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Nabil Benabdallah : Dans un contexte de défiance générale, l’enjeu est de redonner sens aux élections

Homme politique engagé, fervent défenseur des valeurs de gauche, Mohamed Nabil Benabdallah était l’invité, le 15 septembre, de «L’Info en Face». Avec beaucoup de conviction, il a défendu sa vision et les prérequis d’une transition démocratique assumée basée sur des élections exemptes de «l’argent sale». Dans un contexte marqué par l’ouverture d’un cycle de concertation sur la réforme électorale, il affirme que le moment est opportun pour procéder aux ajustements nécessaires et pour préparer le terrain à un scrutin équitable et transparent de nature à redonner aux élections leurs titres de noblesse. Car pour lui, le drame aujourd’hui est que les Marocains estiment que «tout est joué d’avance».

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Élections 2026, performance de l’économie marocaine, action gouvernementale, communication publique... autant de points abordés par Mohamed Nabil Benabdallah. Invité de «L’Info en Face», le secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS) n’a pas fait dans la dentelle. Avec son franc parler habituel et ses prises de position assumées, il a tiré à boulets rouges sur l’Exécutif, en remettant en question son bilan exagérément vanté. Dénonçant une gouvernance déconnectée, davantage préoccupée par la mise en scène de son action que par la cohérence de ses choix, l’invité de «L’Info en Face» a déploré une parole publique sans consistance, une démocratie fragilisée par les choix technocratiques et un champ électoral miné par l’argent.


Un tournant impulsé par le Discours Royal

D’ailleurs, pour lui, le discours prononcé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le 29 juillet dernier, doit interpeller le gouvernement plus que tout autre : d’une part, c’est une l’invitation explicite à engager un cycle de concertations sur la réforme du Code électoral et, d’autre part, un appel plus profond à questionner les déséquilibres persistants qui minent l’organisation sociale et territoriale du pays. «Le discours de Sa Majesté, notamment sur la concertation électorale, nous oblige à retrousser nos manches», fait-il savoir, appelant la nécessité d’une mobilisation immédiate et générale. Mais à ses yeux, l’essentiel se joue ailleurs : dans la nécessité de remédier aux déséquilibres d’un «Maroc à deux vitesses», expression forte par laquelle le Souverain a désigné les disparités croissantes entre régions et catégories sociales. Cette reconnaissance explicite, selon Mohamed Nabil Benabdallah, vient consacrer l’échec des politiques publiques actuelles à endiguer les inégalités structurelles. «Il y a encore des inégalités. Il y a encore de la pauvreté. Il y a encore de l’exclusion... Il faut faire en sorte que le Maroc ne soit plus à deux vitesses», insiste-t-il.

Mais pour lui, cette alerte prend un caractère d’autant plus urgent qu’elle intervient dans le contexte des chantiers lancés en préparation du Mondial 2030. Sans remettre en cause l’intérêt stratégique de ces investissements, l’invité dit craindre la concentration des efforts sur les grandes métropoles, au détriment de vastes pans du territoire national. «On a l’impression que 2030 constitue un projet de société. Or 2030 n’est pas un projet de société», tranche-t-il. «Nous ne voulons pas de beaux stades et de beaux hôtels dans une partie du pays, pendant que d’autres régions restent dans la pauvreté et l’exclusion», a-t-il martelé.

Pourtant la sonnette d’alarme a été tirée il y a bien longtemps. Mohamed Nabil Benabdallah évoque un discours similaire prononcé en 2017, à l’origine de l’élaboration du nouveau modèle de développement (NMD). «Ce diagnostic n’est pas nouveau. En 2017 déjà, Sa Majesté avait attiré l’attention sur l’échec de la répartition des fruits du développement», rappelle-t-il. Mais le plus amer, estime-t-il, reste le désengagement du gouvernement actuel vis-à-vis de ce cadre stratégique, pourtant clairement tracé. «Le nouveau modèle de développement aurait dû incarner le tournant espéré. Mais il a été mis de côté. Et cela traduit un véritable manque de vision politique.» Un constat d’autant plus grave, selon lui, que le contexte exige aujourd’hui clarté, courage et ambition pour engager des réformes profondes.

Agir avant de communiquer

Interrogé sur la récente intervention télévisée du Chef du gouvernement sur deux chaînes du pôle public, Mohamed Nabil Benabdallah affirme que ce qui pose problème, ce n’est pas tant l’exercice médiatique en lui-même, que la manière dont il semble se substituer à l’action réelle. Selon lui, le gouvernement inverse les priorités. «Réaliser d’abord, communiquer ensuite. C’est ce qu’il fallait faire», affirme-t-il, avant de poursuivre : «Aujourd’hui, on communique pour masquer ce qui n’a pas été fait.»

