Aïda Jamal, Bouchra Ouizguen, Ahlam El Moursli... plusieurs danseuses et chorégraphes marocaines illustrent parfaitement la richesse et la diversité des voix féminines dans le paysage de la danse au Maroc. Ces femmes, issues de générations différentes, témoignent d’une richesse créative qui transcende les styles.Formation et soutien : clés pour l’épanouissement des danseuses marocaines
Autodidactes ou formées auprès de grands artistes, les chorégraphes marocaines démontrent qu’il existe une véritable pluralité de talents au sein des femmes dans la danse, chacune avec sa propre voix. Néanmoins, la créativité féminine est souvent bridée, car le parcours de nombreuses femmes ne va pas au-delà des conservatoires et écoles de danse où elles se retrouvent cantonnées à des formations traditionnelles qui ne leur permettent pas d’exprimer pleinement tout le potentiel de leur talent. Malgré leur capacité, beaucoup d’entre elles se voient confrontées à des freins qui entravent leur évolution artistique, les obligeant à se conformer à des normes établies plutôt qu’à embrasser l’innovation et la diversité des styles contemporains.
Cette réalité, selon plusieurs professionnels souligne l’importance d’un soutien institutionnel et d’opportunités d’apprentissage qui maintiennent l’expression individuelle et l’expérimentation, permettant ainsi aux femmes de s’affirmer en tant qu’artistes à part entière. «La société marocaine, avec ses structures traditionnelles et ses spécificités socioculturelles, a souvent restreint les opportunités offertes aux femmes, en les cantonnant à des rôles perçus comme secondaires, notamment dans le domaine artistique. La danse, en particulier contemporaine, est souvent considérée comme un art mineur, ce qui contribue à sa marginalisation», souligne Ahlam El Morsli, chorégraphe et interprète-danseuse. Pour elle, un dialogue avec le ministère de la Culture s’impose afin de remédier au manque d’espaces de formation, des événements de danse contemporaine et des aides financières à cette discipline. «La danse, en tant qu’art vivant, mérite une attention particulière, notamment à travers des résidences pour les artistes, des tournées et des productions soutenues. Nous manquons de structures dédiées qui pourraient favoriser la création, la production et la diffusion de spectacles», précise Ahlam qui fait de la danse son mode d’expression. Cette directrice artistique de la compagnie Col’Jam participe également à des projets de sensibilisation à la danse contemporaine dans le milieu social, et intervienne dans le cadre d’ateliers pédagogiques. Elle considère que transmettre son savoir et ses expériences aux nouvelles générations n’est pas seulement une responsabilité, mais aussi une manière de nourrir la scène de danse contemporaine au Maroc où chaque voix peut s’exprimer librement.
Ahlam El Morsli et sa compagnie organisent les Rencontres chorégraphiques de Casablanca, un événement majeur dans le paysage culturel marocain, qui encourage la réflexion culturelle, et favorise les rencontres entre artistes et partenaires. Même son de cloche auprès de Taoufiq Izeddiou, le chorégraphe engagé pour la danse contemporaine au Maroc. Ce fondateur du Festival de danse «On marche» ne cesse de réclamer haut et fort le droit des danseurs professionnels en formations adaptées, de lieux de danse et de repères. Pour lui, il est essentiel d’établir un écosystème durable pour la danse au Maroc, afin d’inciter les danseurs et notamment les danseuses à s’y établir de manière pérenne.
Ce pédagogue et directeur artistique de la compagnie «Anania» souligne que l’ensemble de ces facteurs complique l’intégration des jeunes femmes dans le secteur de la danse. En effet, de nombreuses familles sont réticentes à permettre à leurs filles de s’engager dans un domaine qu’elles considèrent comme incertain. Cette réticence s’inscrit dans un contexte plus vaste concernant la reconnaissance de la danse contemporaine. Pour plusieurs danseuses professionnelles, leur métier est en bas de l’échelle dans le monde artistique.
