe de responsabilité.

Quelles seraient ses conséquences sur la représentativité, l’efficacité parlementaire et le fonctionnement institutionnel ?

En théorie, l’élargissement du nombre de sièges peut renforcer la légitimité de la Chambre en élargissant la participation politique et en donnant voix à des groupes sociaux et territoriaux insuffisamment représentés. Cela correspond à la logique démocratique d’égalité électorale. Mais il existe un risque réel que cette réforme se réduise à une dimension purement formelle, sans amélioration de la qualité du travail parlementaire. En termes d’efficacité, rien ne garantit qu’un plus grand nombre de députés se traduise par une meilleure performance. Au contraire, cela pourrait alourdir les procédures, ralentir le processus législatif et compliquer la gestion du temps parlementaire. La véritable efficacité se mesure à la capacité des élus à élaborer des lois pertinentes et à exercer un contrôle rigoureux sur l’Exécutif. Cela suppose de revoir en profondeur le règlement intérieur, l’organisation des commissions et la coordination des travaux.

Sur le plan institutionnel, cette réforme poserait aussi des défis financiers et logistiques : adaptation des infrastructures, recrutement de personnels supplémentaires et augmentation du budget. Elle risquerait également de déséquilibrer les rapports entre les deux Chambres, en renforçant le poids de la Chambre des représentants au détriment de celle des conseillers, ce qui pourrait attiser les tensions plutôt que favoriser la coopération.

Un tel projet est-il réalisable dans le contexte actuel ?

Politiquement, la confiance des citoyens envers le Parlement est faible, et la participation électorale demeure limitée. Dans ce climat, une augmentation du nombre de sièges pourrait être perçue comme une manœuvre opportuniste au profit des partis, renforçant l’image d’une institution déconnectée. Elle risquerait alors de transformer les sièges supplémentaires en rente politique. Techniquement, cette réforme est complexe. Elle nécessiterait un redécoupage électoral, une mise à jour des listes, ainsi qu’une harmonisation des critères démographiques et régionaux. Toute modification du nombre de sièges impliquerait aussi une révision des lois électorales, avec le risque de cristalliser des tensions partisanes. Par ailleurs, la réussite d’un tel chantier supposerait l’implication active du ministère de l’Intérieur et des autorités électorales pour en garantir la transparence. Autant d’éléments qui rendent, dans le contexte actuel, la réforme peu réaliste.

Et la proposition d’une liste nationale dédiée aux «compétences» ?

Cette idée présente des avantages certains. Elle permettrait l’entrée au Parlement de profils qualifiés, économistes, juristes, spécialistes des nouvelles technologies... capables d’élever la qualité du débat législatif et du contrôle parlementaire. Elle favoriserait aussi le renouvellement des élites en donnant accès à des personnalités qui n’empruntent pas nécessairement les canaux électoraux classiques. Mais elle comporte également des risques. En réservant des sièges à des « experts », on réduit le Parlement à une technocratie, au détriment du principe fondamental de représentation populaire. Une telle démarche pourrait fragiliser encore davantage le rôle des partis politiques en tant qu’acteurs de formation et de représentation. Elle instaurerait une tension entre exigence de compétence et légitimité démocratique. La démocratie parlementaire repose avant tout sur la capacité des élus à représenter et défendre les citoyens, pas seulement sur leur expertise technique.

L’alternative consisterait à renforcer la formation des députés et à intégrer des experts comme conseillers ou membres permanents des commissions, sans créer de «liste nationale des élites» qui risquerait de transformer le Parlement en un cercle fermé et technocratique. La véritable réforme devrait prioritairement viser la démocratisation des partis, en instaurant des mécanismes de sélection exigeants qui allient compétence, éthique et engagement citoyen. Augmenter le nombre de sièges, sans réflexion de fond, reviendrait à vider la représentativité de son sens premier.
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