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Lecture géopolitique du nouveau positionnement de la France dans ses relations avec le Maghreb et l’Afrique

Sur le plan bilatéral, il est incontestable que la dernière visite du Président français au Maroc revêt une portée stratégique inédite. Ses retombées sur le développement du dossier du Sahara, nul n’en disconvient, sont extrêmement bénéfiques. Mais au-delà, la visite de M. Emmanuel Macron semble augurer d’une nouvelle ère des relations Europe-Afrique et opérer une véritable transformation de la position de l’Europe et pas seulement de la France, sur le devenir du continent africain et sur le rôle que devra jouer le Royaume dans cette nouvelle vision pour le continent.

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Par Mohammed Haitami, directeur de publication
La plupart des observateurs ont mis l’accent sur la reconnaissance de la marocanité du Sahara par M. Macron, considérée comme l’élément phare de sa visite d’État au Maroc, du 28 au 30 octobre 2024. Or sans diminuer de la portée de cette reconnaissance et de ses conséquences extrêmement bénéfiques pour notre cause nationale, du reste actée dans la lettre de M. Macron à S.M. le Roi du 30 juillet 2024, en des termes on ne peut plus clairs, la visite du Président français semble augurer d’une nouvelle ère des relations Europe-Afrique et opérer une véritable transformation de la position de l’Europe, et pas seulement de la France, sur le devenir du continent africain et sur le rôle que devra jouer le Royaume dans cette nouvelle vision pour le continent.
C’est dans ce contexte que nous souhaitons situer cette reconnaissance de la marocanité du Sahara qui n’est que le prélude à une nouvelle carte du continent africain telle qu'elle est souhaitée par le Maroc et la France, chef de file de l’Europe sur ce dossier. En somme, nous nous interrogerons : la reconnaissance, et après ?

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Le continent africain vit actuellement une situation des plus chaotiques. 80% des conflits armés et des Casques bleus de maintien de la paix s’y trouvent. Des foyers de tension sont installés dans plusieurs régions : guerre civile au Soudan, instabilité en Libye et en Somalie, mouvement de guérilla en RDC et bruit de bottes à sa frontière avec le Rwanda, chaos en RCA, mouvements terroristes au Sahel, touchant le Nord du Nigeria et du Cameroun, le Tchad, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Bénin, contestations et troubles politiques au Kenya. Même l’Éthiopie, pays réputé stable, fait face à une rébellion de la région du Tigre et vit sous la menace d’une confrontation porteuse de tensions avec l’Égypte, suite à la construction du barrage sur le Nil, sans oublier le conflit artificiel nourri et alimenté par l’Algérie dans le flanc sud de nos frontières.

Le récit colporté ci et là est que l’Afrique est l’avenir du monde, que ses richesses et sa démographie en feront le dragon du 21e siècle. La réalité est plus nuancée, le continent connaît plusieurs maux. 600 millions de ses habitants n’ont pas accès à l’électricité et autant, sinon plus, n’ont pas accès à l’eau potable. L’illettrisme et les maladies y battent leur plein et 40% des récoltes agricoles sont avariées faute de chaîne de froid. Le continent représente moins de 3% du commerce mondial. Tous les objectifs et initiatives énoncés par l’ONU pour le continent ne sont pas atteints. On estime à 200 millions le nombre d’émigrés/réfugiés climatiques qui monteront du sud de l’Afrique vers le nord à l’horizon 2050 !

Ceci a conduit à la prolifération de rencontres et conférences du type Japon-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique, Turquie-Afrique, Brésil-Afrique, Russie-Afrique, etc. Toutes ces conférences annoncent des aides, des investissements et des contrats commerciaux, mais les résultats tangibles font défaut.

Les erreurs de lecture de l’Europe

De manière sommaire, les enjeux géopolitiques mondiaux font qu’il y a une confrontation Chine-États-Unis sur le leadership mondial, qui fait rage sur plusieurs fronts, avec des approches différentes, chacun de ces deux protagonistes ayant défini sa stratégie et ses champs de bataille. L’Europe n’a pas su ou n’a pas pu se forger une voie et s’est retrouvée embourbée dans ses propres contradictions : élargissement hâtif, impossibilité de parler d’une seule voix, chaque État refusant de renoncer à une partie de sa souveraineté, montée de la xénophobie et du populisme dans plusieurs pays, l’UE est devenue une sorte de club avec des dénominateurs communs mais ne peut en aucun cas sortir d’une interdépendance fragilisante qui peut lui jouer des tours à longue ou brève échéance. Le conflit armé Russie-Ukraine a mis à nu les vulnérabilités de ce continent.

Au moment où le continent africain pouvait constituer une zone de prospérité pour l’ensemble, c’est-à-dire Europe et Afrique réunis, si les défis du continent avaient été appréhendés dans le bon sens : richesses naturelles de l’Afrique, jeunesse, investissements, marché de plus de 2 milliards de consommateurs à l’horizon 2050. Mais c’est exactement le contraire auquel on a assisté durant les 20 dernières années. Au nom du sacrosaint rating ou notation, la majorité des pays africains sont considérés comme en faillite, ce qui veut dire qu’il ne faut pas y investir, encore moins leur prêter de l’argent puisqu'ils sont considérés comme insolvables, oubliant le fameux Plan Marshall qui a permis de reconstruire l’Europe dont l’économie était complètement détruite. S’en est suivi, au nom d’un autre sacrosaint principe de règles de conformité ou «compliance» un feuilleton de retraits : banques, compagnies d’assurances, concessionnaires, entreprises de toutes activités, etc. C’est ce qui a permis à des pays comme le Maroc de prendre le relais et d’occuper des positions dans des domaines divers. Les entreprises européennes n’ont gardé que les activités stratégiques et rémunératrices (uranium, pétrole onshore et offshore, bois). L’Algérie, faisant partie du problème et non de la solution, en encourageant les foyers de tension dans la sous-région sahélienne et en soufflant le chaud et le froid, a attisé le feu et contribué substantiellement à l’escalade.

