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Jeudi 20 Mars 2025
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Deep tech marocaine : SensThings, l’étoile montante (Tribune)

Le Maroc est en train de vivre une révolution silencieuse, portée par une dynamique technologique qui défie les attentes et projette le pays sur l’échiquier mondial de l’innovation. SensThings, une spin-off issue de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), incarne cette transformation. Cette jeune entreprise, spécialisée dans les capteurs intelligents et les technologies phygitales (synergie physique et digital), accumule les distinctions et franchit un cap majeur en remportant, le 19 février 2025, le Grand Prix de l’Organisation arabe du travail de la Ligue des États arabes ainsi que la Médaille d’or avec mention spéciale du jury du 15e salon IIFME. Ce Salon international des inventions du Moyen-Orient s’impose comme l’un des événements les plus prestigieux au monde pour l’innovation technologique.

Hafid Griguer, Directeur adjoint du Digital Innovation Center of Excellence de l'UM6P, recevant le Grand Trophée de l’Organisation Arabe du Travail de la Ligue des États Arabes, le 19 février au Koweit, pour la spin-off SensThings.
Hafid Griguer, Directeur adjoint du Digital Innovation Center of Excellence de l'UM6P, recevant le Grand Trophée de l’Organisation Arabe du Travail de la Ligue des États Arabes, le 19 février au Koweit, pour la spin-off SensThings.

Par Kamal El Alami

Cette reconnaissance internationale ne doit rien au hasard. SensThings s’est forgé une place de choix en conjuguant excellence scientifique et vision stratégique. Contrairement aux approches classiques qui optimisent des services existants, cette spin-off est née d’une recherche de pointe et d’un environnement propice à la transformation d’innovations de rupture en solutions commercialisables. Elle se distingue par sa maîtrise des capteurs intelligents dont elle détient les brevets, de l’intelligence artificielle couplée au deep learning et le déploiement de solutions blockchain. Ce sont là des technologies qui redéfinissent les usages dans plusieurs secteurs de pointe. À travers le développement de solutions brevetées, elle s’est imposée comme un acteur incontournable, capable d’influencer durablement l’industrie, la santé et la certification numérique.



Son ascension fulgurante ne se limite pas au monde arabe. En l’espace de quelques années, SensThings a engrangé des distinctions aux quatre coins du globe, consolidant son statut d’entreprise technologique d’avant-garde. En Corée du Sud, elle s’est illustrée avec une médaille d’or à la Foire internationale des inventions de Séoul. En Allemagne, elle a remporté une autre médaille d’or dans le plus ancien des salons d’innovation du monde iENA. En Suisse, elle a brillé à Genève, en obtenant une double distinction : l’or pour BioTouch, un lecteur de glycémie sans contact, et l’argent pour LeafLife, un capteur non invasif qui optimise la consommation d’eau des plantes. En Amérique du Sud, elle a marqué les esprits au Chili en remportant la médaille d’or de la catégorie eGov et engagement citoyen du World Summit Award des Nations unies, une reconnaissance accordée aux technologies à impact durable. Chaque distinction vient confirmer que cette spin-off marocaine de l’UM6P ne se contente pas de suivre les tendances, mais participe activement à leur définition.

Parmi les solutions qui font de SensThings une entreprise à surveiller de près, sa technologie T3 qui s’impose comme une révolution dans la gestion des documents numériques. Ce système, basé sur la blockchain, permet de certifier l’authenticité des diplômes, certificats, chèques et badges numériques, garantissant leur inviolabilité et facilitant leur vérification instantanée. Dans un monde où la fraude documentaire est un enjeu majeur, cette innovation ouvre de nouvelles perspectives pour les universités, les entreprises et les institutions publiques. Mais son champ d’application ne s’arrête pas à la certification académique. T3 s’étend à l’industrie, où elle offre une traçabilité fiable et infalsifiable pour des secteurs aussi stratégiques que l’industrie pharmaceutique, les câbles électriques ou encore les cimenteries. Cette polyvalence confère à SensThings une position de force sur des marchés en pleine expansion, où la sécurisation des échanges et l’intégrité des données sont devenues des impératifs.

Derrière ce succès, un écosystème d’excellence joue un rôle clé. L’Université Mohammed VI Polytechnique, en véritable catalyseur de l’innovation, a permis à SensThings d’évoluer dans un environnement où la recherche rencontre les applications industrielles. Le Digital Innovation Center of Excellence (DICE) joue un rôle central dans l’accompagnement des projets technologiques et leur transformation en solutions viables sur le marché. Au sein de cet écosystème, le centre de recherche MAScIR excelle aussi et contribue à l’enrichissement d’un cadre scientifique qui nourrit l’ensemble des initiatives technologiques du pays. Cette synergie unique permet aux spin-offs de s’épanouir, en bénéficiant d’un accompagnement à la fois scientifique, stratégique et industriel.

SensThings, future première licorne marocaine ?

