Menu
Search
Vendredi 26 Décembre 2025
S'abonner
close
Vendredi 26 Décembre 2025
Menu
Search

La trêve d'hiver n'aurait pas lieu

Des réfugiés afghans parvenus au Pakistan accusent les talibans d'avoir massacré des Afghans qui tentaient de fuir leur pays à cause de la misère, des bombes américaines mais aussi des exactions des milices.

No Image
Des milliers d'Afghans vivent dans les faubourgs de Quetta, dans le sud-ouest du Pakistan, près de la frontière afghane. Ils ont choisi de gagner le pays voisin malgré les risques, la fermeture des frontières, préférant cela à rester sous les bombes dans un pays déjà sinistré par la sécheresse. Mais, surtout, ils disent fuir les milices taliban.
Sur une douzaine d'Afghans 111viewés, tous ont raconté des histoires d'exécutions arbitraires, de brutalités et de persécution. Certains ont évoqué des massacres.
Ovr Mohd, 65 ans, a fui dans les collines des environs de Bamiyan, dans le centre du pays, pour éviter les pillages des talibans. Quand il est rentré chez lui, dit-il, il a trouvé ses trois fils morts, tués par balles.
Il pense qu'ils ont été pris pour cibles parce qu'ils appartenaient aux Hazaras, une minorité ethnique dont les sympathies vont plutot à l'Alliance du nord, l'opposition armée aux fondamentalistes au pouvoir à Kaboul.
«Quand nous avons décidé de quitter l'Afghanistan, nous avons vu les talibans attaquer des gens qui fuyaient. Les gens se rassemblaient sur la route pour partir et ils ont été abattus. Nous l'avons vu», répète-t-il.
«J'ai vu 50 personnes qui étaient devant moi tuées. Des femmes, des enfants et des hommes», a-t-il ajouté, précisant que les massacres avaient eu lieu il y a un mois. «Je hais les talibans à cause de cela», a-t-il dit.

Scènes d'horreur

La plupart des quelque 5.000 personnes vivant dans ce qui est devenue la «Hazara-ville» de la partie ouest de Quetta, un labyrinthe de maisons de briques de terre et de routes poussièreuses, sont des chiites, descendant des envahisseurs mongols, par opposition aux talibans issus de la majorité pachtoune sunnite.
Ils font partie des 100.000 et quelques Afghans qui ont franchi illégalement la frontière afghane depuis le début des raids américains le 7 octobre.
Un autre d'entre eux, Saeed Zaman, 35 ans, dit avoir été témoin de mêmes scènes de massacres à Kaboul, la capitale.
«Il y a un rond-point où se rendent les gens quand ils veulent partir. Les talibans les y attaquent. J'ai vu des dizaines de gens tués (vendredi). Les gens suppliaient de les laisser partir mais les talibans ont tiré sur eux», a-t-il déclaré. «Ils ont laissé les corps là où ils sont tombés. Les animaux les dévoraient».
Zaman a payé 1.300 roupies (21 dollars) à un passeur pour s'échapper et il est arrivé lundi à Quetta. Six membres de sa famille ont été tués par les talibans, dont sa femme, affirme-t-il.
Sad Shah Musa, 50 ans, rapporte lui aussi des expériences semblables. «Les gens courent et les talibans leur tirent dessus», dit-il. «Ils (les talibans) disent: Pourquoi est-ce que vous fuyez, c'est votre pays. Ils disent : vous êtes contre les talibans, vous vous enfuyez, et ils tirent», raconte-t-il.
Les talibans ont également été accusés d'enrôler de force de jeunes Afghans pour le Jihad, la «guerre sainte». Ils sont venus chercher les trois fils de Baqhtawar, une femme de 60 ans de la région d'Herat, dans l'ouest de l'Afghanistan, il y a douze jours. Quand elle a protesté, elle a eu reçu des coups de poing dans la figure, qui lui ont cassé quatre dents et l'ont laissé ensanglantée par terre. Depuis, elle n'a plus entendu parler de ses fils. Elle s'est enfuie peu après à la faveur de l'obscurité et est arrivée à Quetta il y dix jours. «Nous ne sommes pas venus au Pakistan à cause des bombardements mais parce que nous avons faim, nous avons soif et parce que les talibans sont trop cruels», a-t-elle dit.
Les talibans ont affirmé mardi qu'ils étaient prêts à poursuivre la guerre contre les Etats-Unis pendant des décennies mais Said Shaqi, 45 ans, n'est pas d'accord. «Les talibans sont des terroristes et des meurtriers. Nous voulons qu'ils s'en aillent. Nous voulons juste la paix.
Sur le plan militaire la règle non-écrite des conflits afghans qui veut que les armes se taisent durant l'offensive de l'hiver pourrait cette fois-ci être transgressée, estiment les experts.
A l'heure où les stratèges analysent la situation sur le terrain, les forces de l'opposition afghane et les Etats Unis ont été invités par certains à conquérir le plus de positions possibles avant que la neige et les températures glaciales gèlent la situation jusqu'au printemps.
Lors de la guerre civile, les différentes factions ont toujours réalisé leur meilleures conquêtes durant l'été. Herat a été prise par les talibans en septembre 1995, Kaboul est tombée exactement un an après tandis que Mazar-i-Sharif a été conquise par la milice en août 1998.
De novembre à avril, les combattants restent habituellement tapis dans leurs abris pour un cessez-le-feu de fait car aucun des belligérants ne veut lancer ses soldats mal équipés, habillés de coton et chaussés de sandales en plastique aux limites de la résistance physique.
Les rares exceptions à cette trêve de facto ont été l'invasion soviétique en décembre 1979, ainsi que le coup d'Etat contre le gouvernement mujahidin de Kaboul le 1er janvier 1994.

