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Driss El Yazami explore les liens Maroc-Espagne-Portugal avant la Coupe du monde 2030

La onzième édition du Forum des droits humains du Festival Gnaoua et musiques du monde d’Essaouira se tiendra les 28 et 29 juin sur le thème «Maroc, Espagne, Portugal : une histoire qui a de l’avenir». À cette occasion, Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), explore les multiples facettes des relations entre le Maroc, l’Espagne et le Portugal. Il aborde les thématiques de l’Histoire partagée, les apports culturels et sportifs, ainsi que les mobilités humaines et les réalités économiques. El Yazami souligne également l’impact potentiel de l’organisation conjointe de la Coupe du monde de football 2030 sur les relations bilatérales et l’importance de la mobilisation de la société civile, des intellectuels, des artistes et des sportifs pour renforcer les liens entre ces nations.

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Le Matin : La onzième édition du Forum des droits humains du Festival Gnaoua et musiques du monde d’Essaouira est axée sur la thématique «Maroc, Espagne, Portugal : une histoire qui a de l’avenir». Quels volets seront explorés à ce sujet ?

Driss El Yazami :
Après un discours inaugural de José Luis Rodriguez Zapatero, ancien Chef du gouvernement espagnol, le Forum traitera de trois grandes thématiques. Une première table ronde examinera les traces dans les trois pays sur la longue durée d’une histoire partagée de plus de mille ans. La deuxième se penchera sur les convergences et les apports du sport, de la culture et des arts et la troisième portera sur les mobilités humaines et les réalités économiques. Comme à chaque fois, les intervenants sont des chercheurs, des artistes et des créateurs, des hommes politiques, des acteurs associatifs ou des syndicalistes, et comme d’habitude, le public est appelé à interagir assez longuement avec les invités.

En quoi l’organisation conjointe de la Coupe du monde de football par le Maroc, l’Espagne et le Portugal peut-elle impacter les relations entre ces trois pays ?

Je ne suis absolument pas spécialiste en la matière, mais j’ai eu l’honneur de participer à l’élaboration du chapitre sur les droits de l’Homme dans le dossier de candidature du Maroc à la Coupe du monde 2026. Ce n’était qu’une toute petite composante de ce dossier, mais j’ai pu mesurer, même si c’est de loin, l’ampleur du travail de préparation qu’il s’agit de mener en amont d’un tel événement.

Cette organisation conjointe nous met tous face à de nombreux défis inédits puisqu’il s’agit d’une aventure à trois pays, répartis sur deux continents, avec à l’évidence une même passion pour le ballon rond, mais des cultures et des traditions politiques et culturelles, à la fois proches et éloignées. Elle ouvre de formidables opportunités économiques et constitue un extraordinaire accélérateur de la coopération entre nos pays. Il semble bien qu’au niveau des fédérations sportives, l’élan ait été donné très vite, avec un soutien politique manifesté au plus haut niveau, comme l’a montré à plusieurs fois Sa Majesté le Roi. Il reste maintenant à maintenir le rythme et à impliquer largement les sociétés. D’où l’importance de ce forum.



Quel rôle peuvent jouer la société civile, les intellectuels, les artistes et les sportifs dans le renforcement des liens entre le Maroc, l’Espagne et le Portugal, notamment dans le contexte de l’organisation de cette Coupe du monde ?

Nous sommes, en effet, dans une situation paradoxale : un voisinage enraciné dans l’Histoire, fait de convergences, mais aussi de conflits, des relations politiques et économiques fortes et stables, mais traversées de périodes de crise, souvent brèves, mais intenses, et des relations humaines importantes, compliquées et entravées par une méfiance durable, notamment de la part de certains secteurs de l’opinion au nord du Détroit.

À cet égard, l’essentiel du travail à mener est de déminer les représentations négatives et les préjugés qui existent de part et d’autre et de multiplier les espaces de connaissance mutuelle, de dialogue et de solidarité. Beaucoup est fait à cet égard, comme le travail mené depuis des années par la Fondation des trois cultures à Séville (j’ai eu l’honneur d’appartenir à son conseil d’administration), la Casa arabe à Madrid, l’IEMed à Barcelone ou l’Institut Camoès abrité par l’ambassade du Portugal à Rabat. Du côté marocain, l’Institut des études hispano-lusophones de l’Université Mohammed V de Rabat mène depuis des années un travail d’ampleur. L’action des Instituts Cervantès au Maroc est aussi très importante. Il me semble nécessaire de renforcer les moyens mis à disposition de ces institutions universitaires et culturelles et de créer probablement d’autres institutions, dans l’édition ou la traduction par exemple. Les passerelles établies au niveau syndical – elles sont anciennes – et au niveau des médias devraient être renforcées, tout comme tout ce qui concerne la coopération décentralisée. À cet égard, l’action de l’antenne marocaine du Fonds andalou des municipalités pour la solidarité internationale (FAMSI) avec les collectivités du nord du Royaume est exemplaire.

