Le Matin : Le théâtre au Maroc connaît une effervescence notable dernièrement. Mais l’état des lieux reste confus. Quel bilan en faites-vous ?
Bousselham Daïf : Le théâtre est un art assez fragile au Maroc, depuis la situation de l’artiste au contexte de la pratique théâtrale, qui est occasionnelle et totalement dépendante d’une source unique, celle du soutien du ministère de la Culture. Cela étant dit, on ne peut nier qu’il y a un changement réel qui s’opère, malgré une crise sanitaire terrassante. Les prémices de ce changement remontent déjà au gouvernement de l’Alternance qui a créé le Fonds d’aide et, depuis, chaque gouvernement, chaque ministre a apporté sa touche personnelle, sans opérer de changement radical.
Comment apporter un changement réel ?
Il faut déjà étudier la conception que l’on a du théâtre. Le voit-on comme un art porteur d’une culture et qui véhicule une pratique s’intégrant à la société, jusqu’à dans sa politique et son économie, ou alors le considère-t-on seulement comme un divertissement occasionnel ? C’est de cette conception que découle la démarche politique. Je pense, pour ma part, qu’il faut intégrer le théâtre dans une politique globale qui dépasse le champ d’action du seul ministère de la Culture. En outre, ce dernier gère les subventions et les aides, mais ne pourvoit pas de vision culturelle structurante.
Les lieux physiques sont-ils suffisants ?
L’infrastructure est encore flageolante, que ce soit au niveau des statuts juridiques qui gèrent la pratique théâtrale, ou au niveau des salles de représentation. Pour info, le seul théâtre qui a un statut en tant que tel, c’est le Grand Théâtre Mohammed V, mais il ne joue malheureusement pas son vrai rôle. Car sa mission véritable ne se limite pas à Rabat ni à être un simple lieu de représentation. Et c’est dommage, car il peut changer beaucoup de choses dans la pratique théâtrale au Maroc. Le reste des salles n’a pas le statut juridique de théâtre. Ce sont des salles polyvalentes qui peuvent accueillir des concerts de musique, des manifestations politiques et d’autres spectacles. Avoir un statut juridique les dotera d’un budget de fonctionnement et de création, d’une billetterie et surtout d’une vision. D’où l’intérêt de revoir ces statuts qui gèrent la pratique théâtrale. Il en résultera une décentralisation capitale, car dans chaque région, il y a des comédiens locaux qui ne quitteraient pas leur ville pour aller à Casablanca ou à Rabat. Ils préféreront largement une pratique théâtrale régionale, plus proche de leur public et de leur contexte culturel.
Quid des comédiens ?
Bien que l’on n’ait qu’un seul centre de formation public, je pense qu’au Maroc il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes comédiens talentueux, lauréats de l’Isadac (Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle), mais aussi issus de conservatoires ou d’ateliers de formation. Sauf que l’espace théâtral n’arrive pas à tous les intégrer, car la pratique n’est pas permanente. Alors, pour la plupart, le théâtre reste un tremplin, en attendant d’aller vers la télévision et le cinéma, où les opportunités peuvent être plus intéressantes.
À votre avis, comment gagner et fidéliser
le public ?Il faut des salles de théâtre qui tournent en permanence, avec un budget de création, de représentation et de promotion, mais surtout avec des gestionnaires qui travaillent en parallèle à ramener le public. C’est de cette permanence que naîtra la fidélisation. D’un autre côté, il faut installer le concept de résidence. C’est-à-dire qu’un lieu ne se limite pas à recevoir une troupe de façon ponctuelle. Personnellement, je trouve mauvais le concept de tournée théâtrale, tel qu’il est pratiqué au Maroc. Ce passage en coup de vent d’une ville à l’autre ne bénéficie ni à la troupe ni aux salles de théâtre. En revanche, si chaque pièce reste entre une semaine et un mois dans un lieu, cela permettra à la troupe de travailler avec le public de la ville et donc de le fidéliser.
Comment le théâtre peut-il s’émanciper de la dépendance de l’État ?
