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Le théâtre marocain à l’honneur au SIEL 2025 : un dialogue entre littérature et mise en scène

La 30e édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) a offert, le 21 avril, un espace de dialogue fécond autour des pratiques scéniques contemporaines au Maroc.

Deux rencontres majeures ont rythmé cette journée : la présentation de l’ouvrage «Les enjeux de la mise en scène au Maroc», coordonné par le dramaturge et enseignant Issam El Yousfi, aux côtés du metteur en scène Mahmoud Chahdi, et un échange passionnant sur l’adaptation théâtrale des textes romanesques, à partir du travail du metteur en scène Bousselham Daïf.

Ce dernier s’est chargé de l’interprétation scénique d’un extrait des textes de Mohamed Berrada, qu’il a transposé sur les planches. Une démarche qui appelle à engager un dialogue entre les deux créateurs afin de discuter, d’une part, des possibilités de transformation du texte romanesque en spectacle théâtral et, d’autre part, de mettre en lumière les exigences du romancier et les contraintes du metteur en scène.

Dans un entretien accordé au journal «Le Matin», Bousselham Daïf revient sur son approche artistique et sur l’importance de restituer, sur scène, l’émotion enfouie dans les œuvres littéraires. Pour lui, mettre en scène un roman, c’est avant tout faire entendre les silences du texte, leur donner corps par le jeu, le rythme, le regard.



Ces deux temps forts ont mis en lumière les transformations profondes que connaît le théâtre marocain, tout en rappelant les tensions créatrices entre texte et scène, entre auteur et metteur en scène, entre création et réception. Un dialogue ouvert, essentiel, à l’heure où les pratiques artistiques se renouvellent et cherchent à renouer avec leur public.

Bousselham Daïf, dramaturge et metteur en scène marocain : entre la fidélité au texte et la liberté de création, le théâtre invente un nouvel espace de lecture

Comment avez-vous abordé le défi de transposer un texte romanesque vers une forme théâtrale ?

J’ai travaillé sur deux textes de Mohamed Berrada. Le premier est l’adaptation du roman «Loin du bruit, près du silence», que j’ai transformé en pièce théâtrale sous le titre «Tout pour mon père». Dans ce travail, j’ai bénéficié d’une certaine liberté de création. Le passage d’un registre à un autre implique un changement d’outils, de temporalité et de scénographie, ce qui constitue un véritable défi. Le roman offre une pluralité d’espaces et d’univers : le romancier dispose d’un vaste champ d’expression. J’ai donc tenté de revenir à l’essentiel, en identifiant le fil conducteur de l’œuvre tout en demeurant fidèle à l’esprit et à la pensée qui ont animé l’écriture initiale.

La seconde pièce, «Kalam», est une adaptation d’un texte théâtral de Mohamed Berrada. C’est sur cette trame que s’est construite la version scénique. Bien que j’aie été quelque peu contraint par la langue, j’ai tenté, à l’intérieur même de ces limites, de rendre compte de la diversité des espaces sans tomber dans la littéralité ou la simplification. C’est précisément là que s’exprime la différence entre les deux formes artistiques.

Je crois que cette expérience du passage du roman au théâtre soulève de nombreuses questions essentielles, notamment dans le contexte marocain actuel, où l’on a besoin de créer des passerelles et des dialogues féconds entre écrivains et gens de théâtre.

Comment choisissez-vous les textes à adapter ?

Je cherche toujours à travailler à partir de matériaux variés, qu’ils soient poétiques ou issus d’autres formes d’écriture. Concernant les textes de Mohamed Berrada, j’ai choisi «Tout pour mon père» parce qu’il offrait une matière en lien direct avec notre réalité marocaine. Le second projet, «Kalam», m’a attiré par sa nature expérimentale : c’est un texte pensé dès l’origine pour la scène, ce qui m’a permis d’explorer d’autres voies de mise en scène.

Quels sont les défis pour les metteurs en scène dans le théâtre marocain ?

Je pense que tout projet théâtral porte en lui ses propres enjeux. Le défi est de proposer un théâtre qui interroge, qui provoque, sans céder à la facilité. Il s’agit de trouver un langage scénique fort, capable de créer un lien vivant avec le public, tout en demeurant exigeant sur le fond comme sur la forme.

Mohamed Berrada, romancier et critique littéraire marocain : Le théâtre instaure une interaction directe avec le texte

«Je soutiens pleinement l’adaptation scénique d’extraits littéraires, car elle entretient avec l’œuvre originale des relations à la fois sémantiques et symboliques. Il ne s’agit pas d’une simple opportunité artistique, mais d’un véritable prolongement du texte. Lorsqu’une œuvre est forte, elle offre au metteur en scène la possibilité de restituer un univers vivant, avec une intensité émotionnelle bien plus marquée que celle que permet la seule lecture. La lecture demeure un acte introspectif, une forme de libération intérieure ; le théâtre, quant à lui, instaure une interaction directe avec le texte, lui conférant une vitalité singulière. Il mobilise la mise en scène, la musique, les thématiques – autant d’éléments qui enrichissent et transforment l’œuvre.

Quant à la question de la fidélité au texte original, je dirais qu’il ne s’agit pas dans l’expérience du dramaturge Bousselham Daïf, d’une reproduction littérale. Il ne s’agit pas d’un texte de théâtre à proprement parler, mais plutôt d’une matière qui relève du registre psychologique, offrant ainsi un éclairage nouveau plutôt qu’une transposition stricte.»