Je pense, enfin, aux nombreuses actions menées depuis des décennies par des personnalités ou des ONG de solidarité et d’amitié entre les deux rives, qui agissent souvent dans l’ombre, mais dont l’action est essentielle, comme le montrent les quelques illustrations qui suivent.

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur d’être invité (en compagnie du joueur Aziz Bouderbala et du journaliste Badre-Eddine Idrissi) à la commémoration du XIXe anniversaire de la Pena Real Madrid Remate, qui regroupe les supporters du Club madrilène à Tétouan. Et l’on sait l’action menée par de nombreux acteurs espagnols pour accompagner les mineurs marocains dans la péninsule. Je pense par exemple au travail du Red Acoge, qui a une antenne marocaine, ou à l’action menée par la Fundacion Raices à Madrid, créée en 1996 par l’avocat feu Juan Ignacio de la Mata, décédé en 2012 et qui, le premier, avait introduit le 5 avril 2006 un recours en extrême urgence contre l’expulsion d’un mineur qui devait être rapatrié au Maroc le jour même.

Un autre exemple sur le plan de la culture, il y a depuis quelques jours à Grenade une magnifique exposition de 200 bijoux amazighs, présentés à la Fondation El Legado Andalusi (l’héritage andalou), tirés de la collection privée de l’ancien ambassadeur d’Espagne au Maroc (1997-2001), M. Jorge Dezcallar de Mazzaredo. L’exposition est visible jusqu’au début de l’année prochaine.

Mais s’il y a encore beaucoup à faire avec l’Espagne, l’effort à fournir avec le Portugal est plus important encore. En dépit de toutes les difficultés, les relations maroco-espagnoles sont plus intenses et plus diversifiées et la proximité au niveau des sociétés est plus ample et plus évidente. De ce point de vue, cette coupe du monde commune est une occasion en or pour que le Portugal et le Maroc se découvrent réellement et que les deux peuples se connaissent et coopèrent beaucoup mieux.

Comment le CCME envisage-t-il de mobiliser la diaspora marocaine en Espagne et au Portugal pour participer au dialogue sur l’avenir des relations entre les trois pays ?

Cette mobilisation a déjà commencé, comme en témoigne l’organisation de ce forum où des Marocains d’Espagne, qui sont des partenaires depuis longtemps du CCME, participent aux différentes tables rondes. Leur diversité témoigne d’ailleurs des mutations rapides et intenses que cette communauté a vécues en peu de décennies. Elle a ainsi connu un développement démographique extraordinaire, passant de moins de 100.000 personnes dans les années 1990 à plus de 1 million d’individus aujourd’hui. Elle s’est aussi largement féminisée et s’est diversifiée. De nouvelles dynamiques migratoires se sont, en effet, développées comme l’émigration étudiante ou celle des jeunes dits mineurs non accompagnés. Pour des raisons évidentes, la situation au Portugal est différente : les services consulaires marocains comptabilisent moins de 10.000 émigrés.

Comme vous avez dû le remarquer, le thème de la diaspora est présent dans le programme du Forum, mais il peut constituer au-delà d’Essaouira un atout dans la perspective du Mondial de 2030. L’Espagne et le Portugal sont, en effet, de grands pays d’émigration. Cette émigration s’est déployée très tôt (les Découvertes) vers le Nouveau Monde et a connu un retournement vers le Nord-Ouest européen au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, nous avons en commun des communautés fortes et mondialisées à l’étranger, auxquelles les trois États accordent un intérêt constant (ce que les chercheurs appellent des politiques de la diaspora). L’Espagne et le Portugal ont par exemple un Conseil similaire au CCME. Nous réfléchissons à des initiatives communes avec ces institutions homologues.

En ce qui concerne la question des mobilités entre le Maroc, l’Espagne et le Portugal, quelles politiques migratoires pourraient être mises en place pour favoriser une circulation plus fluide des personnes tout en garantissant le respect des droits humains des migrants ?

Les mobilités humaines entre les deux rives concernent en réalité plusieurs groupes et impliquent plusieurs temporalités.

Les flux touristiques semblent se développer de manière régulière et assez équilibrée, puisqu’il y a pratiquement près de 1 million de touristes espagnols, d’un côté, et Marocains, de l’autre, qui visitent chacun des pays et le phénomène semble se développer sans anicroche. Il y a clairement des opportunités à mieux exploiter dans ce domaine entre le Maroc et le Portugal.

Les grands flux de transit annuel lors des vacances des émigrés marocains, gérés du côté marocain par la Fondation, font l’objet d’une coopération étendue et semblent se passer de manière générale dans de bonnes conditions.

Les migrations circulaires (les saisonnières, notamment) ont été mises en place avec l’Espagne depuis 2001 et un accord a été signé en ce sens en janvier 2022 avec le Portugal. Ce n’est pas le lieu ici de traiter de tous les aspects de ces accords de migration légale temporaire, mais il ne faut jamais oublier que les publics en question sont des groupes vulnérables et leurs droits fondamentaux doivent être préservés, même en cas de migration de courte durée.