Pour ce faire, Taoufiq organise le Festival «On Marche» à Marrakech afin d’intégrer la dimension corporelle dans la société marocaine. Pour lui, comme pour Ahlam El Morsli et d’autres professionnels du secteur, la danse nécessite une approche réfléchie, intégrant la théorie et l’expertise des chercheurs pour évaluer la place et l’importance du corps dans notre société. Dans ce cadre, le Forum du Festival «On Marche» 2024 s’est ouvert sur l’université marocaine en débattant du «Corps dans l’espace intellectuel marocain».
Cette deuxième édition du Forum s’est attachée à tisser des passerelles entre la production intellectuelle et les créateurs des langages du corps. Des recherches effectuées au Maghreb prouvent que malgré les différentes perceptions du corps, de la sexualité, du travail et des loisirs, chaque pays a la possibilité d’écrire sa propre histoire.
En promouvant un écosystème durable et inclusif, des voix de chorégraphes telles qu’Ahlam El Morsli et Taoufiq Izeddiou espèrent que la danse contemporaine au Maroc transcende les préjugés et se révèle comme une forme d’expression essentielle, où chaque artiste, quel que soit son genre, puisse s’affirmer pleinement. Pour eux, l’avenir de la danse au Maroc réside dans la valorisation des talents féminins et la reconnaissance de leur contribution inestimable à la culture, promesse d’une scène artistique riche et diversifiée.
«La danse, en Europe, est souvent perçue comme un art féminin, bien que dans les cours de danse, on recherche fréquemment la présence d’hommes. Au fil des années, les scènes de France ont vu autant d’hommes que de femmes, et dans les Centres chorégraphiques, le nombre d’hommes y est souvent supérieur à celui des femmes. En revanche, dans des pays du Sud, tels que le Maroc, il existe une prédominance d’hommes dans des styles de danse comme le hip-hop et la danse athlétique, tandis que les femmes sont moins nombreuses à s’engager dans cette discipline, et encore moins à en faire un métier. Il est important de noter qu’il existe des femmes remarquables dans le domaine de la danse, comme Bouchra Ouizguen, qui vit à Marrakech et a suivi un parcours exceptionnel, ou Meriem Jazouli, chorégraphe reconnue pour ses créations. Les nouvelles générations, comme celles du festival “On Marche”, témoignent d’un potentiel prometteur. Toutefois, bien que de nombreuses femmes aient commencé à s’investir dans la danse, des difficultés subsistent, souvent dues à des pressions sociales qui les poussent à se détourner de cet art. Ce paradoxe entre les pays occidentaux et ceux du Sud soulève plusieurs interrogations. Chourouk El Mahati, par exemple, illustre cette nouvelle génération de femmes engagées dans la danse, faisant preuve d’une grande détermination et d’une intelligence artistique. Nous espérons en voir davantage, comme Aïda Jamal, qui forte impression sur scène. Pour favoriser l’émergence des danseuses, il est important de rassurer les parents et de promouvoir des formations reconnues par l’État, telles que des universités et des écoles supérieures. Cela permettra aux jeunes femmes de se sentir légitimes dans leur choix de carrière et de s’investir pleinement dans leur passion. Il est également essentiel de créer des espaces de représentation au Maroc pour que ces artistes puissent s’exprimer librement. La reconnaissance de la danse en tant qu’art est une lutte multifactorielle, nécessitant un environnement propice à l’apprentissage. Au-delà du soutien familial, il est important de créer des conditions favorables pour la danse au quotidien. À mon échelle, il est primordial de soutenir les femmes issues de sociétés comme la nôtre. Alors que dans les pays occidentaux, les femmes chorégraphes bénéficient d’un accompagnement pour leurs productions, au Maroc, Bouchra Ouizguen demeure une exception. La représentation sur scène, l’exposition de son corps au regard des autres, représente un défi, souvent accompagné d’une autocensure. L’importance des stéréotypes sociaux joue également un rôle non négligeable dans cette dynamique.