D’abord, je tiens à souligner que nous avons l’avantage au Maroc d’avoir une pratique théâtrale totalement libre, même lorsqu’on dépend du soutien financier du ministère de la Culture. C’est-à-dire que nous n’avons pas la dépendance qu’il y a dans certains pays. Maintenant, le théâtre ne peut pas se suffire du seul Fonds du ministère. Il faut d’abord doter les théâtres de statut et donc de budget de création. Ensuite, les troupes doivent aller chercher des fonds au niveau des régions, puis, dans un troisième temps, trouver des investisseurs privés. Mais ceux-là ne suivront que lorsque la permanence de création et de représentation sera installée.
On a l’impression que le théâtre aujourd’hui est cantonné dans la comédie...Il est vrai qu’à une époque il y avait un théâtre amateur plus riche, né d’un mouvement d’associations, de maisons de jeunes et à l’université. Ce théâtre-là avait bien un public, mais qui ne payait pas pour assister et, à mon avis, la gratuité lui a desservi. Aussi, la télévision a joué un rôle important dans la popularisation du théâtre standard, négligeant les autres expériences théâtrales. Mais ce n’est pas tant la diffusion des pièces qui est en mesure d’encourager le théâtre, car l’expérience de l’art vivant est inaccessible à la représentation sur petit écran. Pour moi, la télé est en mesure d’apporter une aide inestimable en dédiant dix minutes par jour au théâtre. Cela servirait à promouvoir le théâtre de façon pérenne et influencera le public. Après, filmer des pièces de théâtre est toujours bon pour documenter ce patrimoine.
Que pensez-vous des grands théâtres et de leur fonctionnement ?
Tout comme le Maroc a grand besoin de théâtre de proximité, il a besoin de grands théâtres, tels ceux de Casablanca et de Rabat, et ce pour les spectacles d’envergure et les événements majeurs. Et comme les enjeux ne sont pas les mêmes, il leur faut une politique de gestion très différente, ainsi que des équipes artistiques et techniques de très haut niveau. Je pense que nous avons les ressources et les compétences nécessaires pour gérer ces espaces, mais il faut les mettre en exercice pour les rendre efficientes.
Bousselham Daïf : Le théâtre est un art assez fragile au Maroc, depuis la situation de l’artiste au contexte de la pratique théâtrale, qui est occasionnelle et totalement dépendante d’une source unique, celle du soutien du ministère de la Culture. Cela étant dit, on ne peut nier qu’il y a un changement réel qui s’opère, malgré une crise sanitaire terrassante. Les prémices de ce changement remontent déjà au gouvernement de l’Alternance qui a créé le Fonds d’aide et, depuis, chaque gouvernement, chaque ministre a apporté sa touche personnelle, sans opérer de changement radical.
Comment apporter un changement réel ?
Il faut déjà étudier la conception que l’on a du théâtre. Le voit-on comme un art porteur d’une culture et qui véhicule une pratique s’intégrant à la société, jusqu’à dans sa politique et son économie, ou alors le considère-t-on seulement comme un divertissement occasionnel ? C’est de cette conception que découle la démarche politique. Je pense, pour ma part, qu’il faut intégrer le théâtre dans une politique globale qui dépasse le champ d’action du seul ministère de la Culture. En outre, ce dernier gère les subventions et les aides, mais ne pourvoit pas de vision culturelle structurante.
Les lieux physiques sont-ils suffisants ?
L’infrastructure est encore flageolante, que ce soit au niveau des statuts juridiques qui gèrent la pratique théâtrale, ou au niveau des salles de représentation. Pour info, le seul théâtre qui a un statut en tant que tel, c’est le Grand Théâtre Mohammed V, mais il ne joue malheureusement pas son vrai rôle. Car sa mission véritable ne se limite pas à Rabat ni à être un simple lieu de représentation. Et c’est dommage, car il peut changer beaucoup de choses dans la pratique théâtrale au Maroc. Le reste des salles n’a pas le statut juridique de théâtre. Ce sont des salles polyvalentes qui peuvent accueillir des concerts de musique, des manifestations politiques et d’autres spectacles. Avoir un statut juridique les dotera d’un budget de fonctionnement et de création, d’une billetterie et surtout d’une vision. D’où l’intérêt de revoir ces statuts qui gèrent la pratique théâtrale. Il en résultera une décentralisation capitale, car dans chaque région, il y a des comédiens locaux qui ne quitteraient pas leur ville pour aller à Casablanca ou à Rabat. Ils préféreront largement une pratique théâtrale régionale, plus proche de leur public et de leur contexte culturel.