Il y a bien évidemment la question des migrations de jeunes Marocains qui perturbe périodiquement les relations politiques. Nous plaidons dans ce domaine pour la tenue de rencontres régulières associant responsables politiques, acteurs sociaux qui travaillent avec cette catégorie, et chercheurs à l’image de cette université d’été qui se tenait il y a encore quelques années à Tanger. En outre, on pourrait imaginer que les trois pays prennent l’initiative de lancer un Forum mondial de concertation sur ce phénomène désormais mondial.

Sur le thème de la coopération culturelle, quelles sont à votre avis les initiatives conjointes que le Maroc, l’Espagne et le Portugal pourraient mettre en œuvre pour promouvoir l’échange culturel et artistique entre les trois pays et renforcer les liens entre leurs populations ?

Il faut le rappeler constamment, nous ne partons pas de zéro et de nombreux acteurs universitaires, politiques et culturels agissent chaque jour pour le rapprochement et la coopération. Il faut d’abord, comme je l’ai indiqué, renforcer les ressources financières et humaines mises à leur disposition. Il semble néanmoins important d’agir dans deux directions : la traduction et l’Histoire.

Signe des mutations de la communauté marocaine à l’étranger, nous avons invité au Salon du livre à Rabat ces trois dernières années sept romanciers maroco-espagnols qui écrivent en castillan et en catalan : Meryem El Mehdati, Mohamed El Morabet, Laïla Karrouch, Karima Ziali Itahriouan, Saïd El Kadaoui, Youssef El Maïmouni et Nadia Hafid. Deux d’entre eux seront présents à Essaouira. Tous ces créateurs enrichissent à la fois la culture marocaine et espagnole et élargissent notre imaginaire au Maroc comme dans la péninsule. J’espère voir leurs œuvres rapidement traduites pour permettre au public marocain d’y accéder, mais de manière générale les programmes de traduction en littérature comme en sciences humaines des trois pays devraient être sérieusement reconsidérés et amplifiés.

En Histoire aussi, beaucoup est fait. Nous avons ainsi été partie prenante de la traduction du livre du Dr Mimoun Aziza de l’Université de Meknès, un travail de référence sur le protectorat espagnol. L’Institut Royal d’Histoire, dirigé par le professeur Mohamed Kenbib, a tenu en mai 2023 un important colloque sur l’Histoire des relations hispano-marocaines, dont les actes devraient être publiés prochainement. Un des chantiers à cet égard est la vulgarisation au bon sens du terme auprès des publics des deux rives des acquis de la recherche académique. Il s’agit de faire connaître grâce à des documentaires, des fictions et de séries toute cette Histoire, y compris les épisodes les plus «durs» comme la conquête du Rif ou la Guerre civile espagnole.

La Méditerranée est souvent vue comme une frontière géographique entre l’Afrique et l’Europe. Comment pouvons-nous transformer cette perception en une vision de la Méditerranée comme une jonction, un lieu de rencontre et d’échange entre les continents ? Quels sont les moyens de renforcer les liens entre les pays riverains et de favoriser une coopération transnationale durable ?

Il ne s’agit pas seulement d’une question de perception. La Méditerranée est à la jonction de deux continents qui connaissent un rapport de forces inégal et des dynamiques politiques, sociales, économiques et culturelles différentes. Face à l’ambition européenne, qui vise à construire un ensemble géostratégique puissant et intégré, malgré les difficultés internes de cette ambition que nous constatons ces derniers temps. Force est de constater que le Sud connaît plutôt des évolutions contraires. La seule option est celle que Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’a cessé de rappeler : il faut que l’Afrique compte sur elle-même et tente de parler d’une seule voix. C’est bien évidemment une tâche immense. Mais il n’y a pas d’autre alternative.

Comment le Forum des droits humains du Festival Gnaoua et musiques du monde d’Essaouira s’inscrit-il dans la vision plus large du CCME en matière de promotion des droits de l’Homme au Maroc ? Quelles sont les principales évolutions que vous avez observées dans le Forum des droits humains au fil des années, en termes de thématiques abordées ou de participation des acteurs locaux et internationaux ?

Le Forum a été lancé dans le contexte du double mouvement de revendications et de réformes que le Royaume a connues en 2011, avec notamment l’adoption de la nouvelle Constitution. Avec Neïla Tazi et ses équipes, il nous a semblé qu’un festival qui avait notamment travaillé à réconcilier le Maroc avec sa profondeur historique et sa diversité culturelle était le mieux placé pour abrier ce nouvel espace de débat démocratique.

À raison d’une vingtaine de participants par édition, nous avons accueilli plus de 200 personnes, en veillant autant que possible à une égalité de genre, en articulant problématiques d’actualité et approche multidisciplinaire, liberté de ton et sérénité des échanges. Nous ne sommes pas les mieux placés pour une évaluation rigoureuse, mais il nous semble que le forum est devenu un rendez-vous régulier et attendu par une partie des festivaliers et un espace original qui enrichit la délibération citoyenne, sans laquelle on ne peut espérer de démocratie vivante.
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