Le dernier rapport du Programme commun des Nations unies sur le VIH/Sida (Onusida) révèle que, malgré des progrès significatifs dans la lutte contre le VIH/Sida, le monde n’est pas encore sur la bonne voie pour atteindre cet objectif. Les disparités régionales et les inégalités persistantes sont des obstacles majeurs à surmonter, exigeant des actions immédiates et soutenues de la part des dirigeants mondiaux. Depuis 2010, le nombre de nouvelles infections par le VIH a diminué de 39%, avec des avancées notables en Afrique subsaharienne, où l’espérance de vie a considérablement augmenté, passant de 56,3 ans en 2010 à 61,1 ans en 2023. Cependant, certaines régions, comme l’Europe de l’Est, l’Asie centrale, l’Amérique latine et le Moyen-Orient, voient une augmentation inquiétante des infections. En 2023, environ 1,3 million de nouvelles infections ont été enregistrées, soit plus de trois fois l’objectif de 370.000 nouvelles infections fixé pour 2025. Près d’un quart des personnes vivant avec le VIH n’ont toujours pas accès aux traitements essentiels, ce qui entraîne des décès évitables toutes les minutes.Par Houssine El Rhilani, directeur Onusida Maroc
Ces défis soulignent l’urgence d’une réponse mondiale plus équitable et plus efficace. Il est crucial que les pays intensifient leurs efforts de prévention et de traitement, en particulier dans les régions les plus touchées. Sans une action rapide et concertée, les progrès réalisés pourraient être rapidement annulés. Les pays qui ont investi de manière adéquate dans des politiques inclusives et des services de santé accessibles montrent les meilleurs résultats.
Le rapport de l’Onusida souligne l’importance de ressources durables et d’un environnement juridique favorable. La suppression des lois pénalisantes et la lutte contre la discrimination sont essentielles pour permettre à tous d’accéder aux services nécessaires. Par exemple, le Botswana et le Rwanda ont réussi à atteindre les objectifs 95-95-95 en 2023 : 95% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, 95% de celles-ci reçoivent un traitement antirétroviral et 95% de celles sous traitement ont une charge virale supprimée. Ces succès montrent la voie à suivre pour d’autres régions du monde.
Les investissements dans la lutte contre le VIH ne sont pas seulement une question de santé publique, mais aussi une stratégie économique intelligente. Chaque dollar investi dans la prévention et le traitement du VIH rapporte un retour sur investissement substantiel. Par exemple, une étude de l’Onusida a montré qu’un dollar investi dans les programmes de lutte contre le VIH peut générer un retour sur investissement de 3 à 5 dollars grâce à la réduction des coûts de santé et à l’amélioration de la productivité. En effet, en prévenant les nouvelles infections et en garantissant que les personnes vivant avec le VIH reçoivent un traitement adéquat, les pays peuvent éviter les coûts élevés des soins hospitaliers et des traitements de complications liées au Sida, tout en maintenant une force de travail saine et productive.
Cependant, malgré ces succès, la solidarité internationale s’effrite et le financement reste insuffisant, particulièrement dans les pays à revenu faible et intermédiaire. La montée des politiques anti-droits et anti-genre met en péril les progrès réalisés. De plus, les technologies médicales innovantes, telles que les traitements à action prolongée, ne sont pas suffisamment accessibles à cause des restrictions de brevets. Cette situation est exacerbée par la crise de la dette qui limite la marge de manœuvre budgétaire de nombreux pays. La récente montée des politiques répressives dans plusieurs régions du monde ajoute une couche supplémentaire de difficulté, rendant l’accès aux services de prévention et de traitement encore plus compliqué pour les populations marginalisées.
Les nouvelles technologies, notamment les traitements à action prolongée, peuvent transformer la prévention et le traitement du VIH. Cependant, pour maximiser leur impact, il est crucial de garantir leur déploiement massif et accessible. Cela nécessite une ouverture des brevets et une production à grande échelle, permettant ainsi aux pays à revenu faible et intermédiaire de bénéficier de ces avancées. Par exemple, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) injectable à longue durée d’action a montré une grande efficacité, mais son accès reste limité. En 2023, seulement 3,5 millions de personnes utilisaient la PrEP, bien en deçà de l’objectif de 10 millions fixé pour 2025.
La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) fait face à des défis particuliers dans la lutte contre le VIH/Sida. Le nombre de nouvelles infections continue d’augmenter, avec des taux de croissance préoccupants. En 2023, la région a enregistré une augmentation notable des nouvelles infections, contrairement aux tendances mondiales de diminution. Les obstacles dans la région MENA incluent des lois répressives et discriminatoires qui limitent l’accès des populations clés aux services de prévention et de traitement. Les personnes vivant avec le VIH y font face à une stigmatisation et à une discrimination importante, ce qui complique encore leur accès aux soins. Le financement insuffisant et les politiques anti-droits exacerbent ces problèmes, rendant la réponse au VIH dans cette région particulièrement complexe.
Cependant, certains pays de la région commencent à faire des progrès. Le Maroc, par exemple, le seul pays de la région où une baisse des nouvelles infections et des décès est enregistré, a renforcé ses programmes de prévention et de traitement, avec un accent sur les populations clés. Le pays travaille également à améliorer l’accès aux nouvelles technologies de prévention, telles que la PrEP, bien que des efforts supplémentaires soient nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.
Le rapport de l’Onusida est un appel clair à l’action : pour mettre fin au Sida, les dirigeants doivent faire des choix politiques et financiers audacieux. Les coûts de l’inaction seraient exponentiellement plus élevés que ceux de l’investissement nécessaire. Il est impératif que les gouvernements, les donateurs et les organisations internationales redoublent d’efforts pour combler les lacunes de financement et renforcer les systèmes de santé. Les citoyens ont également un rôle crucial à jouer. En exigeant des actions concrètes de leurs dirigeants et en soutenant les initiatives communautaires, ils peuvent contribuer à maintenir la pression sur les décideurs politiques pour qu’ils prennent les mesures nécessaires.
Avec sa nouvelle stratégie intégrée de lutte contre le VIH/HV/IST 2024-2030, pour le Maroc, s’engager pleinement dans cette lutte signifie non seulement protéger la santé publique, mais aussi renforcer les systèmes de santé et promouvoir l’équité sociale en mettant l’accent sur les populations clés et vulnérables et en assurant l’accès universel aux soins de prévention et de traitement. Les autorités marocaines ont déjà pris des mesures importantes dans la lutte contre le VIH, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour éliminer les barrières restantes et garantir que personne n’est laissé pour compte. La collaboration avec les ONG locales et les partenaires internationaux sera cruciale pour atteindre ces objectifs.
Le Sida est à la croisée des chemins. L’engagement des dirigeants à prendre les bonnes décisions dès maintenant est crucial. Nous, en tant que citoyens, devons veiller à ce que cet engagement soit tenu pour construire un avenir sans Sida. En travaillant ensemble, en investissant dans des solutions durables et en garantissant l’accès équitable aux soins, nous pouvons réaliser l’objectif de mettre fin au Sida d’ici 2030.