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Comment intégrer le développement durable dans les marchés publics (Tribune)

C’en est assez ! Les enjeux sociaux, humains et écologiques sont devenus incontournables et la préservation de l’intégrité de notre environnement s’impose avec plus d’acuité aujourd’hui. C’est dire que les critères sociaux (prévention, santé et sécurité, critères relatifs au personnel…) et environnementaux (préservation des ressources et de l’économie circulaire, réduction des impacts environnementaux et biodiversité…) doivent être intégrés dans les politiques d’achats publics et mises en œuvre rigoureusement par les parties prenantes concernées pour pouvoir relever le défi du développement durable. Il est dès lors opportun de s’interroger sur le cadre juridique du développement durable et le mode opératoire possible de son intégration dans les marchés publics.

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Par Kaddour Lasfar, Docteur en droit public et sciences politiques - chercheur en gouvernance des marchés publics

Cadre juridique du développement durable

La volonté d’intégrer le développement durable dans l’action publique au Maroc ne date pas d’aujourd’hui. En 2003, l’article 2 de la loi n°12-03 relative aux études d’impact sur l’environnement impose à toute personne physique ou morale, privée ou publique, d’effectuer des études d’impact sur l’environnement pour «les projets [...], qui en raison de leur nature, de leur dimension ou de leur lieu d’implantation risquent de produire des impacts négatifs sur le milieu biophysique et humain». La Constitution adoptée le 1er juillet 2011, quant à elle, prévoit plusieurs dispositions en faveur des droits économiques, sociaux, culturels et civiques. Elle affiche clairement dans son article 31 la responsabilité de l’État pour faciliter à ces derniers l’égal accès auxdits droits, notamment les droits à un environnement sain et au développement durable. L’article 35 de ladite Constitution précise en outre que l’État «œuvre à la réalisation d’un développement humain et durable, à même de permettre la consolidation de la justice sociale et la préservation des ressources naturelles nationales et des droits des générations futures» et «veille à garantir [...] une protection spécifique pour les catégories sociales défavorisées».

Quelques années plus tard, une loi a été promulguée pour, entre autres, «intégrer le développement durable dans les politiques publiques sectorielles» et «établir un régime de responsabilité environnementale». Il s’agite de la loi-cadre n°99-12 portant charte nationale de l’environnement et du développement durable. Cette loi prévoit dans, son article 13, que «L’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les sociétés d’État veillent à

intégrer les mesures inspirées du développement durable dans les politiques publiques globales et sectorielles». Il relève donc de la responsabilité des pouvoirs publics de traduire dans les faits leurs engagements vis-à-vis des populations en matière de développement durable.

À cet égard, et en se référant aux textes juridiques régissant les marchés publics, nous pouvons avancer que la prise en compte des considérations environnementales et sociales dans les achats publics est bel et bien une exigence, voire un devoir à la charge des acheteurs publics. Il s’agira pour ces derniers d’insérer dans les documents de leurs contrats publics d’achats des dispositions sous forme de conditions relatives au caractère responsable des prestations objet de leurs projets d’achats sur le plan environnemental, social ou économique. L’objectif étant d’accroître les achats publics ayant un caractère responsable et leur durabilité et réduire les impacts environnementaux négatifs, particulièrement au niveau de l’empreinte carbone et des émissions de gaz à effet de serre.

Mode d’intégration du développement durable dans les marchés publics

Pour les marchés qui se prêtent à l’introduction de critères sociaux et écologiques, l’acheteur public est appelé en principe à prendre en compte ces critères-là dans les moments clés des processus de ces marchés : la définition des besoins à satisfaire, la sélection des candidatures, le choix des offres et l’exécution du marché.

1. Bien définir les besoins pour une réponse adaptée aux objectifs de développement durable

La définition du besoin est l’acte d’achat le plus déterminant dans le processus de gouvernance des marchés publics. Toute déficience à cette étape peut entraîner des déboires, voire une dilapidation des ressources publiques. La promotion de la durabilité des marchés publics suppose alors que l’acheteur public prenne en compte des objectifs de développement durable dans sa dimension sociale, environnementale et économique non pas uniquement au moment de l’octroi des contrats des marchés, mais aussi et surtout au moment de la définition des besoins publics à satisfaire. Les préoccupations d’ordre économique, social et environnemental étaient toujours le parent pauvre des réglementations des marchés publics jusqu’à l’entrée en vigueur du décret du 5 février 2007 sur les marchés de l’État. L’article 18 de celui-ci prévoyait que «les performances en matière de protection de l’environnement» peuvent être retenues, parmi d’autres, comme critères de choix et de classement des offres des concurrents.

