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Samedi 04 Mai 2024
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Et malgré tout, Jamal Belahrach a toujours envie de Maroc...

Récemment paru aux éditions Sochepress, «Toujours envie de Maroc, malgré tout» est un récit de Jamal Belahrach, Franco-Marocain notoire qui requestionne le retour au pays et l’envie de s’engager pour le meilleur, même dans le pire…

«Toujours envie de Maroc, malgré tout» est le cri de colère d’un cœur blessé. Au fil de ses 140 pages, Jamal Belahrach se livre à un règlement de comptes avec les travers de la société marocaine qui l’ont empêché de servir au mieux sa juste cause : celle de pourvoir au Marocain un contrat social qui préserve sa dignité.



Dans un récit très personnel, où l’on fait connaissance avec son énergéticienne, Jamal Belahrach dévoile sa fêlure et le cheminement spirituel qu’il entreprend, avec un langage imprégné de développement personnel. C’est là même que l’on réalise la sincérité de sa remise en question. Mais très vite, et heureusement, l’auteur reprend du poil de la bête pour pointer là où le bât blesse et réitérer son désir de participer au changement.

Le livre est intéressant à plus d’un titre. D’abord, parce que nos dirigeants ne parlent pas, ne s’adressent pas au public, en particulier à la jeunesse, pour qui ils peuvent constituer le «role model», à même de partager les recettes de succès et les leçons d’échec. Ensuite, le dévoilement de la sensibilité, de la vulnérabilité qui se marie à la force de caractère, se révèle être le doux symptôme d’une masculinité positive, de quoi ravir les féministes et autres prêcheurs de la modernité.

Un contrat social traînant

Aux origines du militantisme, une enfance heureuse malgré tout à Dreux, où Jamal Belahrach travaille comme animateur pour aider les jeunes en difficulté. Cela forge sa personnalité et son envie d’aider les autres. Lorsqu’il prend ses premières fonctions en France, les conditions de travail lui importent particulièrement, l’optimisation des ressources et l’investissement lui font gravir aisément les échelons. Arrivé au Maroc que son père fuit en 68, Jamel Belahrach a le désir de prendre sa revanche sur les conditions à l’origine dudit départ. Pour lui, il est capital d’établir un contrat social qui préserve la dignité de tous les travailleurs. «Un Smig à 3.000 DH et une couverture sociale obligatoire», lui, il en parle depuis un quart de siècle. C’est enfin là, mais comment s’en réjouir alors que la roue lente du progrès a creusé ses sillons dans la volonté de l’homme ? Reste à souhaiter que le soulèvement citoyen et la mobilisation de l’État à la suite du séisme dévastateur du 8 septembre, relevés par l’auteur, lui redonnent de l’espoir et l’énergie nécessaire pour y croire, malgré tout.

(Mau)Dire la kakistocratie

S’il en a fait les frais depuis des années, cela lui a pris vingt-cinq ans pour en parler sans mâcher ses mots. C’est que le diagnostic est désolant. La kakistocratie, ou le gouvernement par les pires personnes ou par des personnes particulièrement médiocres, reste la règle. «Au Maroc, être compétent ne sert à rien, à moins que l’on soit bien né et bien connecté», dit-il. Cela peut même devenir un obstacle, voire une tare tant on redoute le talent, l’abnégation et la bonne foi. Si Jamal Belahrach admet que c’est un fait universel, en citant d’ailleurs la jalousie d’un ex-directeur dans sa précédente expérience professionnelle en France, il ne peut que relever sa suprématie dans les milieux dirigeants marocains.

Alors que les «Tbarkellah Alik» fusaient de partout, les complots pour l’écarter de tout projet porteur se multipliaient, avec ou sans intérêt direct. Beaucoup de prétendus amis se sont dressés contre lui et sans les citer, Jamal Belahrach dresse le portrait de leur fourberie. «Ma pire expérience, c’est quand on m’a cassé mon rêve de déployer mon talent dans l’entreprise publique», nous confie-t-il amèrement. C’est à partir de là que le doute s’installe dans la tête de l’auteur : aurait-il dû rentrer ?

