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Bishara Art Studio : quand l’art redonne sens et émotion au monde professionnel

Artiste-plasticienne et fondatrice de Bishara Art Studio à Casablanca, Bouchra Zindine développe une approche inédite qui conjugue expression artistique et bien-être au travail. En intégrant la peinture, le théâtre, le cinéma ou encore la poterie dans des ateliers sur mesure, elle fait de l’art un puissant levier de transformation individuelle et collective. Rencontre avec une «entrepreneure du sensible» qui insuffle dans l’entreprise un souffle artistique nouveau, au service de la créativité et de l’intelligence collective.

Le Matin : Vous êtes artiste plasticienne et fondatrice de Bishara Art Studio. Comment est née l’idée de créer cet espace à Casablanca, et qu’est-ce qui vous a motivée à l’ouvrir à d’autres que vous-même ?

Bouchra Zindine : Bishara Art Studio est né d’un élan intérieur, d’un besoin vital d’expression. Après plusieurs années de pratique discrète de la peinture, j’ai ressenti l’envie profonde de donner à mon art toute la place qu’il mérite : du temps, de l’espace, une véritable intention. En créant cet atelier, je me suis engagée pleinement dans une dynamique créative, avec cette douce nécessité de produire, d’explorer, de me renouveler.

Mais très vite, ce lieu a débordé de son cadre intime. À Casablanca, une ville bouillonnante d’énergie et d’envies, l’atelier est devenu un point de rencontre. Sur l’invitation spontanée de mon entourage, j’ai commencé à partager cet espace avec des enfants, puis avec des adultes en quête d’expression artistique. Leur enthousiasme, leur soif de création m’ont donné l’élan d’ouvrir Bishara au public.

Aujourd’hui, Bishara Art Studio est bien plus qu’un simple atelier : c’est un lieu vivant, un carrefour d’émotions, de sensibilités et de partages. Il est le prolongement naturel de ma démarche artistique : une invitation à créer, à ressentir, à grandir ensemble.



Vous parlez de votre atelier comme d’un «havre de paix» dans une ville en effervescence. Qu’est-ce qui, selon vous, rend cet espace si particulier, voire nécessaire, dans un environnement urbain comme Casablanca ?

«Havre de paix» a été cité plus d’une fois par les personnes qui se rendent à l’atelier. Mon atelier se trouve en hauteur dans le premier gratte-ciel de Casablanca : «le 17e Étage». Aujourd’hui encore, du haut de ses étages, l’immeuble domine un quartier en perpétuelle effervescence.

À ses pieds s’étendent les Habbous, mon quartier d’enfance, un lieu unique, tissé de mémoires et d’exils. Les Habbous portent la poésie du travail des mains, celle du geste des artisans. Cela a nourri mon imaginaire d’enfant, développant en moi très tôt une curiosité et une fascination pour le pouvoir créateur des êtres, aussi humbles soient-ils. C’est cet héritage invisible que je porte en moi, et que je tente de transmettre à travers mon art.

Votre approche mêle arts plastiques, théâtre, cinéma... Pourquoi avoir choisi une démarche aussi multidisciplinaire ? Quels bénéfices observez-vous dans cette diversité d’expressions artistiques ?

Toute forme artistique est porteuse d’un message conscient ou inconscient. Je crois profondément qu’on ne choisit pas l’acte de créer, on a juste le devoir de l’assumer, et de l’assumer pleinement.

Les formes artistiques dont je suis porteuse ont pris le temps de germer en moi, puis il y a eu des événements catalyseurs, des rencontres qui m’ont permis de prendre confiance et de laisser mon besoin d’expression prendre forme derrière un pinceau, par des mots ou simplement en donnant une lecture théâtrale.

J’aime le cinéma, considérant que les cinéastes sont aussi des peintres ou des sculpteurs : ils composent, cadrent des scènes et font parler nos émotions à travers leurs personnages. Je trouve qu’il y a là quelque chose qui se rapproche de la résilience. Voir une œuvre cinématographique, lire un texte ou l’écrire, peindre ou simplement contempler un tableau anesthésie nos blessures secrètes et nous éveille à un autre monde où la beauté et la sincérité surgissent pour nous rassurer ! C’est un cheminement vers la partie sensible en nous qui s’éveille, guérit et peut faire du bien à tout un chacun.

Vous travaillez avec des particuliers, mais aussi avec des entreprises. Qu’est-ce que l’art permet d’apporter dans un cadre professionnel, parfois perçu comme rigide ou normé ?

Mon parcours est profondément marqué par une expérience directe de l’entreprise. Après une formation académique en marketing et communication, j’ai exercé au sein de grandes structures privées, d’ONG et d’institutions publiques. Ces expériences m’ont beaucoup appris sur la rigueur professionnelle, mais elles m’ont aussi confrontée à un monde souvent régi par la pression du résultat, la compétition exacerbée et une forme d’oubli de l’humain. Malgré mon implication et une carrière «modèle», je ressentais un vide : le sensible, l’authentique me manquaient cruellement. Ma reconversion artistique a été pour moi un véritable «déformatage», un chemin de réappropriation du lien entre action et sens.

Aujourd’hui, forte de cette double expérience, je reviens vers l’entreprise par la porte de l’art. Ancrée dans les réalités de ma ville, Casablanca, cette métropole vibrante, à la fois chargée d’histoire et foisonnante d’initiatives innovantes, je ressens plus que jamais la nécessité de réintroduire une respiration sensible au cœur des organisations.

Mon approche artistique est nourrie de philosophie et de spiritualité ; elle invite chacun à renouer avec ce qui le rend pleinement humain. L’art, en sollicitant la sensibilité de chacun, apaise les tensions, restaure la qualité des échanges et tisse du lien authentique entre les collaborateurs. Là où le cadre professionnel peut parfois enfermer, l’art propose un espace pour voir plus loin, pour s’élever et mieux se rencontrer.

