Jamal Belahrach, Expert en capital humain et DG de Deo Conseil international
Aujourd’hui, les faits sont implacables. Un taux de chômage supérieur à 13%, un taux d’emploi qui peine à atteindre 42%, un taux d’activité des femmes bloqué sous les 18%. Près de deux millions de jeunes Marocains ne sont ni en emploi, ni en études ni en formation. Chaque année, 400.000 élèves décrochent de l’école et 200.000 jeunes diplômés arrivent sur un marché incapable de leur offrir des perspectives dignes.
À cela s’ajoute une croissance économique molle, autour de 3% par an en moyenne sur la dernière décennie, alors qu’il nous faudrait au moins 8% de croissance continue pendant dix ans pour espérer inverser la tendance. Le décalage entre les ambitions affichées et les réalités vécues est devenu insoutenable.
Le Maroc est face à un risque majeur
Le problème de l’emploi n’est plus uniquement économique ou social. Il est devenu un enjeu de sécurité nationale. Nous disposons d’un atout inestimable : un dividende démographique exceptionnel, une jeunesse nombreuse, pleine de talents et d’aspirations. Quand l’Europe s’inquiète de son vieillissement et nous envie cette jeunesse, nous, nous laissons ce potentiel s’éroder dans la frustration, l’exil, et parfois même la colère. Si nous continuons à ignorer cette bombe à retardement, nous hypothéquons la stabilité et l’avenir même de notre pays.Répondre aux défis d’aujourd’hui avec les recettes d’hier !
Le monde a changé. Les aspirations de la jeunesse ont changé. Les entreprises ont changé. Les métiers eux-mêmes changent sous nos yeux, portés par la révolution numérique et l’économie de la connaissance. Pourtant, nos politiques publiques restent figées dans des schémas dépassés, privilégiant les mesurettes aux réformes structurelles, et le court terme à la vision d’avenir pour les générations actuelles et futures.Repenser l’emploi, c’est repenser notre modèle économique
Il faut construire une économie plus compétitive, libérer l’initiative, moderniser notre fiscalité, faciliter la vie de l’entreprise. Il faut aussi transformer notre système éducatif pour en finir avec l’inadéquation entre formations et besoins du marché. L’apprentissage, l’alternance, la formation continue doivent devenir des piliers du nouveau pacte éducatif et de confiance.Repensons le travail et sa gestion dans une approche plus systémique :
• Promouvoir la flexibilité responsable.
• Mettre en place des outils innovants comme une TVA sociale.
• Instaurer un contrat de travail plus simple et plus protecteur à la fois.
• Adapter notre droit du travail aux défis de l’économie numérique.
Un changement de paradigme économique et social
L’entreprise a des droits. Mais elle a aussi des devoirs. Elle doit s’investir pleinement dans cette bataille nationale pour l’emploi, en ouvrant ses portes aux stagiaires, intégrer les jeunes diplômés, investir dans leur formation continue pour renforcer leur employabilité et ne pas attendre d’avoir un produit sorti d’université prêt à l’emploi. Elle doit considérer cet engagement non comme une charge, mais comme un acte de patriotisme économique essentiel à sa propre pérennité et à la sécurité nationale.De la même manière, les syndicats doivent faire leur révolution idéologique. Ils doivent entrer résolument dans le nouveau monde. Il n’y a pas de progrès social sans progrès économique. Ils doivent devenir des acteurs stratégiques de la régulation du marché du travail, en accompagnant les transformations, en soutenant l’innovation sociale, plutôt qu’en restant crispés sur des modèles dépassés. Accompagner sans freiner : voilà l’exigence de ce nouveau rôle syndical.
Nous avons les bases, il est temps de provoquer un sursaut national
Le nouveau modèle de développement, fruit d’un travail collectif remarquable, a identifié avec justesse les enjeux. Il a appelé à un changement de paradigme profond. Mais faute de pilotage rigoureux et d’engagement politique fort, ses recommandations restent, pour l’instant, sans traduction concrète dans la vie des Marocains. Nous avons besoin d’une grande conférence sociale inclusive, rassemblant l’État, les entreprises, les syndicats, les jeunes, les experts, les collectivités territoriales, pour aborder l’emploi de manière globale et systémique. Pas seulement en termes de création de postes, mais en réfléchissant à tout l’écosystème : éducation, fiscalité, compétitivité, dialogue social, travail numérique, entrepreneuriat. Seule une approche holistique, ouverte, débarrassée des tabous idéologiques, pourra libérer nos énergies. Nous devons inventer un nouveau contrat social autour du travail qui du reste a été demandé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI depuis 2009. L’avenir est encore entre nos mains. Mais il passe par un effort de lucidité, de courage et d’humilité. Reconnaître nos erreurs, c’est déjà commencer à les réparer.Le Maroc a tous les atouts pour réussir : sa jeunesse, son ambition, son potentiel. Il ne tient qu’à nous d’en faire une chance historique, plutôt qu’une crise chronique. Ce n’est pas une crise de l’emploi que nous vivons. C’est une crise du courage politique, économique et social. Entrons ensemble dans une société de confiance et libérons-nous de la défiance. Mea culpa. Mais surtout, agissons.