Repenser la diaspora

Passées la rage et l’amertume, l’auteur est repris par l’envie de trouver des solutions, notamment en ce qui concerne la diaspora. L’expérience du retour au pays, de la discrimination à l’égard des Marocains résidant à l’étranger (MRE), du décalage des mentalités, lui sert actuellement de guide pour le jeune MRE désireux, ou pas, de retrouver la terre des aïeux. Et c’est dans ce but qu’avec des amis, il crée la Maison de la diaspora qui, rassure-t-il, ne veut pas concurrencer les institutions concernées, mais plutôt préparer les Marocains du monde à un retour efficient, alerte et surtout aux attentes réalistes. Il en appelle également les politiques et la société à cesser d’exiger de la diaspora de prouver sa loyauté, car la marocanité n’est pas une injonction, mais un droit inné.

Si Jamal Belahrach est toujours considéré comme faisant partie de la diaspora, après vingt-cinq ans de vie marocaine et d’implication dans les champs social et économique, c’est qu’il y a, en effet, un problème majeur dans la perception des Marocains porteurs d’autres nationalités et qu’il est temps de les voir autrement que comme des pourvoyeurs de devises, arrogants ou impertinents.

Extraits choisis du livre de Jamal Belahrach

Extrait 1 «La segmentation tribale fonctionne encore très bien et les castes sociales se sont développées et renforcées. En fait, pour vivre dans certains segments de la société marocaine, il faut soit jouir d’une notoriété certaine, politique ou économique, être un personnage médiatique, soit être parrainé, soit (et surtout) être bien, bien marié ou bien infiltré dans le camp des nouveaux riches grâce aux phénomènes de boursicotage, immobilier et autres. Les diplômes, la compétence ne servent pas à grand-chose, car ils ne garantissent plus ni la réussite ni la vraie amitié. Au mieux permettent-ils d’intégrer les réseaux des grandes écoles qui continuent à fonctionner malgré tout.

Lieu d’habitation, club fréquenté, poids financier, type de job et d’entreprise, poids médiatique, image externe, etc., sont autant d’attributs qui vous classent sur une échelle et vous mettre en liste d’attente pour être invité dans certains cercles... avec une garantie de réussite puisque les réseaux tournent à plein régime.

La pratique de “l’inceste” économique, culturelle et politique est d’une réalité déconcertante. En toute objectivité, elle ne sévit pas qu’au Maroc, mais chez nous elle est l’alpha et l’oméga de la vie politique, économique, culturelle et sociale. Cette “castisation” de la société réussit très bien à ses membres et à leurs descendants : ils travaillent entre eux, s’entraident, marient leurs enfants pour sauvegarder les intérêts des familles, pour perpétuer l’isolement et la séparation entre ceux qui ont et ceux qui n’ont et n’auront jamais ou si peu.»

Extrait 2«Ils sont français, anglais, belges, italiens, américains, canadiens, espagnols, allemands d’origine marocaine et non pas Marocains de nationalité française, anglaise, belge, italienne... Accepter cette nuance et cette réalité, c’est faire un pas de géant dans l’écriture d’un nouveau narratif qui, enfin, permettra de pacifier la relation avec la diaspora et de construire des politiques plus inclusives et moins intrusives. En fait, plus incitatives.

La marocanité n’est pas une injonction. Elle se vit, elle relève de l’inné. Il n’y a rien à démontrer ou à prouver. Dès lors, la question est de créer l’envie de garder le contact et d’agir avec et pour le pays d’origine. Pour ce faire, il n’y a ni secret, ni recette miracle : Il faut de la confiance, de l’empathie et se sentir en sécurité pour soi et pour ces biens. Les mots sont importants et peuvent préfigurer de futurs comportements et de définitions identitaires et, bien entendu, de stratégies associées.

Politiquement, il est également souhaitable d’adopter une position claire vis-à-vis de la diaspora. Ce serait un acte fort que de dire à ses membres qu’ils sont d’abord les citoyens de leurs pays d’accueil respectifs, dans lesquels ils doivent se conformer aux règles ainsi qu’aux us et coutumes, et qu’ils ne doivent pas pour autant en oublier leur pays d’origine.

Le lien avec le Maroc est indéfectible : sans y être né pour certains, sans y avoir grandi pour d’autres, ce pays avec son histoire, sa monarchie, sa culture, a créé un imaginaire qui est une formidable source de “watanisme” inébranlable.»
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