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À bâtons rompus avec Majid Seddati, directeur du Festival international d’art vidéo

Dans le monde dynamique de l’art vidéo, Majid Seddati se distingue par sa passion et son engagement. Directeur artistique du Festival international d’art vidéo, il a consacré sa carrière à promouvoir ce médium novateur. Pour le 30e anniversaire du Festival, prévu du 25 au 30 novembre 2024, Seddati promet une programmation riche et diversifiée, intégrant performances audiovisuelles, installations interactives et une mise à l’honneur des pionniers de l’art vidéo. Cette édition spéciale mettra également l’Espagne à l’honneur. Dans cet entretien, il partage ses motivations, les défis rencontrés et sa vision pour l’avenir de l’art vidéo au Maroc.

Le Matin : Pouvez-vous nous parler de ce qui alimente votre motivation et votre passion pour l’art vidéo ?



Majid Seddati :
Lorsque j’ai découvert l’art vidéo au début des années 1990 grâce à Marc Mercier, alors directeur des instants Vidéo de Manosque, j’ai tout de suite été fasciné par le potentiel et les possibilités créatives de ce médium. En tant que cinéphile, j’ai été émerveillé par la façon dont les artistes abordaient différents thèmes de manière dynamique et créative, loin des formes narratives conventionnelles auxquelles nous sommes habitués au cinéma.

Depuis, je n’ai cessé de regarder des œuvres vidéo et de participer activement à divers festivals consacrés à ce type de créativité. La création du Festival international d’art vidéo (FIAV) a renforcé cette motivation. Non seulement j’organise et je participe, mais j’ai également créé et produit des œuvres vidéo. J’ai également enseigné l’art vidéo à l’université et dans d’autres écoles. J’ai dirigé plusieurs ateliers de formation d’art vidéo. Ma passion pour l’art vidéo et ma détermination à le défendre m’ont amené à recevoir la robe de Nam June Paik, l’inventeur de l’art vidéo, en reconnaissance de mon rôle de personnalité défendant l’art vidéo dans le monde. Une robe semblable à un kimono de judo et un chapeau noir signés par Paik. Cette reconnaissance internationale a renforcé ma conviction de continuer à défendre cet art, qui est devenu pour moi un état d’esprit, voire un état d’âme, comme il l’était pour Paik.

Cette année, le Festival international d’art vidéo fête son 30e anniversaire. Que prévoyez-vous pour célébrer cette édition spéciale ?

Pour célébrer le 30e anniversaire du FIAV, le plus ancien festival du continent africain, et rendre cette édition mémorable, nous avons préparé un programme spécial et ambitieux. Des projections spéciales, des performances audiovisuelles, de la danse et arts numériques, de la robotique, de la réalité virtuelle et augmentée, une grande exposition d’installations interactives et immersives, du mapping, des ateliers, des rencontres/débats et des hommages à des artistes et personnalités qui ont marqué l’histoire du festival. Un hommage posthume sera rendu aux pionniers de l’art vidéo : Nam June Paik et Bill Viola.

Une autre nouveauté cette année est la présence de l’Espagne en tant qu’invité d’honneur. Cet événement est organisé en partenariat avec l’Institut Cervantès de Casablanca et l’Ambassade d’Espagne au Maroc. Plusieurs artistes, structures culturelles et entreprises sont invités à présenter des œuvres innovantes. C’est aussi une opportunité de créer des liens de coopération et d’échange culturel dans le domaine des arts numériques avec les institutions artistiques des deux pays.

Comment choisissez-vous les artistes et les œuvres qui seront présentées ?

La sélection des artistes et des œuvres participant au festival prend plusieurs formes. Nous lançons chaque année un appel à candidatures où les artistes intéressés peuvent déposer leur dossier et envoyer leurs œuvres. En tant que directeur du festival, je suis souvent invité à des festivals internationaux, ce qui me permet de rencontrer les artistes et de sélectionner les œuvres sur place. Enfin, nous faisons des recherches sur internet et contactons différents artistes. Après tout ce processus, il faut faire des choix en fonction de plusieurs critères : l’originalité et la créativité, la qualité artistique, esthétique et technique, le thème proposé, ainsi que les moyens financiers et logistiques dont nous disposons. Nous tenons également compte de la nature du public et des lieux d’exposition, qui doivent être adéquats à ce genre de création. En tant que petite équipe artistique, Lamiae Dokkali et moi-même, nous nous efforçons de mener à bien toutes ces tâches, en plus de la préparation du dossier de sponsoring, des rencontres avec les partenaires et de la recherche des fonds et d’autres partenaires potentiels.