Quid des comédiens ?
Bien que l’on n’ait qu’un seul centre de formation public, je pense qu’au Maroc il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes comédiens talentueux, lauréats de l’Isadac (Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle), mais aussi issus de conservatoires ou d’ateliers de formation. Sauf que l’espace théâtral n’arrive pas à tous les intégrer, car la pratique n’est pas permanente. Alors, pour la plupart, le théâtre reste un tremplin, en attendant d’aller vers la télévision et le cinéma, où les opportunités peuvent être plus intéressantes.
À votre avis, comment gagner et fidéliser
le public ?Il faut des salles de théâtre qui tournent en permanence, avec un budget de création, de représentation et de promotion, mais surtout avec des gestionnaires qui travaillent en parallèle à ramener le public. C’est de cette permanence que naîtra la fidélisation. D’un autre côté, il faut installer le concept de résidence. C’est-à-dire qu’un lieu ne se limite pas à recevoir une troupe de façon ponctuelle. Personnellement, je trouve mauvais le concept de tournée théâtrale, tel qu’il est pratiqué au Maroc. Ce passage en coup de vent d’une ville à l’autre ne bénéficie ni à la troupe ni aux salles de théâtre. En revanche, si chaque pièce reste entre une semaine et un mois dans un lieu, cela permettra à la troupe de travailler avec le public de la ville et donc de le fidéliser.
Comment le théâtre peut-il s’émanciper de la dépendance de l’État ?
D’abord, je tiens à souligner que nous avons l’avantage au Maroc d’avoir une pratique théâtrale totalement libre, même lorsqu’on dépend du soutien financier du ministère de la Culture. C’est-à-dire que nous n’avons pas la dépendance qu’il y a dans certains pays. Maintenant, le théâtre ne peut pas se suffire du seul Fonds du ministère. Il faut d’abord doter les théâtres de statut et donc de budget de création. Ensuite, les troupes doivent aller chercher des fonds au niveau des régions, puis, dans un troisième temps, trouver des investisseurs privés. Mais ceux-là ne suivront que lorsque la permanence de création et de représentation sera installée.
On a l’impression que le théâtre aujourd’hui est cantonné dans la comédie...Il est vrai qu’à une époque il y avait un théâtre amateur plus riche, né d’un mouvement d’associations, de maisons de jeunes et à l’université. Ce théâtre-là avait bien un public, mais qui ne payait pas pour assister et, à mon avis, la gratuité lui a desservi. Aussi, la télévision a joué un rôle important dans la popularisation du théâtre standard, négligeant les autres expériences théâtrales. Mais ce n’est pas tant la diffusion des pièces qui est en mesure d’encourager le théâtre, car l’expérience de l’art vivant est inaccessible à la représentation sur petit écran. Pour moi, la télé est en mesure d’apporter une aide inestimable en dédiant dix minutes par jour au théâtre. Cela servirait à promouvoir le théâtre de façon pérenne et influencera le public. Après, filmer des pièces de théâtre est toujours bon pour documenter ce patrimoine.
Que pensez-vous des grands théâtres et de leur fonctionnement ?
Tout comme le Maroc a grand besoin de théâtre de proximité, il a besoin de grands théâtres, tels ceux de Casablanca et de Rabat, et ce pour les spectacles d’envergure et les événements majeurs. Et comme les enjeux ne sont pas les mêmes, il leur faut une politique de gestion très différente, ainsi que des équipes artistiques et techniques de très haut niveau. Je pense que nous avons les ressources et les compétences nécessaires pour gérer ces espaces, mais il faut les mettre en exercice pour les rendre efficientes.