Mais si SensThings attire tant l’attention aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle a su gagner la confiance des institutions marocaines à travers des projets d’envergure. Son expertise a été sollicitée pour la phygitalisation des diplômes du Baccalauréat marocain et des épreuves académiques, une avancée majeure qui simplifie et sécurise la certification des parcours scolaires. Son top management a aussi contribué à de grands projets nationaux à travers le DICE de l’UM6P, notamment dans la formation de 200.000 agents de terrain présélectionnés pour le recensement national de 2024, un projet mené par le Haut-Commissariat au Plan. Dans le secteur des transports, le DICE s’est distingué avec le développement d’une voiture intelligente destinée aux examens de conduite de la NARSA qui vise à renforcer la sécurité routière. À l’international, il se positionne comme un acteur clé dans le domaine de l’agriculture intelligente, notamment à travers des projets inscrits dans la coopération Sud-Sud. Ces collaborations démontrent la pertinence de ses technologies et leur capacité à répondre aux défis réels en apportant des solutions à forte valeur ajoutée.

Aujourd’hui, une question se pose avec insistance : le Maroc est-il sur le point de voir émerger sa première licorne technologique ? Une licorne, dans le monde des startups, désigne une entreprise valorisée à plus d’un milliard de dollars. Jusqu’à présent, aucune entité marocaine n’a atteint ce seuil. Pourtant, SensThings semble réunir tous les ingrédients pour y parvenir. Elle évolue sur des marchés en pleine expansion, là où l’innovation crée des opportunités colossales. Son expertise en deep tech, associée à un portefeuille de brevets stratégiques, lui donne un avantage compétitif rare. Son rayonnement international et les distinctions accumulées crédibilisent son potentiel de croissance exponentielle.

L’enjeu pour SensThings sera désormais de structurer son développement à l’échelle mondiale et d’attirer des investissements stratégiques. Son intégration dans un écosystème d’innovation solide lui confère un atout majeur, mais la prochaine étape réside dans sa capacité à lever des fonds pour accélérer son déploiement sur de nouveaux marchés. La deep tech est un secteur exigeant, où la concurrence est rude et où seules les entreprises capables de s’imposer rapidement parviennent à capturer une part significative du marché. SensThings a déjà prouvé qu’elle avait le talent et la vision pour entrer dans cette compétition mondiale.

Au-delà du destin de cette spin-off, son succès envoie un message fort, le Maroc a franchi un cap en matière d’innovation technologique. Longtemps perçu comme un simple consommateur de solutions développées ailleurs, le pays démontre qu’il est capable de générer ses propres champions technologiques. L’Université Mohammed VI Polytechnique, à travers son approche unique combinant recherche avancée, accompagnement DEV (Department of Entrepreunership & Venturing) et de son support de scalabilité industrielle via INNOVX, incarne cette ambition en parfaite harmonie avec la Vision de Sa Majesté le Roi. SensThings est l’exemple vivant de cette transformation, un symbole de ce que le Maroc peut accomplir lorsqu’il mise sur l’intelligence, la recherche et l’innovation.

Alors, SensThings sera-t-elle la première licorne marocaine ? Tous les signaux sont au vert. Mais transformer ce potentiel en réalité ne peut être l’affaire d’une seule entreprise. Ce défi dépasse les murs de la spin-off et engage tout un écosystème : investisseurs, institutions publiques, universités, grandes écoles, acteurs industriels et décideurs économiques. Faire émerger une licorne, c’est créer un environnement propice à l’innovation, où le financement, la réglementation et l’accompagnement stratégique s’alignent pour propulser des technologies de rupture sur la scène mondiale. L’histoire est en marche, mais son succès dépendra de la capacité collective à porter ce modèle jusqu’à son plein essor. Le Maroc est à un tournant. Reste à savoir s’il saisira cette opportunité pour s’inscrire durablement dans la cour des grandes nations technologiques. Et le monde de l’innovation retient son souffle.

Licornes africaines, un retard à combler

Dans l’univers des startups milliardaires, les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Royaume-Uni concentrent à eux seuls 80% de la capitalisation mondiale des licornes. Le continent africain tente de se frayer un chemin dans cet univers dominé par les grandes puissances technologiques. Avec plus de 1.200 licornes répertoriées dans le monde pour une valorisation cumulée de plus 4.000 milliards de dollars, l’Afrique s’accapare à peine 7 milliards de dollars. À titre de comparaison, les États- Unis captent presque 60% de la valorisation mondiale. Un déséquilibre frappant, révélateur d’un écart d’accès aux financements, aux infrastructures et aux écosystèmes d’innovation.

Aujourd’hui, seulement quelques licornes africaines ont émergé, majoritairement dans le secteur des services financiers :

• Opay et Moniepoint (Nigeria), fers de lance de la fintech en Afrique de l’Ouest.

• Wave (Sénégal), pionnier des paiements mobiles sur le continent.

• Halan (Égypte), qui révolutionne l’accès au crédit et aux services financiers.

• Promasidor Holdings (Afrique du Sud), seule licorne hors fintech opérant dans l’agroalimentaire et la distribution.

Le Nigeria s’impose ainsi comme le leader incontesté de la Fintech en Afrique, suivi par l’Égypte et le Sénégal. Cette montée en puissance s’explique par une adoption massive du mobile banking, une demande accrue en services financiers alternatifs et un intérêt croissant des investisseurs internationaux pour des marchés encore sous-explorés.

Si l’Afrique a encore un long chemin à parcourir pour rivaliser avec les pôles technologiques mondiaux, une chose est certaine, l’innovation n’est plus une hypothèse, mais une réalité en gestation. Le Maroc, avec ses ambitions en deep tech, pourrait bien être le prochain pays à inscrire son nom dans cette élite des startups milliardaires, et ce dans un club encore plus sélect, celui des licornes technologiques de rupture.
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