Dans la vie, il se joue parfois des ballets tragiques qui font danser l’âme aux rythmes du malheur. La famille Binebine a connu le déchirement le plus total, lorsque le fils aîné est accusé de haute trahison, après le coup d’État manqué de Skhirate, alors que le père sert fidèlement son Monarque. Ce paradoxe, qui aurait conduit quiconque à la folie, a pourtant donné un exemple de résilience rarement vu.
Mais ce n’est pas le cas de toutes les familles de prisonniers politiques. Et dans «La Nuit nous emportera», nous avons une histoire qui se déroule et s’achève autrement. Il ne s’agit pas de Mahi dans ce récit, mais de Sami, un poupon à la peau douce et au visage blanc, constamment accroché aux pans de Mamaya (sa mère) et que la grand-mère (Mama du bled) voudrait transformer en fillette. Il ne s’agit pas non plus de Aziz Binebine, mais d’Abel qui, enrôlé dans l’armée, fait la fierté et le bonheur de la famille. À travers le regard de l’enfant qui voit son monde vriller lorsque son frère disparaît brutalement, l’on palpe la consistance du manque que ressentaient les familles des prisonniers et cette plaie restée ouverte dans la mémoire collective.
Avec sa fidèle amie et servante Johara, Mamaya porte sur ses épaules la charge de ses petits et n’a pour soutien que ce fils aîné qui jamais ne la déçoit. La disparition de celui-ci la fait sombrer dans une dépression, ponctuée de délires, sans l’empêcher de camper aux portes de la prison pour le voir, des années durant. Contrairement aux autres mères, épouses et filles de détenus, elle se refuse de porter l’habit du deuil, avant de rejoindre «les femmes en blanc», pour un ultime cri de révolte.
Abel, lui, est ce personnage lumineux qui n’est que bonté et chevalerie. Son rapport paternel à Sami et sa générosité avec sa mère le rendent tout à fait attachant. À croire que l’auteur le gâte de toutes les qualités, pour que son absence blesse le lecteur, autant que les personnages du roman.
Au-delà de soi
De toute évidence, «La Nuit nous emportera» exorcise quelques démons restés piégés dans l’imaginaire de l’auteur. Mais alors, pourquoi avoir choisi l’autofiction, plutôt que l’autobiographie ? Peut-être parce que tout n’est pas bon à dire, ou parce que Binebine, éternel mutin et vrai conteur, aime à se jouer des frontières entre réalité et fiction. Et il est vrai qu’en romançant son histoire, il en accentue l’aspect littéraire, tout en ouvrant la porte à une interprétation plus universelle. Il y a aussi, peut-être, le désir de parler d’autres familles qui n’ont eu ni le destin ni le même dénouement de l’histoire.
Mais, au-delà de l’histoire, le roman est une réflexion sur la manière dont les absents façonnent la vie des présents, sur l’héritage des drames et la résilience qu’ils imposent... ou pas. C’est également une illustration de la singularité de l’expérience humaine face à l’épreuve, car le frère et les sœurs de Sami mènent une vie bien différente, plus paisible.
Comme à son habitude, Mahi déploie un trésor d’images tendres et joyeuses pour garnir sa succulente narration, mais se suffit de phrasés simples et nus pour pourfendre l’âme du lecteur. «La Nuit nous emportera» est à lire tous sens ouverts, pour en accueillir la beauté comme la douleur...
Mais ce n’est pas le cas de toutes les familles de prisonniers politiques. Et dans «La Nuit nous emportera», nous avons une histoire qui se déroule et s’achève autrement. Il ne s’agit pas de Mahi dans ce récit, mais de Sami, un poupon à la peau douce et au visage blanc, constamment accroché aux pans de Mamaya (sa mère) et que la grand-mère (Mama du bled) voudrait transformer en fillette. Il ne s’agit pas non plus de Aziz Binebine, mais d’Abel qui, enrôlé dans l’armée, fait la fierté et le bonheur de la famille. À travers le regard de l’enfant qui voit son monde vriller lorsque son frère disparaît brutalement, l’on palpe la consistance du manque que ressentaient les familles des prisonniers et cette plaie restée ouverte dans la mémoire collective.
L’absent et la femme en blanc
Si Sami nous raconte son petit monde qui s’élargit à mesure qu’il pousse, il n’a d’yeux que pour sa mère et son frère aîné. Ces deux figures remplissent les pages du roman, façonnant l’univers du petit, par leur présence rassasiante ou leur absence accablante. Mamaya est de ces femmes qui drapent leur tendresse de révolte, une pétarade de douceur et de feu, qui ne vous laisse d’autre choix que de l’aimer.Avec sa fidèle amie et servante Johara, Mamaya porte sur ses épaules la charge de ses petits et n’a pour soutien que ce fils aîné qui jamais ne la déçoit. La disparition de celui-ci la fait sombrer dans une dépression, ponctuée de délires, sans l’empêcher de camper aux portes de la prison pour le voir, des années durant. Contrairement aux autres mères, épouses et filles de détenus, elle se refuse de porter l’habit du deuil, avant de rejoindre «les femmes en blanc», pour un ultime cri de révolte.
Abel, lui, est ce personnage lumineux qui n’est que bonté et chevalerie. Son rapport paternel à Sami et sa générosité avec sa mère le rendent tout à fait attachant. À croire que l’auteur le gâte de toutes les qualités, pour que son absence blesse le lecteur, autant que les personnages du roman.
Au-delà de soi
De toute évidence, «La Nuit nous emportera» exorcise quelques démons restés piégés dans l’imaginaire de l’auteur. Mais alors, pourquoi avoir choisi l’autofiction, plutôt que l’autobiographie ? Peut-être parce que tout n’est pas bon à dire, ou parce que Binebine, éternel mutin et vrai conteur, aime à se jouer des frontières entre réalité et fiction. Et il est vrai qu’en romançant son histoire, il en accentue l’aspect littéraire, tout en ouvrant la porte à une interprétation plus universelle. Il y a aussi, peut-être, le désir de parler d’autres familles qui n’ont eu ni le destin ni le même dénouement de l’histoire.
Mais, au-delà de l’histoire, le roman est une réflexion sur la manière dont les absents façonnent la vie des présents, sur l’héritage des drames et la résilience qu’ils imposent... ou pas. C’est également une illustration de la singularité de l’expérience humaine face à l’épreuve, car le frère et les sœurs de Sami mènent une vie bien différente, plus paisible.
Comme à son habitude, Mahi déploie un trésor d’images tendres et joyeuses pour garnir sa succulente narration, mais se suffit de phrasés simples et nus pour pourfendre l’âme du lecteur. «La Nuit nous emportera» est à lire tous sens ouverts, pour en accueillir la beauté comme la douleur...