Ainsi, il est impératif de poursuivre la réflexion sur les moyens d’accroître la visibilité et la reconnaissance des danseuses, tout en luttant contre les préjugés qui entourent cette forme d’art.»
Chourouk El Mahati découvre la danse contemporaine auprès de la compagnie «Anania» de Taoufiq Izzediou à l’occasion de la formation 2011-2012 d’Al Mokhtabar II. Elle a participé depuis à plusieurs workshops et master class au Maroc et en Europe avec Michel Hallet Eghayen, Carmen Blanco Principal, Mathilde Monnier, Pierre Droulers, Bernardot Montet, Elsa Wolliaston et Vera Montero. En 2017-2018, elle est interprète dans les ballets «Gnawa Lhaal» et «Hunna» de la compagnie 2K.far – Khalid Bengrib et «Chekpoint» de la compagnie Humaine – Eric Oberdorff. En 2019, elle participe à la création de Taoufiq Izeddiou, «Borderlines». Ce dernier est également le parrain de son premier solo, «Meror», accueilli par la Friche Belle de Mai à Marseille la même année.
En 2020, elle rejoint Viadanse, centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort pour participer aux deux dernières créations de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, «Akzak», l’impatience d’une jeunesse reliée et le double duo «Ex-Pose(s)». Elle est également choisie pour interpréter, aux côtés de Meriem Bouajaja, une conférence dansée intitulée «La Part des Femmes», autour de plusieurs pièces du répertoire de la compagnie Fattoumi/Lamoureux. Elle est danseuse permanente à Viadanse depuis janvier 2021.
«La danse au féminin au Maroc incarne une richesse créative indéniable, mais elle se heurte également à des contraintes sociales et culturelles qui entravent son épanouissement. Au début de ma carrière, les traditions familiales et le paysage socioculturel ont fait que la danse contemporaine soit considérée comme un art mineur. Aujourd’hui, le Maroc a évolué et les choses ont changé. C’est un cercle vicieux : la quête de liberté des femmes se heurte au regard masculin, qui tend à dévaloriser celles qui s’épanouissent dans le domaine artistique. Ce regard, souvent empreint de préjugés, renforce des stéréotypes et limite la reconnaissance des femmes dans leur expression créative. Les choix vestimentaires perçus comme une affirmation de l’identité sont aussi soumis à des normes socioculturelles restrictives. Dans le corps résistant de la femme que je suis, je me concentre plutôt sur d’autres problématiques plus professionnelles et techniques. Au Maroc, l’absence de formations diplômantes complique la reconnaissance des danseurs. Les chorégraphes marocains adaptent leur art selon leur identité culturelle, ce qui constitue une richesse, notamment dans le travail sur la musicalité et l’expression personnelle. Il est important que le ministère de la Culture s’engage activement pour améliorer les conditions de la danse. Le manque d’opportunités et de soutien institutionnel se fait cruellement sentir, avec un budget très limité alloué aux projets dans ce secteur. Actuellement, il n’existe pas de résidences adéquates pour la création, ni de possibilités de tournées, ce qui entraîne considérablement le développement de la danse au Maroc. Une véritable structuration du domaine est nécessaire, avec la création de centres chorégraphiques et des aides à la création, à la production, ainsi qu’à la diffusion.»
«Je vis une réalité différente de celle du Maroc. Au Canada, les femmes représentent 80% des effectifs dans les formations en danse, tandis que les hommes ne constituent que 20%. En observant la scène marocaine, il est manifeste que la majorité des chorégraphes sont des hommes, souvent les mêmes qui apparaissent sur scène. Bien que j’aie vu au Festival “On Marche 2024” à Marrakech, quelques femmes interprètes, elles sont peu nombreuses. Les chorégraphes-solistes se distinguent des chefs de groupe, et la présence féminine demeure faible. Je ne possède pas toutes les clés de cette situation, mais il est évident que des facteurs culturels et sociétaux jouent un rôle majeur ; peu de femmes s’engagent dans une carrière professionnelle dans ce domaine.
