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Jeudi 20 Mars 2025
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Ramadan, l’offrande du temps et l’extase du cœur

Lorsque le croissant lunaire du mois sacré fend l’obscurité du ciel, une douce révolution s’amorce sur la terre des croyants. Le Maroc, comme suspendu entre le visible et l’invisible, entre la matière et l’esprit, entre l’agitation du monde et le murmure du divin, entre dans le mois du Ramadan. Ce n’est pas un simple changement de rythme, ni une simple tradition qui s’éveille, mais une transformation profonde, un appel sacré, une invitation céleste à purifier le corps, éclairer l’âme et redonner à la vie son souffle originel.

La Mosquée Bab Doukalla de Marrakech est un endroit incontournable pour ceux en quête d'une expérience spirituelle inoubliable.
La Mosquée Bab Doukalla de Marrakech est un endroit incontournable pour ceux en quête d'une expérience spirituelle inoubliable.
Il est un secret entre Dieu et son serviteur, un pacte silencieux qui échappe aux regards et aux apparences. Contrairement à la prière que l’on voit, à l’aumône que l’on distribue, ou au pèlerinage que l’on accomplit, le jeûne ne laisse aucune trace apparente. Seuls le jeûneur et son Seigneur en connaissent la profondeur. C’est pourquoi, dans un «Hadith Qudsi» d’une beauté vertigineuse, Allah déclare :

«Tout acte du fils d’Adam lui appartient, sauf le jeûne : il est à Moi et c’est Moi qui le rétribue» (rapporté par Al-Boukhari et Muslim).

Dans cette parole divine, il y a un mystère insondable. Dieu, qui est le Créateur de tout, s’approprie pourtant cet acte-là, comme s’il était une offrande si pure, si précieuse, qu’aucune mesure ne pouvait en jauger la valeur. Le jeûne est un don que l’homme fait à Dieu, et dont Dieu, dans Son infinie générosité, lui rend la récompense d’une manière que seule l’éternité révélera. C’est en ce sens que le Ramadan n’est pas une simple privation, mais une élévation. Il n’est pas une rupture, mais une renaissance. Il est ce pont magique jeté entre l’éphémère et l’éternel, ce moment suspendu où l’homme est invité à dialoguer avec Dieu dans le langage du silence et de la patience. Depuis des siècles, dans les ruelles silencieuses des médinas marocaines, entre les minarets qui veillent et les cœurs qui vibrent, ce mois est attendu comme un hôte bien-aimé, porteur d’une lumière que rien ne saurait ternir.

Il n’est pas anodin que le terme Ramadan prenne racine dans «Ar-ramad», signifiant en arabe la «chaleur accablante». Comme le feu qui consume les impuretés du métal pour en extraire l’or pur, ce mois consume en l’homme ses faiblesses, ses excès, ses distractions, pour révéler en lui une essence plus noble, plus épurée, plus proche de la Vérité. Le jeûne n’est pas qu’un exercice du corps, il est une alchimie où se métamorphosent les âmes. À l’image d’une ascension spirituelle, le Ramadan se déploie en trois phases, chacune menant le croyant vers une élévation plus grande. D’abord, la miséricorde divine enveloppe les cœurs tels des flots de lumière, adoucissant les âmes et dissipant les lourdeurs du quotidien. C’est le temps de l’accueil, où le jeûneur s’avance avec humilité, porté par la douceur d’un amour incommensurable. Vient ensuite le temps du pardon, ce seuil sacré où l’Homme, conscient de ses égarements, se déleste de ses fardeaux et implore l’absolution. Chaque jour est une clé qui ouvre une porte vers la réconciliation avec Dieu, vers un horizon plus pur, plus vaste que ses fautes. Enfin, les derniers jours portent en eux l’empreinte du salut, ce moment ultime où l’âme, affranchie de ses chaînes, aspire à la délivrance. La Nuit du Destin (Laylat Al-Qadr) s’y cache, nuit mystique où le visible et l’invisible se confondent, où chaque prière murmurée devient une étoile suspendue dans l’éternité.

Cette quête d’élévation ne demeure pas abstraite, elle se reflète aussi dans le quotidien, où chaque geste, chaque instant du Ramadan deviennent une offrande en soi. Au Maroc, cette offrande se vit avec une intensité particulière. Les journées s’étirent dans un calme respectueux, tandis que les nuits s’animent d’une ferveur vibrante. Dès le coucher du soleil, les familles se rassemblent autour du «F’tour», ce repas de rupture du jeûne qui n’est pas qu’un instant gastronomique, mais un rituel d’unité et de gratitude. La «Harira» fumante, les dattes sucrées, le lait onctueux et les «Chebakias» dorées. Chaque bouchée est une reconnaissance silencieuse envers Celui qui pourvoit.

Mais la grandeur du Ramadan ne réside pas uniquement dans cette fête du corps après l’effort. Elle se manifeste dans la générosité qui s’épanouit partout. Les tables collectives dressées pour les plus démunis, les mains qui se tendent sans compter, la «Zakat Al-Fitr» offerte en toute humilité pour que personne ne soit exclu de la joie du Aïd. En ce mois béni, le Maroc semble retrouver un visage plus doux, plus compatissant, plus lumineux. Dans le silence du jeûne, un dialogue s’installe entre l’homme et lui-même, entre l’homme et Dieu. Les prières nocturnes des «Tarawih», résonnant dans les mosquées de Casablanca à Fès, d’Essaouira à Marrakech, deviennent des chants d’amour et d’abandon, des élans du cœur vers l’invisible. Chaque verset du Coran, récité avec dévotion, résonne différemment en ce mois, comme si sa mélodie trouvait un écho plus profond dans les âmes purifiées. Le jeûne n’est pas une fin en soi. Il est un entraînement à la discipline, une invitation à prendre conscience de l’essentiel, à réapprendre la patience, à réfréner les élans de l’ego. Il enseigne que la privation éphémère mène à une gratification plus grande, et que la maîtrise de soi est la clé d’une vie en harmonie.

Mais que restera-t-il du Ramadan lorsque la lune aura tourné sa course ? Sera-t-il une parenthèse refermée, ou bien une lumière qui continue de briller dans le quotidien ? Le Ramadan n’est pas une fin, il est un commencement. Ce que l’on y gagne ne doit pas être éphémère, mais se prolonger dans chaque jour qui suit. L’épreuve de l’abstinence était un rappel que l’essentiel ne réside pas dans la possession, mais dans l’abandon à Dieu. La patience acquise dans la faim doit devenir patience dans les épreuves. La douceur des invocations nocturnes doit devenir douceur dans nos paroles quotidiennes. La générosité du mois béni doit continuer à irriguer nos actes, même lorsque les tablées festives auront disparu.

Ainsi, le Ramadan s’achèvera à chaque fois, mais son empreinte doit demeurer. Il laisse en nous des traces invisibles, mais indélébiles, un parfum d’éternité qui nous accompagne bien au-delà du dernier jour de jeûne. Il est une école de l’âme, un rappel vers Dieu, une perche de salut tendue vers nous-mêmes.

Que celui qui a goûté à cette lumière sache la préserver, car elle est l’un des plus beaux cadeaux que ce monde puisse offrir. Que celui qui a ressenti la douceur de cette proximité avec le Divin la cherche bien au-delà du mois sacré. Car si le Ramadan s’efface du calendrier, sa vérité, elle, demeure inscrite dans les cœurs éveillés.
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