Le deal tacite qui était conclu avec les États du Sahel, considérés comme des entités sous tutelle, a volé en éclats. Il consistait en une présence militaire, moyennant l’accès aux matières premières sans réel effort de développement qui puisse être perçu concrètement par les populations. Le résultat ne tarda pas à venir avec un revirement total réclamé et applaudi par les populations locales qui aspirent à un avenir meilleur.

Totalement aux antipodes de la position européenne, le Maroc, sous la conduite de S.M. le Roi Mohammed VI, pays qui n’a ni les moyens de l’Europe ni sa manne financière, a bien compris les défis et les ambitions de l’Afrique dont il partage le sol et le devenir. Le Maroc s’est engagé sur le continent avec patience tout au long des 25 dernières années, dans des domaines aussi divers et variés que le transport aérien, la banque, les télécoms, le BTP, l’immobilier, la coopération multidisciplinaire dans les domaines technique, culturel et social avec le rôle peu connu de l’Agence marocaine de coopération internationale, bras de la coopération bilatérale du Maroc qui a permis à plus de 42.000 étudiants d’Afrique subsaharienne de poursuivre leurs études supérieures dans les universités, écoles et académies militaires du Royaume. Sans oublier le millier de traités et accords bilatéraux de coopération, signés durant cette même période avec les pays africains et les initiatives de S.M. le Roi pour les chaînes de valeur en Afrique, que ce soit le gazoduc Nigeria-Maroc-Europe, l’initiative atlantique, le désenclavement des pays de l’hinterland au Sahel, en plus de l’initiative «triple A» lancée par Sa Majesté lors de la 16e COP tenue à Marrakech.

Le narratif marocain : un axe de la prospérité Paris-Madrid-Rabat

La proposition de valeur marocaine, adoptée et applaudie par ses pairs africains, s’est avérée la plus à même de répondre aux défis de développement de l’Afrique et en même temps aux défis structurels et d’avenir de l’Europe : la stabilité en Afrique et la fixation des populations, donc le règlement du problème de l’émigration qui fournit un alibi aux extrémismes et aux populismes, les enjeux sécuritaires (terrorisme), les trafics en tous genres (drogue, armes), la création de débouchés à l’export et des marchés de consommateurs, sans comptes les matières et terres rares.

C’est cette nouvelle vision qu’a développée M. Macron dans ses deux discours du mardi 29 octobre devant les deux Chambres du Parlement et devant le forum de l’entrepreneuriat. M. Macron s’est projeté sur les 25 années à venir et a énuméré les défis de l’Europe : souveraineté alimentaire, décarbonation et environnement, hydrogène vert et intelligence artificielle. Les différents accords signés sont tous orientés vers l’intégration africaine. M. Macron a exprimé sa vision (et celle de l’Europe qu’il a dit représenter) et dessiné un nouvel horizon pour l’Afrique du Nord (donc le Maghreb), l’Europe et le reste du continent. Cette vision géopolitique des grands enjeux de l’Europe et de l’Afrique ne peut se concevoir sans un prolongement du Maroc dans ses racines africaines sans entrave aucune. Le Maroc est un acteur incontournable de ce dispositif. C’est dans ce contexte qu’il faut décoder les propos de M. Macron sur les pays du Sahel et le rôle que peut jouer le Maroc – tiers de confiance reconnu – dans une réconciliation et un retour à la normale.

Vue sous cet angle nouveau, la question de nos provinces du Sud ne se pose plus seulement comme une affaire stratégique pour notre pays, elle l’est plus pour les deux continents : Europe et Afrique. C’est ainsi qu’il faut situer le soutien français aux initiatives marocaines pour la façade atlantique et les pays du Sahel. Les manuels d’histoire retiendront cet épisode comme un revirement et un ralliement historiques.

Grâce à la vision de S.M. le Roi, développée, déployée et mise en œuvre depuis plus de deux décennies avec ses jalons (renouer avec les pays d’Afrique à travers des dizaines de visites, présenter le plan d’autonomie dans le cadre d’une régionalisation avancée, réintégrer l’Union africaine et enfin lancer les trois initiatives : gazoduc, Sahel et façade atlantique), la reconnaissance de notre souveraineté sur nos provinces du Sud peut être vue sous cet angle plutôt comme une contribution substantielle du Maroc à la prospérité de l’Europe.

Développements prévisibles

De nouveaux succès diplomatiques devraient suivre, au vu de la position française et, bien avant, celles de l’Espagne et des États-Unis. Les nouveaux ralliements devraient aller dans le sens des initiatives marocaines pour l’Afrique. En conséquence de la reprise du dialogue avec les pays du Sahel, des mouvements d’accélération pourraient s’enchaîner, notamment les questions de mobilisation des financements des grandes infrastructures et le lancement des chaînes de valeur. L’urgence de trouver des solutions aux causes des instabilités au Sahel mettra les machines en branle et suscitera des espoirs chez les populations, ce qui devrait provoquer une réaction en chaîne sous forme de cercle vertueux porteur d’espoir et de prospérité. L’adhésion, voire une bousculade au portillon pour des projets dans tel ou tel État. Cette nouvelle vague emportera tous ceux dont la raison d’être était de semer la discorde. Les cinq prochaines années seront celles de la nouvelle alliance Afrique-Europe. Croisons les doigts !
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