Par Houssine El Rhilani, directeur de l’ONUSIDA Maroc
La communauté mondiale a réussi l’impensable : ramener le nombre de nouvelles infections au VIH à son plus bas niveau en trente ans. Pourtant, malgré les avancées, 1,3 million de personnes ont contracté le VIH en 2023. Nous sommes encore loin de l’objectif mondial de 200.000 nouvelles infections d’ici 2030. Et sans action urgente, les projections sont alarmantes : entre 4,4 et 10,7 millions de nouvelles infections supplémentaires d’ici 2030 dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Un retour en arrière cruel, qui anéantirait vingt années de lutte acharnée.
Mais l’histoire n’est pas écrite. À cette même période où les financements vacillent, la science nous tend une clé : les traitements préventifs injectables à action prolongée. Lenacapavir, avec deux injections par an, a montré une efficacité proche de 100%. Cabotégravir, déjà disponible dans certains pays, offre une protection bimensuelle. Pour des millions de personnes qui, pour des raisons sociales, culturelles ou structurelles, ne peuvent pas utiliser les préservatifs ou prendre une pilule quotidienne, ces solutions changent la donne.
Le Maroc, pays d’avant-garde dans l’intégration de la prévention combinée, observe ces avancées avec un mélange d’enthousiasme et de préoccupation. Car si l’innovation est à portée de main, encore faut-il qu’elle soit accessible, abordable et soutenue politiquement. Or, dans le sillage de la réduction drastique de l’aide internationale au développement – y compris du Fonds mondial et du PEPFAR (programme international américain de lutte contre le VIH/SIDA) –, les programmes de prévention sont les premiers à trinquer. Ironie tragique : alors que la science offre des outils plus efficaces que jamais, l’économie politique les rend inaccessibles aux plus vulnérables.
Dans un tel contexte, il est impératif de ne pas céder au fatalisme. Nous devons refuser que les financements soient recentrés uniquement sur les traitements au détriment de la prévention. Car soigner sans prévenir, c’est condamner les générations futures à un cycle sans fin. La riposte au VIH doit se réinventer. Elle doit être nationale, intégrée, multisectorielle. Elle doit replacer les communautés au centre, notamment les jeunes, les femmes et les populations clés. Elle doit, surtout, bénéficier d’un cadre juridique et politique favorable, où personne n’est exclu pour ce qu’il est ou pour ce qu’il vit.
Le Maroc, en tant que pays à revenu intermédiaire engagé dans la transition vers des programmes plus durables, a toujours appelé à une solidarité renouvelée. Nous avons besoin d’un soutien technique et financier ciblé, d’une volonté politique claire pour lever les obstacles réglementaires, et d’un engagement pour rendre les innovations accessibles à ceux qui en ont le plus besoin. L’avenir de la riposte au VIH se joue maintenant. Nous avons le choix entre l’oubli et l’ambition, entre l’abandon des plus vulnérables et un sursaut de courage collectif. L’histoire jugera notre capacité à faire de cette crise un levier de transformation.