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Dans le camp de Baqa’a, Aïsha fait vivre la Palestine à travers la cuisine (Documentaire)

L’histoire d’Aïsha, coréalisé par Elizabeth Vibert et Chen Wang, plonge le spectateur dans le quotidien d’une matriarche palestinienne. À travers la préparation des plats traditionnels, le documentaire dévoile la mémoire, la résilience et la force silencieuse d’une communauté réfugiée, où chaque geste culinaire devient un acte de transmission et de résistance.

Présenté le 23 septembre au Festival International du Film de Femmes de Salé, dans la compétition du film documentaire, L’histoire d’Aïsha, coréalisé par Elizabeth Vibert et Chen Wang, offre une plongée émouvante dans la culture et la résilience palestinienne à travers le quotidien d’une matriarche engagée.

Aïsha, une gardienne de culture

Au cœur du camp de réfugiés de Baqa’a en Jordanie, Aïsha Azzam perpétue depuis près de quarante ans un geste ancestral : moudre les grains et les herbes nécessaires à la cuisine palestinienne. Ce n’est pas seulement une activité économique, mais un acte de préservation culturelle.

Lors de leur première rencontre, la réalisatrice confie à Aïsha :

«On dirait que tu défends la culture culinaire palestinienne dans le camp.»

Et Aïsha, les yeux pétillants, lui répond dans un éclat de rire :

«Je défends seule la culture culinaire palestinienne dans le camp.»

Cette réplique résume la force tranquille de cette femme, à la fois matriarche, mère, grand-mère et entrepreneuse.


La nourriture comme mémoire vivante


À travers les gestes du quotidien – récolter, moudre, cuisiner, partager – le documentaire raconte la persévérance et la mémoire collective palestinienne. Aïsha transmet à sa famille la technique de la meule que sa grand-mère avait emportée lors de l'exode de 1948. Même lorsque les épreuves s’accumulent – le veuvage, les difficultés physiques de certaines de ses filles – Aïsha continue de cuisiner «main dans la main» avec elles. Chaque plat, chaque parfum devient ainsi une archive vivante d’une culture qui refuse de disparaître.

Un regard féministe et politique

Elizabeth Vibert s’inscrit dans une démarche de cinéma profondément engagée. Elle se souvient des mots de sa collègue Christine Welsh :

«Il est essentiel de raconter l’histoire de femmes ordinaires accomplissant des choses extraordinaires.»

En donnant la parole à Aïsha et à sa communauté, la réalisatrice refuse les clichés. Ici, la femme palestinienne n’est pas réduite à la souffrance : elle est actrice, mémoire et pilier. Le film met en lumière la force invisible des femmes dans les camps, sans oublier le contexte historique qui a façonné leur destin.

Elizabeth Vibert, historienne et réalisatrice, explique également : «En tant qu’historienne de la colonisation, mon intention est de décoloniser les contextes dont je parle, selon une perspective féministe.» Elle met en lumière les luttes et les défis que rencontrent les femmes dans différents contextes, où violences et politiques de ségrégation ont marqué plusieurs sociétés.

Dans le camp de Baqa’a, Aïsha fait vivre la Palestine à travers la cuisine (Documentaire)

Un témoignage familial sur la résistance

Le fils d’Aïsha souligne l’importance de la transmission et de la culture dans la lutte quotidienne :

«Chaque Palestinien, à sa manière, participe à la résistance. Pour ma mère, cette résistance se manifeste à travers son engagement à préserver notre patrimoine culinaire et à le transmettre aux nouvelles générations. C’est sa manière, silencieuse mais déterminée, de contribuer à notre identité collective.»

Ce témoignage renforce l’idée que les gestes quotidiens, comme la préparation du pain ou des plats traditionnels, ne sont pas seulement des routines familiales : ils deviennent des actes de mémoire et de résistance, incarnant la force et la persévérance du peuple palestinien.

Une conclusion forte et universelle

Tourné peu avant le 7 octobre 2023, le film se conclut par une scène émouvante dans une oliveraie, où toute la famille d’Aïsha est réunie autour d’un maqloubeh traditionnel (plat de riz, viande et légumes cuits en couches et retournés avant d’être servis). Le documentaire rend hommage à tous ceux qui ont contribué à sa réalisation, en particulier aux enfants de la famille et du camp, symboles vivants de la culture palestinienne.

Dans le contexte actuel, alors que Gaza est frappée par la guerre et la famine, le film prend une dimension encore plus forte, célébrant la résilience et la mémoire d’un peuple à travers le quotidien et la cuisine.

On rit avec Aïsha, on admire sa persévérance, et l’on comprend mieux sa conviction profonde :

«La nourriture est ce qui nous unit en tant que Palestiniens.»

En sortant de la salle, on emporte avec soi le goût des plats palestiniens, le son des grains moulus et, surtout, la certitude que la culture peut survivre à l’exil tant qu’il reste des femmes comme Aïsha pour la transmettre.
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