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Publication scientifique en Afrique du Nord : montées en puissance et stratégies gagnantes au Maroc et en Egypte

La performance scientifique des pays nord-africains se confirme lentement mais sûrement. Une analyse approfondie des données dans ce domaine révèle une augmentation continue de la production scientifique marocaine, une confirmation des bonnes performances d’un réseau solide et efficace d’universités égyptiennes, une présence distinguée de l’Afrique du Sud, mais aussi une perte de vitesse des performances de l’Algérie et de la Tunisie. Cette analyse a été réalisée à l’occasion de la journée mondiale de l’innovation, célébrée par les Nations Unies le 21 avril de chaque année. Pour le nombre de chercheurs et d’universités faisant partie de l’élite mondiale, l’Egypte fait bonne figure derrière le leader continental sud-africain, le Maroc montre une politique efficace de rétention et d’attraction des chercheurs de l’élite mais tarde encore à faire émerger des universités de rang mondial.

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Par Dr. Mhamed-Ali El-Aroui est professeur associé de Finance Quantitative et Data Analytics à la Rabat Business School

Chaque 21 avril la communauté internationale célèbre la journée mondiale de la créativité et de l’innovation. Cette journée, lancée par les Nations Unies en 2017, a pour principal objectif de sensibiliser les différentes parties prenantes à l’importance vitale de l’innovation dans la réussite des transitions (climatique, énergétique, sociale, économique, écologique, digitale) que l’humanité devra réussir dans les prochaines décennies. La résolution des Nations Unies ayant acté cette journée mondiale de l’innovation se base sur les principes suivants :

- La créativité humaine et l’innovation, à l’échelle des groupes comme des individus, représentent, au XXIème siècle, la véritable richesse des nations.

- C’est grâce à la créativité et à l’innovation que l’humanité pourra apporter des solutions aux problèmes les plus pressants de notre siècle.

- L’innovation est essentielle pour pouvoir tirer parti du potentiel économique de chaque nation et encourager l’entrepreneuriat, la créativité et l’innovation, vecteurs de croissance économique et de création d’emplois.

Les pays de l’Afrique du Nord ont chacun un système d’innovation spécifique au niveau des acquis, des stratégies, des dynamiques et des ambitions. Les indicateurs scientométriques apportent une première analyse comparative de ces systèmes d’innovation et permettent de mesurer leurs capacités à aider ces pays pour relever les nombreux défis auxquels ils seront amenés à faire face.

La production scientifique

La base des données de la Banque Mondiale (https ://donnees.banquemondiale.org), la plateforme Scimago (https://www.scimagojr.com) et l’éditeur scientifique Elsevier fournissent plusieurs indicateurs quantitatifs révélateurs des politiques et choix scientifiques de chaque pays. Mettons d’abord de côté la Libye qui, outre ses problèmes politiques actuels, s’est caractérisée depuis longtemps par un contexte socio-économico-culturel très différent de son voisinage, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie semblent améliorer leur performance graduellement. Ces derniers sont toutefois distancés par l’Egypte qui a fait un bon intéressant durant les dernières années. L’Afrique du Sud qui a longtemps été une exception scientifique sur le continent semble ainsi être rattrapée par l’Egypte qui avait lancé en 2018 une politique nationale ambitieuse d’incitations à l’innovation scientifique et technologique .

Le Tableau 1 précise ces tendances en donnant, pour l’année 2022 et les données de la plateforme Scimago, les nombres de publications, leurs taux de croissance annuels, le nombre de publications par million d’habitants et l’indice qualitatif H-index mesurant l’impact scientifique des publications de chaque pays. Il ressort des éléments fournis que :

- En nombre absolu de publications scientifiques en 2022 les trois principaux pays du Maghreb ont des performances comparables même si le Maroc semble prendre un avantage par rapport à la Tunisie et à l’Algérie. Les performances maghrébines restent distancées de loin par celles de l’Egypte qui confirme son avantage par rapport à l’ancien leader continental sud-africain.

- La croissance annuelle moyenne des nombres de publications scientifiques sur la décennie 2012-2022 montre de très bonnes dynamiques pour le Maroc et l’Egypte avec des taux de croissance annuels respectifs de 13,2% et 12,6% devançant de loin l’Algérie, l’Afrique du Sud et la Tunisie qui ont des taux de croissance respectifs de 8,7%, 7,5% et 6,3%.