Le décret du 20 mars 2013 relatif aux marchés publics, quant à lui, avait rehaussé alors, même timidement, le niveau des préoccupations des pouvoirs publics en matière de développement durable dans les marchés publics en permettant aux maîtres d’ouvrages publics d’intégrer les considérations du développement durable dans les marchés publics. C’est à ce titre que ledit décret disposait dans son article 1er que «La passation des marchés publics prend en considération le respect de l’environnement et les objectifs de développement durable».

L’intégration des considérations environnementales s’est accentuée en 2023 avec l’entrée en vigueur du décret du 8 mars 2023 relatif aux marchés publics qui a étalé davantage les éléments pouvant contribuer à la promotion du développement durable en précisant dans son article 1er que «Le maître d’ouvrage prend en compte, lors de la passation des marchés publics, selon le cas, la dimension économique, sociale, environnementale et écologique, les objectifs de développement durable, l’efficacité énergétique, la préservation des ressources hydriques, la valorisation du paysage architectural, la sauvegarde du patrimoine national et des monuments historiques et les exigences liées à la promotion de l’innovation et de la recherche et développement».

Lors de construction d’ouvrages publics, par exemple, il y aura lieu d’incorporer, au moment de la définition et de l’analyse des besoins, l’objectif de la qualité environnementale durant tout le cycle de vie du bien immeuble : depuis la construction jusqu’à la déconstruction éventuelle de ce bien. C’est dans cette étape de choix, d’analyse et de planification budgétaire que le maître d’ouvrage pourra examiner et organiser la prise en compte des aspects socio-économiques et environnementaux de l’investissement. Il s’agit, par exemple, de l’intégration du bien immeuble dans sa circonscription territoriale, l’utilité d’une mesure d’accompagnement à l’effet d’encourager l’emploi de personnes en difficulté pendant les travaux, les modes d’organisation du chantier permettant de lutter contre le recours au travail clandestin, l’accessibilité de l’ouvrage aux personnes à mobilité

réduite, etc.

Dès lors, le maître d’ouvrage doit trouver un équilibre, pour chaque marché. Concilier entre les principes généraux et les exigences élémentaires prévus par l’article 1er du décret du 8 mars 2023 relatif aux marchés publics. D’une part, le respect du principe de liberté d’accès à la commande publique, le principe d’égalité de traitement des concurrents, le principe de garantie des droits des concurrents, le principe de transparence dans les choix du maître d’ouvrage et, d’autre part, le souci de prendre en compte la dimension économique, sociale, environnementale et écologique ainsi que la recherche des objectifs de développement durable. Autrement, la mise en œuvre des critères liés au développement durable reste conditionnée par le respect total desdits principes et exigences.

2. Le développement durable, désormais élément clé de sélection des offres et d’attribution d’un marché public La sélection des offres des concurrents est un gage de performance socio-économique des marchés publics. Le décret de 2013 relatif aux marchés publics prévoyait, dans son article 18, que le maître d’ouvrage pouvait se fonder, pour l’admission des concurrents et l’attribution du marché, sur une multitude de critères qui doivent être «objectifs, non discriminatoires et non disproportionnés par rapport à la consistance des prestations et doivent avoir un lien direct avec l’objet du marché à conclure», notamment «[...] les performances liées à la protection de l’environnement, le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique» lorsque l’offre technique est exigée, et ce pour les marchés de travaux, de fournitures ou de services.

En 2023, pour les marchés de travaux par exemple, cette liste de critères s’est enrichie au profit de nouveaux critères, prévus dans l’article 21 du décret sur les marchés publics, relatifs au «développement durable, le nombre et l’expérience des artisans et maalmens (maîtres artisans) auxquels le concurrent s’engage à recourir au titre des prestations de sauvegarde des médinas et de restauration des ouvrages traditionnels, historiques et anciens, la préservation des ressources hydriques, le degré d’utilisation des produits d’origine marocaine, l’implantation du concurrent dans la région concernée par le projet, le cas échéant».

Pour intégrer ces performances dans les marchés qu’il compte réaliser, le maître d’ouvrage peut, soit exiger la présentation d’une offre technique, soit exiger des attestations de référence et de qualité parmi les pièces constituant le dossier technique. Il peut également exiger toute pièce jugée utile justifiant les capacités des concurrents à honorer leurs engagements en matière de protection de l’environnement et de développement durable. Cela est valable pour les marchés dont l’exécution suppose la mise en œuvre de mesures de gestion sociale et écologique. En matière de prestations architecturales, les performances en matière de développement durable peuvent être prises en considération lors de l’évaluation de la qualité de la proposition technique en vue d’attribuer le contrat y afférent à l’architecte concerné.