Historiquement, la danse a souvent été perçue comme un divertissement, un art secondaire, voire négligé. Les pressions sociétales contribuent à la sous-représentation des femmes sur scène. La majorité des danseurs masculins proviennent de la danse urbaine et du b-boying, des styles pratiqués principalement par des hommes.
Il est important d’encourager une plus grande participation des femmes dans l’enseignement de la danse. Une attention particulière doit être portée à cette discipline, favorisant l’émancipation des femmes. Le rôle de la société envers la femme doit également évoluer, afin de permettre à davantage de femmes de côtoyer les hommes dans cet environnement.
Il est préoccupant de constater le rôle que l’on attribue aux femmes dans notre culture. Parallèlement, il existe un désir chez les hommes d’exprimer leur sensibilité et leur sensualité, ce phénomène étant d’une grande importance. J’observe une tension entre cette aspiration masculine et l’espace que la femme peut occuper dans ce parcours.
Dans l’une des plus belles pièces que j’ai vues au Maroc, tous les danseurs étaient des hommes, et ils avaient la liberté d’exprimer leur sensibilité. En revanche, j’aimerais entendre des voix féminines fortes, des prises de position claires. Il existe des femmes inspirantes, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de les rencontrer.
Chourouk El Mahati, par exemple, est une artiste explosive, sensible et puissante sur scène. Il est impératif d’encourager ce type de femmes. J’aspire à enseigner ici et à collaborer avec Taoufiq Izeddiou sur un projet d’échange culturel. Cela nous permettrait de confronter nos réalités respectives et de croiser nos identités.»
Autodidactes ou formées auprès de grands artistes, les chorégraphes marocaines démontrent qu’il existe une véritable pluralité de talents au sein des femmes dans la danse, chacune avec sa propre voix. Néanmoins, la créativité féminine est souvent bridée, car le parcours de nombreuses femmes ne va pas au-delà des conservatoires et écoles de danse où elles se retrouvent cantonnées à des formations traditionnelles qui ne leur permettent pas d’exprimer pleinement tout le potentiel de leur talent. Malgré leur capacité, beaucoup d’entre elles se voient confrontées à des freins qui entravent leur évolution artistique, les obligeant à se conformer à des normes établies plutôt qu’à embrasser l’innovation et la diversité des styles contemporains.
Cette réalité, selon plusieurs professionnels souligne l’importance d’un soutien institutionnel et d’opportunités d’apprentissage qui maintiennent l’expression individuelle et l’expérimentation, permettant ainsi aux femmes de s’affirmer en tant qu’artistes à part entière. «La société marocaine, avec ses structures traditionnelles et ses spécificités socioculturelles, a souvent restreint les opportunités offertes aux femmes, en les cantonnant à des rôles perçus comme secondaires, notamment dans le domaine artistique. La danse, en particulier contemporaine, est souvent considérée comme un art mineur, ce qui contribue à sa marginalisation», souligne Ahlam El Morsli, chorégraphe et interprète-danseuse. Pour elle, un dialogue avec le ministère de la Culture s’impose afin de remédier au manque d’espaces de formation, des événements de danse contemporaine et des aides financières à cette discipline. «La danse, en tant qu’art vivant, mérite une attention particulière, notamment à travers des résidences pour les artistes, des tournées et des productions soutenues. Nous manquons de structures dédiées qui pourraient favoriser la création, la production et la diffusion de spectacles», précise Ahlam qui fait de la danse son mode d’expression. Cette directrice artistique de la compagnie Col’Jam participe également à des projets de sensibilisation à la danse contemporaine dans le milieu social, et intervienne dans le cadre d’ateliers pédagogiques. Elle considère que transmettre son savoir et ses expériences aux nouvelles générations n’est pas seulement une responsabilité, mais aussi une manière de nourrir la scène de danse contemporaine au Maroc où chaque voix peut s’exprimer librement.