Quels sont les thèmes qui reviennent beaucoup au fil des éditions ?

La condition féminine, la fragilité du corps face à un monde cruel, les frontières, les guerres, les questions d’identité, l’environnement et le changement climatique... autant de thèmes récurrents dans les œuvres que nous avons présentées au fil des années. Depuis l’avènement des technologies numériques, d’autres thèmes ont émergé autour de l’interaction entre le corps et la machine.

Les mondes virtuels, l’intelligence artificielle, l’interactivité, l’immersion, la place du spectateur dans les œuvres d’art d’aujourd’hui, les questions sociétales et éthiques soulevées par la technologie, l’humanisation de la technologie sont autant de nouvelles questions qui traversent les nouvelles œuvres.

Comment le festival s’adapte-t-il aux nouvelles technologies et aux évolutions dans le monde de l’art ?

Si le festival est dédié à l’art vidéo et continue de promouvoir cette forme d’expression mineure, l’accélération de la révolution technologique en a fait un lieu en perpétuel mouvement. Ces transformations nous ont obligés à nous ouvrir aux nouvelles formes de création numérique et aux tendances émergentes. C’est en soi une chose positive, car cela a insufflé un nouvel esprit au festival et a contribué à enrichir et à diversifier sa programmation. Cela nous a également permis d’attirer de nouveaux publics, principalement des jeunes.

Quels défis avez-vous rencontrés au fil des années en organisant ce Festival ?

S’il est toujours facile de créer un festival, il est encore plus difficile d’en assurer la pérennité. Au fil des années, nous avons rencontré un certain nombre de difficultés à savoir, comment organiser un festival expérimental, voire d’avant-garde, dans un contexte qui n’est pas encore prêt à assimiler les codes de sa lecture ? Et comment convaincre des partenaires et surtout des sponsors de soutenir ce média encore méconnu du public ? Pour que cette pratique soit légitimée auprès des organismes artistiques institutionnels et privés, un énorme travail de médiation a dû être réalisé. Malgré cette reconnaissance, le monde de l’art reste hésitant et n’investit pas davantage dans l’art vidéo. Nous étions bien conscients que cette réticence est liée à la nature et à la fragilité du médium, ainsi qu’aux procédures complexes associées à sa conservation, sa distribution et sa commercialisation. Mais l’art numérique a ouvert une autre voie aux artistes marocains qui commencent à toucher le monde de l’art et le secteur de l’entreprise.

Il existe également de nombreux défis en termes de financement, de technologie, de logistique et d’infrastructure.

En termes financiers, je peux affirmer que le FIAV a réussi à survivre pendant des années avec un budget ridicule de moins de 200.000 DH. Heureusement, nous avons pu résoudre ce problème en multipliant nos partenaires. En plus du soutien régulier de l’IFM (Institut français au Maroc) et de l’IFC, nous avons réussi, au cours des cinq dernières années, à obtenir le soutien de la commune urbaine de Casablanca, ainsi que de Casa Events et Animation. Récemment, le ministère de la Culture, la wilaya de Casablanca-Settat et la région de Casablanca-Settat ont rejoint ce beau projet. Cela pourrait offrir d’autres opportunités pour le FIAV et en faire l’un des événements les plus significatifs au Maroc.

En ce qui concerne les aspects techniques, logistiques et infrastructurels, le Festival se bat pour accueillir des projets ambitieux. Outre le soutien technologique d’Epson pour les projecteurs haute performance, nous avons encore besoin de toute la technologie immersive nécessaire. Le manque d’espaces d’exposition adéquats pour présenter les nouvelles créations immersives est un autre problème qui entrave la réception de ces œuvres. Il est à noter que l’absence d’un directeur technique et de régisseurs compétents a des conséquences sur l’organisation du Festival.Le dernier défi concerne la communication et les relations avec la presse. Il est vrai que FIAV est réputé dans le monde entier comme l’un des rares festivals à soutenir l’art vidéo. Cependant, il est peu connu à l’échelle nationale. C’est pourquoi nous avons décidé de remédier à ce problème en mettant en place une nouvelle équipe qualifiée pour mener à bien cette tâche.