Les ateliers que vous proposez sont pensés en lien avec les ressources humaines et les enjeux managériaux. Comment construisez-vous ces programmes sur mesure ? À partir de quelles problématiques ?

Je conçois chaque atelier en étroite collaboration avec la direction des ressources humaines, afin de répondre au plus près des besoins exprimés. Chaque programme naît d’un échange approfondi autour d’une problématique spécifique, présentée lors d’un briefing initial. Cela peut aller d’un simple besoin de cohésion via une séance de peinture à un objectif plus ciblé, comme renforcer la dynamique d’équipe ou offrir un espace de respiration dans des environnements très sollicitants.

Je veille à ce que chaque détail – du choix des visuels au déroulé de l’atelier – favorise une véritable coupure avec le quotidien professionnel. L’objectif est que les participants puissent porter un regard nouveau sur leur environnement, en vivant une expérience sensorielle et créative, propice au recul et à la régénération.

Quels retours recevez-vous des entreprises après vos interventions ? Observez-vous un réel impact sur les dynamiques d’équipe ou sur le bien-être des collaborateurs ?

Les retours sont très positifs, voire enthousiastes. Lors des journées de team building, les ateliers de peinture ou d’arts plastiques remportent un franc succès – ce sont souvent les activités préférées des participants. Ce qui me frappe, c’est la récurrence des demandes : de nombreux managers réservent spontanément une nouvelle séance après avoir expérimenté la première.

Le changement d’état d’esprit est tangible : on observe une détente immédiate, une libération de la parole, et surtout une meilleure disponibilité émotionnelle. Ce bien-être perdure au-delà de l’atelier, influençant positivement les dynamiques d’équipe et l’engagement au travail

Vous évoquez une articulation entre l’art, les neurosciences et la communication. Comment ces disciplines se nourrissent-elles mutuellement dans vos ateliers ?

Je ne suis pas spécialiste en neurosciences, mais les recherches actuelles sont claires : une pratique artistique régulière stimule la plasticité cérébrale et favorise l’épanouissement émotionnel. L’art agit comme un catalyseur intérieur, une passerelle entre soi et le monde. Dans mes ateliers, chaque participant traverse une expérience sensorielle où l’écoute, l’attention à soi et aux autres prennent une place centrale. C’est un espace où la bienveillance devient une pratique partagée, où la communication se régénère naturellement par le biais de l’émotion et de la création.

Le théâtre et l’expression corporelle sont au cœur de vos dispositifs. En quoi ces pratiques développent-elles l’écoute, l’empathie ou même la posture professionnelle ?

Incarner un rôle, c’est accepter de changer de point de vue. Le théâtre permet ce déplacement : on quitte sa place habituelle pour en explorer une autre. Cette prise de recul favorise l’écoute véritable de l’autre. En travaillant sur des situations inspirées du vécu professionnel, les participants créent un ancrage émotionnel puissant. Par le jeu théâtral, ils développent à la fois leur empathie, leur aisance relationnelle et leur capacité à réagir avec justesse dans leur environnement de travail.

Le cinéma semble également occuper une place forte dans votre approche. Que révèle cette pratique collective aux participants ?

Un plateau de tournage, c’est une entreprise miniature. Chaque rôle – scénariste, preneur de son, cadreur, acteur, monteur – exige une coordination fine et une écoute réciproque. Lorsqu’un collaborateur endosse l’un de ces rôles, souvent éloigné de son quotidien professionnel, il découvre une autre manière de travailler en équipe, de co-construire, de se faire confiance, d’écouter, de regarder l’autre, de le faire exister comme élément indispensable d’un point de vue humain et fonctionnel. Cela renforce la coopération, la créativité partagée et surtout, le plaisir de faire ensemble.

À travers Bishara, vous affirmez que l’art est un levier de transformation.

Quels sont vos rêves et ambitions pour l’avenir ? Souhaitez-vous essaimer ce modèle ailleurs, au Maroc ou à l’étranger ?

Je ne parlerais pas de rêve, mais bien d’une ambition : celle de décloisonner l’art, de le faire sortir des lieux auxquels il est traditionnellement cantonné, pour qu’il irrigue d’autres espaces, notamment l’entreprise. En libérant l’art de ses frontières habituelles, on crée des ponts vers plus de lien, plus d’humanité, plus de sens dans le quotidien professionnel. Mon souhait est de diffuser cette approche, ici au Maroc comme ailleurs, pour qu’elle touche un public toujours plus large, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. En Europe, ce mouvement est déjà bien amorcé. De nombreux dirigeants ont compris que la santé d’une entreprise passe aussi par le bien-être émotionnel de ceux qui la composent. L’art devient alors un outil stratégique, mais aussi profondément humain.

Vous vous définissez comme une «entrepreneure du sensible». Que signifie cette expression dans un univers souvent dominé par la rationalité ?

C’est une manière d’assumer pleinement le fait que l’art peut cohabiter avec le monde de l’entreprise, et même l’enrichir. Toute pratique artistique nous «esthétise» : elle nous reconnecte à notre capacité à créer du beau, du ludique, du poétique. Prendre le temps de créer, c’est revenir à soi, réhabiliter notre part sensible trop souvent mise de côté dans nos quotidiens professionnels. À travers Bishara, mon travail est justement d’ouvrir ces espaces d’introspection et d’expression, pour que chacun, quel que soit son âge ou sa fonction, puisse explorer son intériorité par un médium artistique. C’est dans cette reconnexion que peut naître une transformation véritable, personnelle et collective.
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