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Nabil Mouline au «Book Club Le Matin» : Les Drapeaux du Maroc

Connaissez-vous l’Histoire du drapeau marocain ? Si l’emblème est considéré, aujourd’hui, comme le symbole national par excellence, son Histoire est empreinte de passion, de lutte idéologique et de guerre de pouvoir. Dans le cadre des rencontres «Ramadanyate», le «Book Club Le Matin» a reçu l’historien et politologue Nabil Mouline pour présenter son livre passionnant «Drapeaux du Maroc», paru aux éditions Sochepress.

Alors que le plus grand nombre de Marocains fixait l’écran pour soutenir le Onze national, un groupe de bouquineurs préféraient découvrir l’Histoire du symbole préféré de tous les supporters : le Drapeau rouge frappé d'un pentagramme vert, cet artefact qui a pour effet de galvaniser les Marocains en toute occasion. Et c’est un véritable voyage dans le temps, où les symboles ont joué un rôle crucial dans l'Identité nationale, que nous propose Nabil Mouline dans les pages de son livre.

D’emblée, le chercheur nous apprend que, durant des siècles, «le drapeau désignait le centre du pouvoir, le cœur du système politique, l’institution la plus éminente d’un terroir donné. Il reflète donc non pas un emblème de consensus populaire, mais plutôt une frontière entre gouvernant et gouvernés». La longue et riche Histoire du Royaume justifie alors un remaniement fréquent dudit symbole, avant d’être sacré emblème de la Nation.

Un drapeau victorieux

Pour relater l’Histoire du drapeau au Maroc, Nabil Mouline remonte aux premiers artefacts connus. Cela commence par les Almoravides, qui vont être «à l’origine de la première entreprise unificatrice et monopolistique de l’Histoire du Maroc. C’est-à-dire, créer un État centralisé politiquement, unifié culturellement et religieusement, à partir d’une capitale unique : Marrakech, la cité de Dieu. Et ils vont adopter dès les premières années de leur règne toute la panoplie légitimatrice», dont le drapeau noir des Abbassides auxquels ils prêteront allégeance pour régner sur l’Occident musulman.



Les Almohades, en rupture avec le règne Almoravides, vont adopter un drapeau blanc qu’ils appelleront le «Victorieux» et qui portera des broderies rappelant l’idéologie fondamentale : «Il n'y a de Dieu qu'Allah, Mohammed est Son Prophète et Al Mahdi est le porte-parole d'Allah». Le «Victorieux» traversera les siècles et les dynasties, même lorsque les Saadiens s’allieront aux Turcs pour renforcer leur pouvoir. Ahmad Al Mansour hissera à nouveau le drapeau blanc pour marquer l’affranchissement de son règne de la tutelle.



Mais la Dynastie Alaouite va rompre avec le drapeau victorieux, en empruntant la couleur verte répandue dans les Zaouïas. Plus tard, à la prise de Rabat, Moulay Rachid est fasciné par les pavillons des corsaires de Rabat. Il va donc opter pour la couleur rouge pour désigner le pavillon de la dynastie. Progressivement, le drapeau rouge évolue pour devenir un emblème terrestre de la souveraineté marocaine.

Le pentagramme vert

L'émergence de l'État-Nation en Europe entre le XVIe et le XVIIIe siècle a engendré des bouleversements majeurs dans le monde, notamment en ce qui concerne les symboles traditionnels des institutions. «À Partir du 18e siècle, le drapeau ne représente plus la centralité de la dynastie, mais les valeurs, les ambitions et la continuité de toute une Nation», explique Nabil Mouline.

Le drapeau actuel du Maroc, quant à lui, a vu le jour en 1915, à la suite d'un compromis entre les autorités protectorales et la Monarchie. Après deux ans et demi de négociations intenses, «on va décider d’un commun accord entre les fonctionnaires de la résidence générale et les représentants du Makhzen, notamment le grand vizir Mohamed Elmoqri de maintenir le drapeau rouge, mais ajouter une étoile verte à cinq branches et ce symbole existait déjà dans les différents artefacts depuis le VIIIe siècle», détaille le chercheur...

Si ce drapeau est rejeté par les premiers résistants, les générations suivantes s’en sont emparées pour se l’approprier. «Quand le nationalisme va se consolider dans les années 1940, le drapeau rouge s’impose non seulement comme le drapeau étatique, mais également comme drapeau national, en plus d’être un symbole populaire par excellence».

Un symbole identitaire

Symbole fort adopté par tous les Marocains en diverses occasions, le drapeau fait aujourd’hui consensus. Nabil Mouline ne pouvait pas passer à côté de ce phénomène intéressant, qui dit un rapport nouveau du peuple à la Nation. «Depuis une quinzaine d’années maintenant, on assiste à l’émergence de ce que j’appelle l’ipséité, c’est-à-dire la conscience de soi, parmi les Marocaines et les Marocains. On est entrés de plain-pied dans l’ère de l’État-Nation. On arrive à s’identifier à un territoire, à une histoire et à des traditions», explique Mouline. Ces traditions, qui ne sont ni très précises, ni systématisées, donnent lieu à ce que le chercheur appelle «une Identité nationale en creux». Cela se traduit par «un sentiment d’appartenance que l’on veut exprimer, mais on n’y arrive pas. Parce que, depuis l’Indépendance, les élites ont été incapables de formuler des projets qui permettent au plus grand nombre de s’identifier», ajoute-t-il.

Dans la recherche des populations de s’identifier en dehors de l’État, «les carcans du vingtième siècle sot incapables de créer un consensus. Car la “check-list” identitaire repose sur des éléments linéaires simplistes et exclusivistes», affirme Mouline qui invite à une relecture/réécriture scientifique et dépassionnée de l’Histoire pour donner corps et consistance à ce lien qui nous unit.
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