Ahlam El Morsli et sa compagnie organisent les Rencontres chorégraphiques de Casablanca, un événement majeur dans le paysage culturel marocain, qui encourage la réflexion culturelle, et favorise les rencontres entre artistes et partenaires. Même son de cloche auprès de Taoufiq Izeddiou, le chorégraphe engagé pour la danse contemporaine au Maroc. Ce fondateur du Festival de danse «On marche» ne cesse de réclamer haut et fort le droit des danseurs professionnels en formations adaptées, de lieux de danse et de repères. Pour lui, il est essentiel d’établir un écosystème durable pour la danse au Maroc, afin d’inciter les danseurs et notamment les danseuses à s’y établir de manière pérenne.
Ce pédagogue et directeur artistique de la compagnie «Anania» souligne que l’ensemble de ces facteurs complique l’intégration des jeunes femmes dans le secteur de la danse. En effet, de nombreuses familles sont réticentes à permettre à leurs filles de s’engager dans un domaine qu’elles considèrent comme incertain. Cette réticence s’inscrit dans un contexte plus vaste concernant la reconnaissance de la danse contemporaine. Pour plusieurs danseuses professionnelles, leur métier est en bas de l’échelle dans le monde artistique.
Relation au corps : un enjeu central
Autre facteur compliquant l’émergence des femmes dans le milieu de la danse est celui de la relation avec le corps dans la société marocaine et arabe en général. Selon Izeddiou, la société continue de considérer le corps dansant avec une certaine incompréhension, voire avec méfiance. Ce constat, il le touche dans ses ateliers et répétitions. «La danse contemporaine doit encore s’affirmer», précise-t-il.Pour ce faire, Taoufiq organise le Festival «On Marche» à Marrakech afin d’intégrer la dimension corporelle dans la société marocaine. Pour lui, comme pour Ahlam El Morsli et d’autres professionnels du secteur, la danse nécessite une approche réfléchie, intégrant la théorie et l’expertise des chercheurs pour évaluer la place et l’importance du corps dans notre société. Dans ce cadre, le Forum du Festival «On Marche» 2024 s’est ouvert sur l’université marocaine en débattant du «Corps dans l’espace intellectuel marocain».
Cette deuxième édition du Forum s’est attachée à tisser des passerelles entre la production intellectuelle et les créateurs des langages du corps. Des recherches effectuées au Maghreb prouvent que malgré les différentes perceptions du corps, de la sexualité, du travail et des loisirs, chaque pays a la possibilité d’écrire sa propre histoire.
En promouvant un écosystème durable et inclusif, des voix de chorégraphes telles qu’Ahlam El Morsli et Taoufiq Izeddiou espèrent que la danse contemporaine au Maroc transcende les préjugés et se révèle comme une forme d’expression essentielle, où chaque artiste, quel que soit son genre, puisse s’affirmer pleinement. Pour eux, l’avenir de la danse au Maroc réside dans la valorisation des talents féminins et la reconnaissance de leur contribution inestimable à la culture, promesse d’une scène artistique riche et diversifiée.