C’est dire que ces performances peuvent désormais constituer des critères d’évaluation des offres et d’attribution du marché, à condition d’être prévus préalablement dans le règlement de consultation de celui-ci. Leur introduction dans les marchés publics permettrait d’accélérer le développement de la qualité sociale, voire la responsabilité sociale de l’acheteur public. A contrario, si les marchés publics tardent à apporter leur pierre à l’édifice de consolidation des droits fondamentaux des citoyens, les principes constitutionnels consacrant les droits et libertés fondamentaux deviendront vains et sans valeur ajoutée.

3. L’offre économiquement la plus avantageuse au service du développement durable L’obligation du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse à proposer au maître d’ouvrage est consacrée par le décret de 2023 relatif aux marchés publics comme une exigence permettant d’assurer le respect des principes auxquels obéit la passation desdits marchés et leur efficacité, ainsi que la bonne utilisation des deniers publics. Il s’agit d’une offre qui satisfait au mieux une pluralité de critères définis préalablement par l’acheteur public, notamment la qualité, le caractère esthétique, les performances en matière d’insertion professionnelle des personnes en difficulté, le caractère innovant et le prix global de la prestation à réaliser, y compris, le cas échéant pour les marchés de fournitures, le coût d’utilisation et/ou de maintenance de la prestation tout au long du cycle de vie de celle-ci.

Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse s’oppose donc au choix du moins-disant, fondé sur le seul critère financier : le prix. Les critères d’attribution sont généralement de deux sortes : ceux qui relèvent de la qualité de l’offre et ceux qui relèvent du coût de la prestation. Désormais, le prix n’est plus le seul critère à prendre en considération pour l’attribution du marché, comme c’était le cas auparavant, mais plutôt l’offre économiquement la plus avantageuse conformément aux dispositions de l’article 21 du décret de 2023 précité.

Cette évolution est notable. Elle invite les maîtres d’ouvrage à penser suivant une approche globale et stratégique en tenant compte de plusieurs critères à la fois, dont les impacts éventuels multiples de son achat lors de la préparation des marchés à conclure. Le maître d’ouvrage peut introduire alors le critère des performances liées à la protection de l’environnement parmi ces critères de qualité lorsque la présentation de l’offre technique est exigée. Mais l’utilisation de ce critère doit avoir un lien direct avec l’objet du marché et procurer un avantage économique direct à l’acheteur public sous peine que ce critère soit qualifié d’illégal. Par ailleurs, la protection de l’environnement est prise en considération pour l’attribution d’un marché qui a fait l’objet d’une consultation architecturale, lors du choix et du classement des offres, ou d’un concours architectural au moment de l’évaluation des projets.

4. L’exécution d’un marché public, phase de vérification du respect des exigences du développement durable Outre la passation, la phase d’exécution d’un marché public doit prendre en considération le respect de l’environnement et les objectifs de développement durable. C’est-à-dire que les conditions d’exécution de celui-ci peuvent comporter des éléments à caractère socio-économique et environnemental. La définition exacte des spécifications techniques du besoin à satisfaire est le premier acte pouvant fixer un niveau de performances recherchées en matière socio-économique et environnementale. Ces spécifications doivent être indiquées dans le cahier des prescriptions spéciales du marché. Une prestation qui ne respecterait pas ces spécifications pourrait être alors rejetée pour non-conformité, et ce à l’occasion des contrôles effectués sur place par le maître d’ouvrage ou lors de la réception des prestations réalisées.

C’est pourquoi l’introduction de clauses sociales et écologiques dans les marchés publics doit être étudiée et décidée très tôt et au plus tard lors de l’élaboration de l’évaluation préalable et dans le respect bien sûr des principes fondamentaux du droit des marchés publics. Toutefois, cette introduction resterait tout de même possible en cours d’exécution du marché et pourrait être effectuée en principe par voie d’avenant après accord explicite du cocontractant.

De tout ce qui précède, il résulte évidemment que la prise en considération des objectifs de développement durable dans les marchés publics n’est plus un choix, mais plutôt une exigence pour ne pas dire une obligation d’ordre juridique. Il s’agirait d’une sorte d’«obligation de moyen» que l’on peut dégager de diverses dispositions des textes juridiques applicables en la matière. D’un autre côté, lesdits marchés publics, qui demeurent un levier incontournable pour l’action publique, peuvent être utilisés comme étant un vecteur d’influence en matière d’inclusion territoriale et de préservation de l’environnement. C’est dire que la mise en place d’une stratégie d’achat public socialement et écologiquement responsable s’avère opportune pour booster la performance sociale et écologique des marchés publics, voire promouvoir une économie circulaire. Pour y parvenir, les objectifs de développement durable des marchés publics ne devraient-ils pas être imposés expressément aux maîtres d’ouvrages publics plutôt que d’être laissés à leur libre appréciation ?
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