Une quasi hiber110n

Dans les campagnes, l'hiver est le temps d'une quasi hiber110n durant laquelle on s'entasse autour des poêles. Rarement les Afghans émergent de leur maison de terre pour chercher du bois, des fruits secs et de l'eau à leur réserve.
La campagne d'Afghanistan s'est transformée en «une économie de survie dans laquelle les familles doivent impérieusement faire des provisions», explique Pierre Juno du Comité 111110nal de la Croix rouge (CICR).
La situation est également précaire pour les soldats de l'opposition de l'Alliance du Nord établis au nord de Kaboul et dont les lignes de ravitaillement par les montagnes de l'Hindu Kush sont enfouies sous des mètres de neige et balayées par des vents puissants et glacés tandis que le ciel se couvre de nuages et les brouillards persistent pendant des semaines.
«En hiver la neige recouvre tout et les moyens de ravitaillement de l'armée se résument à quelques ânes, aussi le prix de la nourriture et du carburant peut augmenter jusqu'à 400%» explique un travailleur humanitaire occidental installé dans la vallée du Panchir. «L'arrêt des hostilités est imposé par ces difficultés de ravitaillement», explique-t-il.
Cependant la puissance de la logistique des Etats Unis pourrait bouleverser la donne et faire que l'Afghanistan ne connaisse pas de trêve hivernale.
En effet les combattants anti-talibans pourraient se retrouver cette fois bien armés, bien ravitaillés en nourriture et carburant et bien payés cet hiver, à condition que les Etats Unis mettent en place des rotations d'avions gros porteurs et d'hélicoptères équipés de système de navigation par mauvais temps.
Et puis sur les principales lignes de front, que ce soit au nord de Kaboul, autour de Taloqan dans le nord est et au sud de Mazar-i-Sharif dans le nord, les conditions climatiques n'ont rien à voir avec ce qu'elles sont au sommet des montagnes.
Au pire, le température descend à moins 10 degrés Celsius et la neige est épaisse d'une cinquantaine de centimètres.
En face, les talibans, soumis à la pression des bombardements aériens, ne pourront compter que sur un ravitaillement de plus en plus rare.
Comme le font remarquer les combattants tadjiks, les postes talibans seront facilement repérés par l'aviation américaine grâce à la fumée des foyers de chauffage au bois.
«Ce sont des Kandaharis, des Pakistanais et des Arabes», explique le chef Mohammad Hashim en désignant le réseau d'abris et de tranchées qui partage la plaine Shomali et commande la route de Kaboul.
«Ils n'aiment pas le froid», souligne-t-il en riant. «Cet hiver ils vont être bombardés et gelés en même temps. Ils ne nous causeront guère de souci», ajoute-t-il.
Lisez nos e-Papers