Héla Fattoumi, danseuse, chorégraphe : «Pour favoriser l’émergence des danseuses, il est important de rassurer les parents et de promouvoir des formations reconnues par l’État»
«La danse, en Europe, est souvent perçue comme un art féminin, bien que dans les cours de danse, on recherche fréquemment la présence d’hommes. Au fil des années, les scènes de France ont vu autant d’hommes que de femmes, et dans les Centres chorégraphiques, le nombre d’hommes y est souvent supérieur à celui des femmes. En revanche, dans des pays du Sud, tels que le Maroc, il existe une prédominance d’hommes dans des styles de danse comme le hip-hop et la danse athlétique, tandis que les femmes sont moins nombreuses à s’engager dans cette discipline, et encore moins à en faire un métier. Il est important de noter qu’il existe des femmes remarquables dans le domaine de la danse, comme Bouchra Ouizguen, qui vit à Marrakech et a suivi un parcours exceptionnel, ou Meriem Jazouli, chorégraphe reconnue pour ses créations. Les nouvelles générations, comme celles du festival “On Marche”, témoignent d’un potentiel prometteur. Toutefois, bien que de nombreuses femmes aient commencé à s’investir dans la danse, des difficultés subsistent, souvent dues à des pressions sociales qui les poussent à se détourner de cet art. Ce paradoxe entre les pays occidentaux et ceux du Sud soulève plusieurs interrogations. Chourouk El Mahati, par exemple, illustre cette nouvelle génération de femmes engagées dans la danse, faisant preuve d’une grande détermination et d’une intelligence artistique. Nous espérons en voir davantage, comme Aïda Jamal, qui forte impression sur scène. Pour favoriser l’émergence des danseuses, il est important de rassurer les parents et de promouvoir des formations reconnues par l’État, telles que des universités et des écoles supérieures. Cela permettra aux jeunes femmes de se sentir légitimes dans leur choix de carrière et de s’investir pleinement dans leur passion. Il est également essentiel de créer des espaces de représentation au Maroc pour que ces artistes puissent s’exprimer librement. La reconnaissance de la danse en tant qu’art est une lutte multifactorielle, nécessitant un environnement propice à l’apprentissage. Au-delà du soutien familial, il est important de créer des conditions favorables pour la danse au quotidien. À mon échelle, il est primordial de soutenir les femmes issues de sociétés comme la nôtre. Alors que dans les pays occidentaux, les femmes chorégraphes bénéficient d’un accompagnement pour leurs productions, au Maroc, Bouchra Ouizguen demeure une exception. La représentation sur scène, l’exposition de son corps au regard des autres, représente un défi, souvent accompagné d’une autocensure. L’importance des stéréotypes sociaux joue également un rôle non négligeable dans cette dynamique.
Ainsi, il est impératif de poursuivre la réflexion sur les moyens d’accroître la visibilité et la reconnaissance des danseuses, tout en luttant contre les préjugés qui entourent cette forme d’art.»
Chourouk El Mahati, jeune talent acclamé par les professionnels
Chourouk El Mahati découvre la danse contemporaine auprès de la compagnie «Anania» de Taoufiq Izzediou à l’occasion de la formation 2011-2012 d’Al Mokhtabar II. Elle a participé depuis à plusieurs workshops et master class au Maroc et en Europe avec Michel Hallet Eghayen, Carmen Blanco Principal, Mathilde Monnier, Pierre Droulers, Bernardot Montet, Elsa Wolliaston et Vera Montero. En 2017-2018, elle est interprète dans les ballets «Gnawa Lhaal» et «Hunna» de la compagnie 2K.far – Khalid Bengrib et «Chekpoint» de la compagnie Humaine – Eric Oberdorff. En 2019, elle participe à la création de Taoufiq Izeddiou, «Borderlines». Ce dernier est également le parrain de son premier solo, «Meror», accueilli par la Friche Belle de Mai à Marseille la même année.
En 2020, elle rejoint Viadanse, centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort pour participer aux deux dernières créations de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, «Akzak», l’impatience d’une jeunesse reliée et le double duo «Ex-Pose(s)». Elle est également choisie pour interpréter, aux côtés de Meriem Bouajaja, une conférence dansée intitulée «La Part des Femmes», autour de plusieurs pièces du répertoire de la compagnie Fattoumi/Lamoureux. Elle est danseuse permanente à Viadanse depuis janvier 2021.