On vous a également confié la direction artistique du FITUC, comment envisagez-vous les échanges créatifs entre le théâtre et l’art vidéo ?

J’ai été nommé directeur artistique, avec mon ami Fettah Diori, par feu Rachid Hadari, ancien doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines Ben M’sik de Casablanca, pour diriger la trente-sixième édition du Festival international du théâtre universitaire de Casablanca (FITUC). Nous avons discuté de la possibilité de renouveler le Festival tout en l’ouvrant aux nouvelles technologies numériques et à d’autres formes théâtrales. Mais une grande partie de ce dont nous avions rêvé s’est évanouie après sa disparation. Je pense qu’il y a deux problèmes principaux qui entravent généralement le développement des festivals de théâtre universitaire au Maroc. Le premier est la qualité des productions théâtrales marocaines qui sont souvent modestes sur le plan dramatique, artistique et esthétique. Les pièces produites par les troupes universitaires marocaines sont souvent improvisées et inabouties, à l’exception d’un ou deux spectacles dignes d’une université.

Le deuxième problème, c’est l’ingérence de certaines personnes qui manquent de connaissances en art, culture et gestion de projets.

Quant aux échanges créatifs entre le théâtre, l’art vidéo et les arts numériques en général, ils offrent un terrain fertile à de nouvelles formes d’expression artistique, permettant à ces disciplines de se nourrir mutuellement, de se renouveler et de repousser leurs propres limites. L’intégration du mapping vidéo et des environnements 3D est l’une des interactions les plus courantes entre le théâtre et l’art vidéo.Une forme de théâtre en plein essor est le théâtre de réalité virtuelle. Ce type de théâtre permet une immersion totale, offrant des expériences uniques où le public peut interagir avec les acteurs et l’environnement.

Quelles opportunités voyez-vous pour l’art vidéo dans le contexte culturel marocain ?

Bien que le marché de l’art marocain soit encore réticent à l’égard de cette forme d’art d’avant-garde, les artistes vidéo parviennent à décrocher quelques projets intéressants, notamment avec des entreprises qui cherchent à renouveler ou à améliorer leur image de marque. Les festivals restent également un lieu important de diffusion des oeuvres des artistes. À cet égard, le rôle joué par le FIAV dans la formation et la promotion des artistes marocains n’est pas à négliger. Le vidéaste Mounir Fatmi en est un exemple. Abdelghani Bibt, Noureddine Tilsaghani, Mohamed Zoubeiri, Abdellatif Benaydoul, Aziz Taleb, Kalamour et bien d’autres ont tous été formés au Festival. Le FIAV a présenté des artistes de la diaspora marocaine.

L’ouverture du FIAV à d’autres formes d’art (installations immersives, robotique, spectacle vivant numérique...) a permis l’émergence de nouvelles générations d’artistes numériques. Toutes ces opportunités ont contribué à dynamiser la scène artistique et à positionner le Maroc comme un acteur clé dans le domaine de l’art vidéo à l’échelle internationale.

Quelles initiatives avez-vous mises en place pour rendre le FIAV accessible à un public plus large ?

Le FIAV a eu, depuis sa création, l’étiquette de «Festival avant-gardiste destiné à l’élite». Nous en sommes fiers, mais il a fallu penser au grand public. Pour attirer des audiences diversifiées, plusieurs initiatives ont été mises en place. Premièrement, toutes les entrées au Festival sont gratuites selon les places disponibles. Le FIAV a développé des ateliers en dehors de la faculté. Des œuvres interactives et immersives sont programmées dans les différents lieux culturels. On a programmé dans l’espace public des œuvres qui peuvent toucher différents publics, notamment le mapping, la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Nous avons fait un effort dans la diffusion des contenus dans les réseaux sociaux surtout pour le public non casablancais. Depuis ces dernières éditions, nous avons engagé des médiatrices et médiateurs culturels dans les différents projets en vue d’accompagner le public à travers des visites guidées et commentées. n 
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