Entretien avec Issam El Yousfi, dramaturge, auteur de théâtre et enseignant à l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (Isadac)

Comment est né le livre «Les enjeux de la mise en scène au Maroc» ?

«Les enjeux de la mise en scène au Maroc» est né d’un travail collectif mené dans le cadre du Festival de Tétouan du théâtre professionnel. Il s’appuie sur les échanges riches d’un colloque consacré aux défis actuels que rencontre la mise en scène au Maroc. L’idée était de réunir plusieurs voix issues du théâtre – metteurs en scène, comédiens, auteurs, scénographes – pour débattre de ces transformations à partir de leurs propres expériences.

Quels étaient les axes de réflexion proposés ?

Nous avions défini plusieurs axes majeurs : la relation du metteur en scène avec les comédiens, avec l’auteur dramatique, avec le scénographe, mais aussi avec le public. Chaque intervenant s’est exprimé selon sa sensibilité et son parcours, ce qui a permis de croiser des approches très variées et complémentaires.

Pourquoi avoir voulu en faire un livre ?

Il nous a semblé essentiel de conserver une trace de ces réflexions. Ce livre a donc aussi une vocation documentaire et pédagogique. Il s’adresse aux jeunes chercheurs, aux étudiants, mais aussi aux professionnels désireux de mieux comprendre les enjeux de la création scénique aujourd’hui au Maroc.

Quels sont, selon vous, les principaux défis pour la mise en scène marocaine actuelle ?

Ils sont nombreux. L’un des plus importants concerne la relation du metteur en scène à l’imaginaire, notamment à travers l’usage croissant des technologies : vidéo, son, images numériques... Ces outils peuvent enrichir la mise en scène, mais leur mauvaise utilisation peut affaiblir l’essence du théâtre, qui reste avant tout un art du vivant, de la présence, du partage immédiat entre la scène et la salle.

Et concernant la relation entre metteur en scène et auteur ?

C’est un autre enjeu fondamental. Jusqu’où le metteur en scène peut-il interpréter une œuvre sans en trahir l’esprit ? Comment valoriser le texte, les personnages, la dramaturgie, tout en proposant une lecture singulière ? Ce dialogue, parfois tendu, entre écriture dramatique et écriture scénique, soulève de vraies questions artistiques et éthiques.

La relation au public est-elle aussi un sujet de préoccupation ?

Absolument. Le théâtre souffre, aujourd’hui, d’un déficit d’audience. Salles vides, représentations gratuites, manque de diffusion : autant de signes d’une crise. Cela oblige les metteurs en scène à repenser leur manière de créer, à aller vers de nouveaux espaces, à renouer un lien de proximité avec les spectateurs. Mais ce travail ne peut être assumé par les artistes seuls.

Quel rôle peut jouer l’État dans ce contexte ?

L’État a une responsabilité majeure : il doit accompagner la structuration du secteur, soutenir la diffusion, valoriser les infrastructures, favoriser la médiation culturelle. Ce n’est qu’en conjuguant les efforts des artistes, des institutions et des politiques publiques que le théâtre marocain pourra pleinement jouer son rôle dans l’espace social et culturel.

Un dernier mot sur le livre ?

Nous avons tenté d’éclairer quelques facettes de cette thématique vaste et complexe. Ce livre est une invitation à poursuivre le débat, à nourrir une pensée collective sur l’art de la mise en scène et ses mutations dans notre société.

Explications de Mahmoud Chahdi, metteur en scène

Les enjeux actuels de la mise en scène, tels qu’analysés dans le livre «Les enjeux de la mise en scène au Maroc. Interventions du colloque intellectuel», consistent principalement à examiner la relation complexe que la mise en scène entretient avec les divers acteurs de la création théâtrale, à savoir les auteurs, les critiques, les comédiens, mais également à interroger la relation avec le public, une dimension essentielle du théâtre qui mérite une attention particulière. Ce livre recueille les témoignages de 27 metteurs en scène, auteurs et comédiens, apportant une réflexion approfondie sur ces enjeux dans le cadre du Festival national du théâtre de Tétouan, lors de sa 23e édition.

Ainsi, ce livre, tout en retraçant ces témoignages, questionne de manière globale cette relation entre les divers acteurs de la scène théâtrale. Il représente également une initiative de partage de ces réflexions avec les chercheurs et le public, se positionnant comme un ouvrage pionnier au Maroc, dans la mesure où il analyse la pratique théâtrale à travers le regard des praticiens eux-mêmes.

Le constat majeur qui en découle est que la diversité de la pratique théâtrale au Maroc est particulièrement riche. En effet, elle se manifeste à travers une pluralité de répertoires et d’approches. Le théâtre marocain conjugue des traditions, un riche patrimoine, tout en intégrant des expérimentations modernes et une ouverture sur le monde. Cette diversité est au cœur de son rayonnement à l’international. Toutefois, cette dynamique ne peut se réaliser que grâce à des institutions, telles que l’l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (Isadac), qui forment les jeunes aux différentes pratiques théâtrales, ainsi qu’à l’existence d’ateliers et d’associations dédiées à la jeunesse. L’engagement institutionnel en faveur du soutien à la création, de même que l’intérêt croissant du public pour cette diversité jouent également un rôle crucial. Tant que ces soutiens seront présents, le théâtre marocain continuera à se développer et à prospérer.
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