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Touria Hadraoui à «Ramadanyate Book Club»

À Casablanca, sous la Coupole du Parc de la Ligue arabe, une ambiance feutrée enveloppait la scène où quelques dizaines de spectateurs s’étaient réunis pour une rencontre pas comme les autres. Samedi 15 mars, «Ramadanyate Book Club» a invité la diva Touria Hadraoui pour une rencontre autour de son parcours, détaillé dans son livre «En quête d’une voix», paru chez Virgule Éditions. À cette occasion, l’artiste a donné à entendre, a cappella, l’extrait d’un texte soufi, deux Qsidas du Melhoun et un passage de musique andalouse.

Un public éclectique, composé d’amateurs de patrimoine arabo-andalou, de passionnés de Melhoun et de chant soufi, mais aussi d’étrangers curieux de la richesse du patrimoine marocain, a rempli l’espace magique de la coupole pour se laisser charmer par la puissance vocale et la spontanéité de la chanteuse. C’est que Touria Hadraoui ne mâche pas ses mots. Elle se dit en mots simples et sans filtre, consciente de la grandeur que sa voix véhicule et confiante dans le patrimoine qu’elle sublime.

La comédienne Salma Naguib a ouvert la rencontre par un extrait choisi de l’autobiographie de l’artiste. Il décrivait la découverte de la jeune Touria de sa propre puissance vocale. Dès lors, la jeune fille se cache de sa famille pour chanter et dompter sa voix. «Je me cachais de ma famille pour chanter. Pourtant, à l’époque, toutes les femmes chantaient. Dans toutes les familles, on trouvait des instruments pour accompagner les chants et les danses populaires. Cela dit, je ne chante toujours pas en famille, même maintenant», confie-t-elle sans pouvoir se l’expliquer.



Pour s’assurer d’avoir un public, les fêtes de l’école étaient son arène. Elle était de toutes les manifestations culturelles où une scène s’offrait à elle. C’est à cette époque qu’elle s’éprit de la voix d’Oum Kalthoum, dont elle apprit les textes diffusés à la radio. Plus tard, lorsqu’elle rejoignit l’université pour des études de philosophie, son talent l’amena à rencontrer d’autres artistes pratiquant d’autres genres musicaux. Une première tentative de se produire à la radio nationale se solda par un échec, mais Touria ne cessa pas de chanter...

Un engagement assumé

Touria Hadraoui n’est pas seulement une voix, elle est aussi une femme de conviction. Pourtant, «c’est la musique qui a rythmé mes pas», dit-elle, et c’est sa voix qui a façonné son parcours politique, artistique et personnel. Son éveil politique remonte donc à l’université, lorsqu’elle fréquente l’Université et l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM). Dans ces cercles engagés, elle découvre les chants de Cheikh Imam et plus tard ceux de Marcel Khalifé, qui influencent profondément son rapport à la musique. «Je ne pouvais imaginer qu’il y ait des chants aussi puissants qui pouvaient émouvoir de la sorte», se remémore la chanteuse. Commence ainsi un nouveau chapitre durant lequel Touria s’imprègne de la pensée progressiste.

Un bref passage sur les bancs de l’école, en tant que professeure, lui fait réaliser qu’elle se trompe de chemin. «Quelle philosophie nous enseignait-on à la fac ? C’est après l’université que j’ai vraiment lu la philosophie. Je n’avais pas assez d’expérience de vie à partager avec les élèves. Maintenant, par contre, si !», exprime l’artiste.

Mais le militantisme de Touria ne se limite pas à la musique. Journaliste, elle signe des articles incisifs dans la revue «Kalima», plusieurs fois censurée, témoignant d’une plume acérée et d’une passion pour le combat féministe et social. «J’avais une sorte de don qui poussait les gens à s’ouvrir à moi et à me confier des choses puissantes. J’avais fait un reportage à Sidi Abderrahmane et un autre sur la prostitution dans les années 80. Je réalise que le journalisme m’a permis de me rapprocher des gens», confie-t-elle. Aujourd’hui, son engagement pour la justice et pour l’égalité ne s’est pas amoindri. Il prend des formes plus subtiles, plus artistiques.

Rencontre avec le destin

Dans la vie de tout un chacun, il y a des rendez-vous avec le destin. Certains passent à côté, mais pas Touria. Lorsqu’elle découvre le Melhoun, en accompagnant une amie chez son maître, elle comprend qu’elle se trouve au début de la voie tant cherchée. Car si Touria chantait très bien, «je n’avais pas ma musique propre et je n’allais pas chanter les chansons des autres. Oum Kalthoum se suffisait à elle-même», tranche-t-elle. Cet art poétique ancestral, par contre, avait besoin d’un messager. Traditionnellement réservé aux hommes, ce «soleil levant dans une caverne sombre» s’offre à elle, avec le maître pour guide absolu, et l’amène à tout quitter pour s’y consacrer. «Cela m’a pris plus d’un an pour poser ma voix. C’est que le chant oriental avait modelé ma façon de chanter, et il fallait que je me réapproprie ma voix», explique-t-elle.

Touria s’investit alors corps et âme pour comprendre le Melhoun, l’incarner et le faire vivre au-delà des frontières. «Je me souviens des premières soirées privées où j’ai chanté pour des amis : Fatima Mernissi, Abderrahmane Tazi, Abdallah Zriqa. Tout le monde s’émerveillait de cet art incroyable», évoque l’artiste. Poussée par cet entourage de lettrés et d’artistes, Touria Hadraoui se donne pour mission de porter le Melhoun au loin. Fière de ce patrimoine merveilleux, d’une richesse inégalée, Touria va le montrer au monde. En collaborant avec des musiciens de tous horizons et des orchestres classiques prestigieux, elle sublime ce répertoire séculaire tout en y insufflant une nouvelle énergie. «Je suis pour la préservation des patrimoines musicaux, mais l’on peut s’ouvrir à la modernité pour leur permettre de survivre. Il ne faut pas oublier que lorsque les qsidas ont été écrites, elles étaient éminemment modernes et d’actualité». Et d’ajouter : «Les musiciens marocains doivent se frotter à d’autres genres de musiques pour mieux interpréter et magnifier le Melhoun».

En attendant, la voix de Touria est là pour faire voyager un patrimoine marocain séculaire au cœur des capitales de la musique occidentale et bien au-delà...
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