En d’autres termes, M. Benabdellah trouve que l’Exécutif cherche à combler l’écart entre les promesses et les résultats par un usage intensif de la parole publique, au détriment de la sincérité dans l’exercice du pouvoir. «Ce gouvernement gagnerait à faire preuve d’un peu plus d’humilité. Les chiffres ne remplacent ni la cohérence, ni la confiance.» Ce déséquilibre, alerte-t-il, nourrit un malaise profond. Les Marocains, dit-il, ne se reconnaissent plus dans les récits que l’Exécutif produit. «Il y a une rupture qui s’installe entre ce que les gens vivent et ce qu’on leur raconte. Et cette rupture, si elle se prolonge, devient un risque démocratique.»

Une réalité en décalage avec les annonces officielles

Poursuivant sa critique de la gouvernance publique, Mohamed Nabil Benabdallah met en lumière les fragilités de l’économie nationale, qu’il estime en profond décalage avec les discours triomphaliste de l’Exécutif. Selon lui, le discours gouvernemental actuel, optimiste à outrance, s’écarte sensiblement des réalités vécues par les Marocains. Il en veut pour preuve les chiffres avancés par le Chef du gouvernement lors de sa sortie médiatique, qu’il qualifie tour à tour de «tronqués», «erronés» et «déconnectés du terrain».

Sur le taux de croissance d’abord, il dénonce une manipulation des moyennes. «Le Chef du gouvernement parle d’une croissance moyenne supérieure à 4%, mais ce chiffre est biaisé. Il intègre les +8,2 % de 2021, une performance exceptionnelle qui tient exclusivement à l’effet de rattrapage post-Covid, et qui ne lui est en rien imputable», explique-t-il. Retirée de la moyenne, cette donnée ramènerait selon lui la croissance réelle autour de 2%, bien loin des promesses initiales.

M. Benabdellah est tout aussi dubitatif s’agissant des chiffres de l’emploi. Alors que le gouvernement revendique la création de 600.000 postes, le chef du PPS insiste sur le caractère «brut» de ce chiffre, occultant les destructions concomitantes. «Nous avons perdu davantage d’emplois que nous n’en avons créés. Aujourd’hui, le solde net fait état de 160.000 emplois perdus.» Il prévient : sans inflexion majeure, l’objectif d’un million de postes à l’horizon 2026 restera hors de portée.

Dans la même optique, M. Benabdellah n’a pas caché son inquiétude d’une trajectoire budgétaire dangereuse, marquée par une explosion de l’endettement. Si le gouvernement se targue de mobiliser plus de 335 milliards de dirhams en investissements publics, le SG du PPS appelle à la prudence : «Il faut créer les richesses nécessaires avant d’accumuler les dépenses. Sinon, ce sont les générations futures qui paieront.»

Une hausse des recettes fiscales ?

Interrogé sur l’augmentation spectaculaire des recettes fiscales annoncée par le gouvernement (330 milliards de dirhams prévus pour 2025), Nabil Benabdallah refuse d’y voir l’indice d’une vitalité économique retrouvée. «Ce n’est pas l’activité économique qui génère ces recettes, c’est la pression sur les ménages», affirme-t-il. Selon lui, cette envolée budgétaire est due à la hausse des prix, en particulier à travers la TVA, et non à une dynamique de création de valeur ou d’investissement productif.

Dans cette logique, il s’élève contre une politique fiscale qu’il estime injuste et inefficace. «Le citoyen paie, pendant que le gouvernement communique», résume-t-il. Et d’enchaîner sur une alerte plus structurelle : l’endettement public a atteint des «niveaux préoccupants». Officiellement fixé à 68% du PIB, il serait, selon lui, bien supérieur, notamment si l’on intègre les effets des financements innovants. «Nous avons probablement franchi la barre des 100 milliards de dirhams supplémentaires. Et ce n’est qu’un début à la veille des investissements massifs pour 2030», prévient-il.

Entre slogans et effets d’annonce : le procès d’un État social introuvable

S’agissant de l’État social, Benabdellah estime que le discours gouvernemental doit être sujet à caution. S’il reconnaît certains efforts, notamment en matière d’investissement public (un montant record de 335 milliards de dirhams), il affirme que le contenu social de cette politique reste, lui, largement théorique. «Il y a du chiffre, mais il n’y a pas de vision», tranche-t-il. Il conteste notamment les données relatives à la couverture sociale généralisée et à l’aide directe. «On parle de 22 millions d’inscrits, mais en réalité, seuls 11 à 12 millions bénéficient effectivement d’un remboursement. Il reste 8,5 millions de personnes totalement en dehors du système», assure-t-il, s’appuyant sur les chiffres du HCP et du CESE. Il ajoute que de nombreuses aides sont interrompues sans explication, générant frustration et colère chez les plus vulnérables. «Créer un espoir pour mieux le décevoir, c’est la pire des politiques sociales», met-t-il en garde.