- Si on considère le nombre de publications par million d’habitants la Tunisie reste de loin la plus performante avec 885 publications par million d’habitants en 2022 devançant nettement l’Afrique du Sud (577) et l’Egypte (430).

- La dernière ligne du Tableau 1 donne le H-index par pays (période 1996-2022) mesurant l’impact des recherches publiées et leurs utilisations par la communauté des chercheurs. Le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont des impacts proches distancés par l’Egypte qui elle-même est encore nettement distancée par l’Afrique du Sud au niveau de la qualité et de l’impact de sa recherche scientifique.

Quant aux les effectifs des chercheurs résidants dans ces pays étudiés et appartenant au grata mondial du top 2% des chercheurs les plus productifs et les plus cités en 2022 , le même classement est globalement respecté. Ainsi, on retrouve l’Afrique du Sud en tête avec 775 chercheurs, suivi de l’Egypte qui place 416 chercheurs. Les trois principaux pays du Maghreb ne plaçant chacun qu’une trentaine de chercheurs résidants dans le grata mondial : 33 au Maroc, 28 en Tunisie et 25 en Algérie. Notons qu’en 2021 ces nombres de chercheurs élite les plus cités étaient respectivement de 22, 23 et 24 pour ces trois pays soit une augmentation en une année de 50% pour le Maroc, 22% pour la Tunisie et 4% pour l’Algérie.

Classement international des universités

Les systèmes d’innovation scientifique ne peuvent être développés sans un réseau de grandes universités performantes. Plusieurs classements internationaux ont vu le jour depuis une quinzaine d’années. Ces classements se basent le plus souvent sur des indicateurs objectifs associant production scientifique, rayonnement du corps professoral, qualité des formations et réputation des diplômes et des diplômés auprès des entreprises.

Quel est alors le nombre d’universités nord-africaines classées dans les listes du classement de Shanghai en 2023, du THE-2023 (Times Higher Education) ou encore du QS-2024 ? La liste Shanghai donne les 1000 plus prestigieuses universités, seule l’Egypte fait jeu égal avec l’Afrique du Sud en y plaçant sept universités (l’Université du Caire se plaçant même parmi les 400 premières). Notons que la Tunisie n’y place qu’une seule université (Université de Sfax) après que l’Université de Tunis El-Manar ait quitté le classement de Shanghai en 2022.

Pour le classement QS des meilleures 1400 universités, la Tunisie y place quatre universités (l’Université de Tunis El-Manar, l’Université de Sfax, l’Université de Sousse et l’Université de Tunis) alors que le Maroc n’y place qu’une seule (Université Med V de Rabat).

Le classement THE 2023 place 13 universités algériennes dans les meilleures 1500 mais uniquement une (Université Ferhat Abbas de Sétif) parmi les 500 meilleures. Le Maroc et la Tunisie y placent chacun huit universités parmi les meilleures 1500 mais aucune dans le top 1000.

Des phares scientifiques africains en devenir...

Cette analyse quantitative de la production et de la visibilité scientifiques des pays nord-africains montre d’excellentes dynamiques pour l’Egypte et le Maroc avec encore une hégémonie continentale sud-africaine qui persiste au niveau de la visibilité et de l’impact des recherches. Même si cette analyse est basée sur des indicateurs scientométriques peu efficaces pour évaluer les dynamiques de publication dans les sciences humaines et sociales, ses ces résultats semblent tout de même valider des choix stratégiques cohérents, efficaces et bien réfléchis pris par le Maroc et l’Egypte au cours de la dernière décennie. Ces choix stratégiques concernent la création et le développement de pôles universitaires de niveau international, l’incitation à l’innovation scientifique, l’adoption de standards internationaux pour la formation des chercheurs, leur rétention ainsi qu’un effort solide de reverse brain-drain et de réseautage efficace avec la diaspora scientifique. Ceci ne semble pas être le cas pour la Tunisie et l’Algérie dont les dynamiques scientifiques ont nettement ralenti durant la dernière décennie. Si les efforts du Maroc et de l’Egypte et leurs stratégies s’institutionnalisent davantage, se consolident et s’accélèrent durant les prochaines décennies ils feront émerger deux nouveaux dragons scientifiques qui s’ajouteront à l’Afrique du Sud pour former trois pôles d’excellence scientifique sur les trois pointes du continent. Ces trois pôles devront ensuite rayonner beaucoup plus sur le reste du continent et assumer pleinement un rôle de phares intellectuels, scientifiques et technologiques pour la jeunesse africaine.
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