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Quel avenir pour l’Homme dans un monde façonné par l’IA ? (Tribune)

L’histoire économique regorge de craintes d’histoires face aux avancées technologiques. À chaque grande transformation, de l’industrialisation à l’automatisation, une question refait surface : quel avenir pour l’humain dans un monde où les machines prennent une place grandissante ? Aujourd’hui, avec l’essor de l’intelligence artificielle et de la robotique, cette interrogation se pose avec une intensité inédite. Non seulement l’IA est capable de remplacer l’humain pour des tâches répétitives, mais elle s’infiltre aussi dans des domaines où la présence de celui-ci semblait jusque-là irremplaçable.

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Dans les entrepôts, des bras robotisés trient et emballent des colis à une vitesse inégalable. Sur les routes, les camions autonomes réduisent la nécessité d’un volant humain. Dans l’industrie manufacturière, des usines «Dark Factories» fonctionnent désormais sans aucune intervention humaine. Dans les hôpitaux, des algorithmes diagnostiquent des maladies avec une précision qui défie les meilleurs spécialistes. Dans les bureaux, les agents IA sont devenus autonomes et assurent des tâches administratives. Même dans les services de sécurité, la reconnaissance faciale et les drones patrouilleurs remettent en question le rôle des agents de surveillance. À première vue, tout porte à croire que l’intelligence artificielle (IA) et la robotisation pourraient progressivement faire disparaître la majorité des emplois. Mais un monde sans travailleurs est-il économiquement viable ?

L’équilibre économique repose sur une logique simple, les travailleurs consomment ce qu’ils produisent. Si une entreprise automatise l’ensemble de sa chaîne de production et supprime des emplois, elle augmente certes sa rentabilité à court terme, mais elle réduit aussi la capacité de consommation de la population.



À qui vendra-t-elle alors ses produits ? L’Histoire a déjà prouvé que l’élimination massive d’emplois sans alternative crédible entraîne des crises profondes. L’enjeu n’est donc pas simplement technique, mais profondément structurel.

À l’époque de la révolution industrielle, les artisans remplacés par les machines à tisser ont vu leur métier disparaître, mais l’essor des usines a généré de nouveaux besoins et créé une classe ouvrière. Plus tard, l’avènement de l’informatique a réduit les effectifs dans de nombreuses tâches administratives, tout en ouvrant la voie à des professions inédites liées aux technologies numériques. Mais aujourd’hui, la question est plus complexe. Contrairement aux révolutions précédentes, celle de l’IA ne se limite pas à l’automatisation des gestes, elle remplace aussi des compétences cognitives et décisionnelles.

Mustafa Suleyman, dans «The Coming Wave», alerte sur cette mutation inédite. Selon lui, cette nouvelle vague technologique n’a pas d’équivalent dans l’Histoire. L’IA et la biotechnologie progressent si rapidement que les États peinent à les encadrer, ouvrant la voie à des déséquilibres économiques et politiques majeurs. Contrairement aux machines de l’ère industrielle, qui nécessitaient encore un travail humain pour fonctionner, les systèmes d’IA peuvent apprendre, s’améliorer et agir de manière autonome. Leur développement accéléré pourrait laisser une partie de la population sans emploi et sans alternative viable.

Face à cette vague de transformations, le défi n’est pas tant d’empêcher l’évolution, mais d’imaginer une transition où l’humain demeurerait au centre. Dans de nombreux secteurs, l’automatisation ne signifie pas forcément la suppression d’emplois, mais une redéfinition des missions. Un agent de sécurité ne sera peut-être plus posté devant un écran à surveiller, mais il deviendra un superviseur des systèmes d’IA, capable d’intervenir lorsque les machines ne suffisent pas. Un ouvrier d’usine ne manipulera plus directement les pièces, mais gérera l’entretien et le paramétrage des robots. L’important est d’accompagner cette mutation avec des formations adaptées et une vision à long terme.

Mais Suleyman met aussi en garde contre un danger plus large, celui de la concentration du pouvoir entre les mains d’une élite technologique. Si l’IA permet à quelques grandes entreprises de contrôler l’essentiel de la production et des services, le déséquilibre pourrait être bien plus profond qu’une simple crise du travail. Certains pays, maîtrisant l’IA et la biotechnologie, pourraient dominer économiquement ceux qui ne disposent pas des mêmes avancées, redéfinissant la hiérarchie mondiale. Cette bipolarisation technologique risque d’accentuer les inégalités et d’exacerber les tensions géopolitiques et sociales.

Les États ne peuvent rester spectateurs. La régulation sera la clé pour éviter un basculement brutal qui créerait une fracture sociale ingérable. L’un des leviers envisageables est la taxation des robots, non pas pour freiner l’innovation, mais pour financer la reconversion des travailleurs. L’idée d’une réduction du temps de travail, afin de mieux répartir l’emploi disponible, pourrait aussi être explorée. Certaines voix plaident même pour un revenu universel, financé par les gains de productivité de l’IA, garantissant un pouvoir d’achat aux populations dans un monde où le travail deviendrait moins central.