Réforme électorale : exigence d’éthique et d’égalité

Au-delà du bilan de l’actuel gouvernement, l’échéance de 2026 se dessine à l’horizon et, avec elle, une séquence électorale que le PPS veut aborder avec lucidité, rigueur et vigilance. Au cœur de cette préparation : la réforme du Code électoral, sur laquelle le parti a d’ores et déjà formulé un ensemble de propositions. Mais derrière l’agenda institutionnel, l’enjeu est, pour lui, d’une toute autre nature. Il s’agit de redonner sens à l’acte d’élire, dans un contexte de défiance croissante à l’égard des institutions. «Nous avons quelque 27 à 28 millions de Marocains en âge de voter. En 2021, seuls 18 millions étaient inscrits. Et sur ces 18 millions, près de 9 millions ne se sont pas déplacés aux urnes. Cela signifie qu’au moins 20 millions de citoyens n’ont pas participé au scrutin.» Ces chiffres, rappelle-t-il, ne sont pas anodins : ils révèlent une fracture civique, un éloignement du champ électoral, un désintérêt nourri par la conviction que «tout est joué d’avance».

Ce qui mine la confiance, selon lui, ce n’est pas seulement la performance politique, mais surtout le poids de l’argent dans les processus électoraux. «En 2021, nous avons assisté à un véritable tsunami financier, à une inondation de l’espace électoral par l’argent», déplore-t-il. Dans certaines circonscriptions, affirme-t-il, il était devenu impossible de résister à cette offensive, même pour des candidats intègres. «Si l’on veut sauver ce qui peut l’être de notre démocratie, il faut envoyer un signal clair : l’achat des voix ne peut plus être toléré.»

Sur ce terrain, le PPS revendique une ligne de clarté. Le dialogue en cours avec le ministère de l’Intérieur est, à ses yeux, une occasion à saisir pour «moraliser la vie politique», à condition que les arbitrages soient courageux. Dans cet esprit, il plaide pour un élargissement de la représentativité féminine, un redécoupage électoral plus équitable, mais aussi la création de listes nationales ouvertes à des compétences non partisanes. «Nous avons besoin de figures nouvelles, probes, compétentes, honnêtes, qui puissent restaurer la crédibilité des institutions élues.»

Une recomposition à gauche en suspens

Face à un paysage politique qu’il juge figé, Mohamed Nabil Benabdallah ne cache pas son ambition de faire émerger une alternative crédible à la coalition au pouvoir. À ses yeux, le Maroc a besoin d’un nouveau souffle politique, porté par des forces attachées à la démocratie, à la justice sociale et à la probité publique. Mais cette ambition se heurte, pour l’heure, à un éparpillement manifeste des oppositions. «L’opposition est plurielle, elle fonctionne en silos, avec des référentiels idéologiques et politiques très différents.» Le Parti de la justice et du développement, le Mouvement populaire ou encore l’Union socialiste des forces populaires ne partagent ni les mêmes priorités, ni les mêmes alliances implicites. «Nous avons tenté, à plusieurs reprises, de construire des convergences. Mais certaines formations ont fait d’autres choix.»

À défaut d’une coalition formelle, le PPS mise donc sur une dynamique autonome, fondée sur la clarté des positions, l’ancrage territorial et la force de ses idées. Le dialogue avec les forces de gauche comme le Parti socialiste unifié (PSU) ou la Fédération de la gauche démocratique reste ouvert, dans l’espoir, confie-t-il, de pouvoir bâtir des passerelles, «ne serait-ce que sur certaines circonscriptions ou à travers une déclaration politique commune».

Plus qu’un jeu d’alliances, c’est une bataille de sens que revendique le chef du PPS. À ses yeux, la prochaine campagne ne se gagnera pas uniquement sur les rapports de force partisans, mais sur la capacité à mobiliser les millions de Marocains qui, jusqu’ici, se sont détournés des urnes. Et si cette campagne devait être la sienne ? Mohamed Nabil Benabdallah ne se dérobe pas : «Oui, ce sera probablement mon dernier combat électoral. Mais je veux le mener avec la même fidélité à nos valeurs, à l’héritage politique de ce parti vieux de 82 ans et avec la volonté d’ouvrir un nouveau chapitre pour les générations à venir».
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