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Hafsa Bekri-Lamrani invitée de «De choses et d’autres»

Dans «De choses et d’autres», Hafsa Bekri-Lamrani, Professeure de littérature anglaise fait part de ses réflexions sur la place de la langue anglaise dans la société marocaine et répond à la question : l’anglais va-t-il supplanter le français ?

Do you speak english ? Si oui, vous faites peut-être partie des Marocains qui pensent que l’anglais remplacera le français. Et c’est plus qu’un simple souhait fantasque, mais un véritable désir chez les jeunes. C’est en tout cas ce que nous apprend l’enquête commandée par le British Council au Maroc pour mieux comprendre la demande et l’appétit pour la langue anglaise chez la prochaine génération au Maroc. En effet, l’enquête, menée auprès de plus de 1.200 répondants âgés de 15 à 25 ans, montre que les deux tiers des jeunes Marocains croient que l’anglais sera la première langue étrangère du Royaume dans les cinq prochaines années.



Dans «De choses et d’autres», Hafsa Bekri-Lamrani fait part de ses réflexions sur le sujet. Professeure de littérature anglaise et militante de la première heure de la langue de Shakespeare, elle avait pressenti le virage vers l’anglais au décours de la guerre du Golfe. «Je me l’explique par le suivisme de la France lors de la guerre du Golfe. C’était dire “Puisque vous suivez les Américains, alors on va apprendre l’anglais”. Je caricature peut-être, mais c’est ce que j’ai ressenti il y a une trentaine d’années», nous dit-elle. Aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, comment échapper à la suprématie de la langue anglaise, avec la profusion de contenu attrayant dispensé dans cette langue ? Les jeunes en particulier s’y adonnent avec enthousiasme, car «C’est une langue récréative, c’est une langue de cinéma et de musique. En plus, elle est plus accessible», explique l’enseignante.

Mais Hafsa Bekri ne partage pas l’idée selon laquelle le français sera totalement remplacé par l’anglais. Elle se demande même pourquoi renoncer à une langue au profit d’une autre, lorsqu’on a toujours été polyglotte. «On oublie très souvent que du temps de Juba I, on parlait latin et grec dans la cour. Donc il y a cette capacité extraordinaire de la langue amazighe (avant l’arrivée de l’Islam) et aujourd’hui le darija d’absorber des éléments de l’extérieur et de les incorporer à la langue...», souligne Hafsa Bekri. Elle rappelle à juste titre que la connaissance d’une langue, quelle qu’elle soit, nous donne un avantage de taille, celui de connaître la culture de l’autre et, à travers, sa façon de penser. C’est pour l’écrivaine une longueur d’avance et un atout à préserver.

Mais comme le désir de transition vers l’anglais est pressant chez les jeunes, l’État doit y répondre intelligemment. Ce changement, nous explique Hafsa Bekri-Lamrani, ne se fait pas sans préparation ou travail de fond, autrement ce serait dangereux pour l’apprentissage des langues. Pour elle, une politique linguistique judicieuse nous permettrait bien gérer et vivre notre plurilinguisme sans confrontation ou hiérarchisation des langues, comme c’est le cas dans des pays comme la Suisse, le Canada et la Belgique.

Et c’est cette hiérarchie imposée aux jeunes Marocains qui les poussent vers l’anglais. En effet, le français est largement considéré comme la langue de l’élite, héritage d’une ségrégation coloniale qui continue à sévir. Pour Hafsa Bekri, «Quand je parle français, je dis ce que je veux avec. Il y a une différence entre parler français et avoir un esprit “francisé”». Malheureusement, elle confirme qu’une partie de la population manifeste un tel mépris pour le darija, au profit du français qu’elle comprend l’appétence des jeunes Marocains, en particulier des milieux populaires, pour l’anglais.

Pour le bonheur de ceux-là, Hafsa Bekri souligne que le gouvernement ne fait pas la sourde oreille. Plusieurs manifestations émergent du public comme du privé pour accompagner cet intérêt croissant pour la langue anglaise, sans pour autant arracher le Maroc à la francophonie. Pour l’autrice, ce n’est donc pas une supplantation, mais une modernité et une universalité qui s’installe et qui est la bienvenue.
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