Mais derrière les transformations économiques et technologiques, une question plus fondamentale se pose : quel monde voulons-nous construire ? L’histoire nous enseigne que ce ne sont pas les machines qui décident du sort des sociétés, mais les choix des humains qui les contrôlent. Le progrès n’est jamais neutre, il bénéficie à certains, en laissant d’autres sur le bord de la route. L’intelligence artificielle ne fera pas exception.

Si demain les élites technologiques et économiques prennent des décisions fondées uniquement sur des logiques de rentabilité et d’optimisation, alors l’IA pourrait devenir un outil d’exclusion massive. Elle pourrait façonner un monde où une minorité accède aux richesses et aux opportunités, pendant que d’autres deviennent de simples variables d’ajustement dans l’équation du progrès. Cette idée n’est pas futuriste, l’histoire a déjà connu ces fractures, entre classes sociales, entre empires et colonies, entre pays dominants et territoires exploités. L’IA pourrait-elle accentuer ces inégalités à un niveau jamais atteint ?

Le danger ne réside pas uniquement dans la disparition des emplois, mais dans la gestion de ceux qui resteront.

Qui décidera des critères qui rendent un individu économiquement ou socialement «utile» ?

Qui aura accès aux nouvelles opportunités offertes par l’automatisation et l’intelligence artificielle ?

Allons-nous voir l’émergence de sociétés à deux vitesses, où certaines communautés prospèrent grâce à l’IA tandis que d’autres deviennent des ghettos délaissés, exclus des circuits économiques ?

Ce futur n’est pas une fatalité. Il dépend des choix politiques, économiques et éthiques que nous faisons aujourd’hui. Il ne s’agit pas de s’opposer au progrès, mais de veiller à ce que le progrès ne se retourne pas contre l’humanité elle-même. Si l’intelligence artificielle est un outil de transformation, alors elle doit être utilisée au service de l’inclusion, et non comme un instrument de marginalisation. Le pire danger ne serait pas que l’humain devienne obsolète, mais qu’il soit délibérément considéré comme une variable insignifiante, un simple chiffre ajustable dans une équation d’efficacité. L’avenir technologique est une promesse, mais il appartient à l’Homme de s’assurer qu’elle ne devienne pas une menace. nAfrique & IA, Une course pour l’inclusion et la souveraineté

Contrairement aux économies industrialisées, où l’intelligence artificielle est souvent perçue comme un facteur de remplacement de l’humain, pour l’Afrique, elle représente une chance unique d’accélérer le développement économique et social. Dans un continent où les infrastructures physiques sont souvent limitées, l’IA et le numérique offrent des solutions alternatives pour l’accès aux services financiers, à l’éducation, à la santé et à l’emploi. Le Maroc, avec son initiative Maroc Digital 2030, a compris cette dynamique. En misant sur l’intelligence artificielle, l’industrialisation, la connectivité et la digitalisation des services, le pays cherche non seulement à se moderniser, mais aussi à se positionner comme un hub technologique pour l’Afrique. Cette ambition est partagée par plusieurs nations africaines, conscientes que la maîtrise de l’IA n’est pas un luxe, mais une nécessité stratégique. Encore en pleine transition industrielle, l’économie numérique africaine est perçue comme un levier majeur de transformation. Notre continent ne peut pas se permettre de rester spectateur dans la révolution de l’IA. Les pays qui parviendront à maîtriser ces technologies auront un avantage stratégique et éviteront d’être dépendants des grandes puissances. C’est pourquoi l’urgence pour l’Afrique n’est pas de ralentir le progrès pour préserver des emplois, mais plutôt d’accélérer l’innovation pour garantir un avenir plus prospère et souverain.

«Dark Factories»

Les «Dark Factories», ou usines entièrement automatisées, illustrent l’aboutissement extrême de l’automatisation industrielle. Xiaomi, par exemple, exploite en Chine une usine de 80.000 m² capable d’assembler un smartphone toutes les trois secondes, sans la moindre intervention humaine. Grâce à l’intelligence artificielle et aux systèmes avancés de supervision, ces installations fonctionnent 24 h/24, sans lumière et sans supervision continue. Pourtant, cette vision s’oppose frontalement à celle de l’Industrie 5.0, qui cherche à réintégrer l’humain dans les processus de production pour plus de durabilité et de flexibilité. Loin d’une automatisation effrénée, cette approche favorise une collaboration homme-machine, où les nouvelles technologies ne remplacent pas l’Homme, mais amplifient ses capacités et améliorent son bien-être au travail. Entre ces deux modèles, un choix de société se dessine. Faut-il poursuivre une industrie totalement déshumanisée ou miser sur un équilibre entre performance et responsabilité ?
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