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Où réside le secret de notre liberté ?

L’Homme explore le monde, accumule du savoir, repousse les frontières de l’inconnu, convaincu qu’il finira par tout comprendre. Chaque découverte scientifique, chaque progrès technologique nourrit cette ambition : percer les mystères de l’univers, maîtriser le réel, et pourquoi pas, anticiper l’avenir. Mais si tout était déjà connu, inscrit dans un savoir absolu qui embrasse chaque instant avant même qu’il ne survienne ?

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Al-Ghazali, dans son «Tahafut al-Falasifa», s’attaque à une prétention fondamentale des philosophes péripatéticiens : l’idée que Dieu ne connaîtrait que les généralités, laissant les détails du monde hors de Son omniscience. Une conception qui, selon lui, réduit la toute-science divine à une abstraction incomplète. Mais si Dieu sait tout, depuis l’origine des mondes jusqu’au moindre battement de cils, que reste-t-il alors du libre arbitre humain ?

Un savoir divin absolu, hors du temps

Certains philosophes, influencés par Aristote, avancent que Dieu, en tant qu’être parfait, ne pourrait pas connaître les événements changeants du monde sans être lui-même affecté par ces variations. Pour eux, Sa connaissance se limite aux principes universels, tandis que les détails de l’existence suivent leur cours indépendamment.

Mais Al-Ghazali réfute cette idée. S’Il est parfait, Dieu ne peut être limité dans Son savoir. Il connaît non seulement chaque cause, mais aussi chaque effet, non seulement chaque loi universelle, mais aussi chaque instant particulier. Son savoir ne dépend ni du temps ni du changement : il est immédiat, absolu, englobant tout dans une seule vision sans passé ni futur.

Mais cette conception semble soulever une tension profonde. Si Dieu connaît déjà nos choix avant que nous les fassions, sommes-nous encore libres ?

Le libre arbitre, réalité ou illusion ?

L’homme se croit maître de ses décisions. Chaque jour, il agit en pensant qu’il choisit librement, qu’il oriente son destin selon sa volonté. Mais cette sensation de liberté est-elle réelle ou n’est-elle qu’un reflet d’une volonté plus vaste qui nous dépasse ?

Dans la tradition musulmane, le débat entre les Moutazilites et les Ashaarites a posé cette question avec acuité. Les premiers, attachés à une conception rationnelle de la justice divine, affirmaient que l’homme devait être totalement libre, sans quoi il ne pourrait être jugé équitablement. Les seconds, au contraire, insistaient sur la souveraineté divine : tout acte humain se produit dans un cadre voulu et créé par Dieu.

Al-Ghazali, fidèle à sa démarche, refuse l’excès des deux positions. L’homme agit, mais il agit dans un monde régi par une volonté supérieure. Il est libre dans ses choix, mais ces choix eux-mêmes sont inscrits dans une trame divine qu’il ne perçoit qu’en partie. Il veut, mais cette volonté lui est donnée.

Les neurosciences face au mystère du choix

Si ce débat semble purement théologique, il trouve un écho étonnant dans les découvertes contemporaines. Des expériences comme celles de Benjamin Libet ont montré que l’activité cérébrale précède la prise de décision consciente, suggérant que certains choix sont initiés inconsciemment. D’autres recherches, menées par Alfred Mele, tempèrent ces conclusions en affirmant que l’homme garde un pouvoir d’ajustement, de réflexion et de résistance à ses impulsions premières.

Cette tension entre impulsion et maîtrise fait étrangement écho à la vision d’Al-Ghazali : l’Homme est libre d’orienter sa volonté, mais cette volonté elle-même s’inscrit dans une réalité qu’il n’a pas choisie. Loin de nier la liberté, cela l’inscrit dans une dynamique où l’homme découvre ses marges d’action au sein d’un cadre plus vaste.

Une liberté inscrite dans l’infini

Pour Al-Ghazali, la vraie liberté ne consiste pas à revendiquer une autonomie absolue, mais à comprendre que notre volonté n’a de sens que dans son lien avec celle de Dieu. Un marin ne choisit pas le vent, mais il peut ajuster ses voiles. Ainsi, l’homme ne crée pas les possibilités qui s’offrent à lui, mais il peut choisir comment s’y engager.

C’est ici que la pensée d’Al-Ghazali se rapproche du soufisme. Là où la philosophie cherche à prouver la liberté par la raison, le mystique comprend qu’elle ne se démontre pas, elle se vit. Le soufi ne se demande pas s’il est libre ou non. Il sait que la vraie liberté consiste à aligner sa volonté avec celle du Créateur, à abandonner l’illusion du contrôle pour s’accorder au flux divin.

Le vent souffle où il veut

En fin de compte, la quête de liberté humaine se heurte toujours à une limite : la reconnaissance de ce qui nous échappe. Nous agissons, nous décidons, mais toujours dans un cadre que nous n’avons pas choisi. Certains verront dans cette idée une contrainte, d’autres une délivrance.

Car la sagesse n’est pas dans l’illusion de tout maîtriser, mais dans l’art de naviguer. Celui qui se débat contre le courant s’épuise, celui qui comprend le vent ajuste ses voiles et avance. Dieu sait tout, mais Il nous laisse voguer. Et dans cet espace entre le savoir absolu et la volonté humaine, réside le secret de notre liberté.
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