Déclaration de Ahlam El Morsli, chorégraphe et danseuse
«La danse au féminin au Maroc incarne une richesse créative indéniable, mais elle se heurte également à des contraintes sociales et culturelles qui entravent son épanouissement. Au début de ma carrière, les traditions familiales et le paysage socioculturel ont fait que la danse contemporaine soit considérée comme un art mineur. Aujourd’hui, le Maroc a évolué et les choses ont changé. C’est un cercle vicieux : la quête de liberté des femmes se heurte au regard masculin, qui tend à dévaloriser celles qui s’épanouissent dans le domaine artistique. Ce regard, souvent empreint de préjugés, renforce des stéréotypes et limite la reconnaissance des femmes dans leur expression créative. Les choix vestimentaires perçus comme une affirmation de l’identité sont aussi soumis à des normes socioculturelles restrictives. Dans le corps résistant de la femme que je suis, je me concentre plutôt sur d’autres problématiques plus professionnelles et techniques. Au Maroc, l’absence de formations diplômantes complique la reconnaissance des danseurs. Les chorégraphes marocains adaptent leur art selon leur identité culturelle, ce qui constitue une richesse, notamment dans le travail sur la musicalité et l’expression personnelle. Il est important que le ministère de la Culture s’engage activement pour améliorer les conditions de la danse. Le manque d’opportunités et de soutien institutionnel se fait cruellement sentir, avec un budget très limité alloué aux projets dans ce secteur. Actuellement, il n’existe pas de résidences adéquates pour la création, ni de possibilités de tournées, ce qui entraîne considérablement le développement de la danse au Maroc. Une véritable structuration du domaine est nécessaire, avec la création de centres chorégraphiques et des aides à la création, à la production, ainsi qu’à la diffusion.»
Déclaration de Danièle Desnoyers, danseuse contemporaine et chorégraphe canadienne
«Je vis une réalité différente de celle du Maroc. Au Canada, les femmes représentent 80% des effectifs dans les formations en danse, tandis que les hommes ne constituent que 20%. En observant la scène marocaine, il est manifeste que la majorité des chorégraphes sont des hommes, souvent les mêmes qui apparaissent sur scène. Bien que j’aie vu au Festival “On Marche 2024” à Marrakech, quelques femmes interprètes, elles sont peu nombreuses. Les chorégraphes-solistes se distinguent des chefs de groupe, et la présence féminine demeure faible. Je ne possède pas toutes les clés de cette situation, mais il est évident que des facteurs culturels et sociétaux jouent un rôle majeur ; peu de femmes s’engagent dans une carrière professionnelle dans ce domaine.
Historiquement, la danse a souvent été perçue comme un divertissement, un art secondaire, voire négligé. Les pressions sociétales contribuent à la sous-représentation des femmes sur scène. La majorité des danseurs masculins proviennent de la danse urbaine et du b-boying, des styles pratiqués principalement par des hommes.
Il est important d’encourager une plus grande participation des femmes dans l’enseignement de la danse. Une attention particulière doit être portée à cette discipline, favorisant l’émancipation des femmes. Le rôle de la société envers la femme doit également évoluer, afin de permettre à davantage de femmes de côtoyer les hommes dans cet environnement.
Il est préoccupant de constater le rôle que l’on attribue aux femmes dans notre culture. Parallèlement, il existe un désir chez les hommes d’exprimer leur sensibilité et leur sensualité, ce phénomène étant d’une grande importance. J’observe une tension entre cette aspiration masculine et l’espace que la femme peut occuper dans ce parcours.
Dans l’une des plus belles pièces que j’ai vues au Maroc, tous les danseurs étaient des hommes, et ils avaient la liberté d’exprimer leur sensibilité. En revanche, j’aimerais entendre des voix féminines fortes, des prises de position claires. Il existe des femmes inspirantes, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de les rencontrer.
Chourouk El Mahati, par exemple, est une artiste explosive, sensible et puissante sur scène. Il est impératif d’encourager ce type de femmes. J’aspire à enseigner ici et à collaborer avec Taoufiq Izeddiou sur un projet d’échange culturel. Cela nous permettrait de confronter nos réalités respectives et de croiser nos identités.»