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Aide au logement : les raisons d'un démarrage "raté" selon Anice Benjelloun

Censé relancer le secteur tout en soutenant le pouvoir d’achat des primo-acquéreurs, le nouveau programme d’aide directe au logement, lancé en janvier dernier, peine à décoller. Invité de l’émission «L’Info en Face» de «Groupe Le Matin», Anice Benjelloun, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers, livre son analyse.

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Cinq mois après son lancement, le nouveau programme d’aide au logement, mis en place par l’actuel gouvernement, piétine. Le qualificatif, employé par le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baïtas, reflète le retard dans l’avancement de ce chantier : au 9 mai dernier, 8.500 dossiers seulement avaient reçu l’aval des autorités pour bénéficier de l’aide directe de l’État pour l’acquisition de logements, alors que 65.000 demandes ont été déposées sur la plateforme «Daam Sakane». Pourquoi ce programme n’a pas connu, dès son lancement, le même succès fulgurant que l’ancien programme de logements sociaux, lancé en 2010 ? D’autant que 75% des demandes déposées le sont pour les logements à moins de 300.000 DH.
Même en l’absence d’un observatoire de l’immobilier, Anice Benjelloun, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), invité de l’émission «L’Info en Face» de «Groupe Le Matin», révèle quelques chiffres qui expliqueraient ce retard. «Les recettes des taxations des communes et des Agences urbaines ont baissé de 50 à 80% dans certaines Agences urbaines, selon nos investigations.



Idem en ce qui concerne les droits perçus par l’Agence nationale de la conservation foncière», souligne-t-il. Cela veut dire qu’il y a eu un recul du nombre d’autorisations de mise en chantier en 2023. Cette baisse serait aux alentours de 50%, selon notre invité. Et pour cause, «il n’y a plus de projets structurants qui sont autorisés dans les grandes agglomérations. Il y a donc un problème», explique M. Benjelloun.

Faible engouement des promoteurs immobilier

Si la demande est au rendez-vous pour ce nouveau programme d’aide directe au logement, pour notre invité, le retard accusé par le nouveau programme d’aide au logement est donc le résultat de cette baisse de l’activité. Pourquoi alors ce manque d’engouement de la part des promoteurs immobiliers ? La réponse de M. Benjelloun est simple : ce n’est pas rentable ! Et il est hors de question de produire à perte. «Dans le cadre de ce nouveau programme, les promoteurs immobiliers doivent s’acquitter de différentes taxes, impôts et droits (36.000 DH pour un logement de 300.000 DH), ce qui n’était pas le cas dans l’ancien programme de logements sociaux. Si on ajoute à cela la TVA et l’IS, ce que touche réellement le promoteur immobilier varie entre 240.000 et 250.000 DH maximum, contre 294.000 DH dans l’ancien programme. Le tout en prenant en compte que, 14 ans après l’ancien programme, le prix du foncier a plus que doublé et que celui des matériaux de construction a connu une hausse spectaculaire». Et d’ajouter : «Nous adhérons au nouveau programme et sommes solidaires avec le gouvernement actuel, mais nous avons des difficultés». Parmi celles-ci, l’invité de l’émission cite les dispositions extrêmement contraignantes mises en place par les Agences urbaines et les communes. «Sans parler des nouvelles taxations parafiscales, mises en place en 2024 par certaines régies», souligne-t-il.



Pour notre expert en immobilier, le succès d’un programme d’aide au logement se mesure par le nombre d’unités construites. Ainsi, rappelle-t-il par exemple, dans le cadre de l’ancien programme de logements sociaux, le secteur réalisait plus de 60.000 unités par an. La question à se poser donc est, selon M. Benjelloun, de savoir combien ont été réalisées jusqu’ici dans le cadre de l’actuel programme d’aide directe au logement (depuis le 1er janvier 2024) et combien de logements sont en cours d’autorisation. Seuls ces chiffres renseigneront sur la réussite ou pas de ce démarrage, pas le nombre de dossiers ayant reçu l’aval des autorités pour bénéficier de l’aide directe au logement.

Car pour le vice-président de la FNPI, il est clair que ces dossiers acceptés portent sur des logements construits avant le démarrage du nouveau programme : «Il est impossible de réaliser un projet en 4 mois», a-t-il rappelé. De plus, explique-t-il, l’éligibilité concerne des logements dont le permis d’habiter a été obtenu à partir du 1er janvier 2023, alors que le programme lui-même n’a démarré qu’en janvier 2024. Or, souligne M. Benjelloun, la relance de ce secteur, espérée à travers ce nouveau programme, ne peut être obtenue que par la réalisation de nouveaux projets. À condition de lever les contraintes qui empêchent les promoteurs immobiliers de construire pour ce nouveau programme.

Foncier, prix des matériaux et lourdeurs administratives plombent les acteurs

La première d’entre elles est le coût du foncier. Viennent ensuite les prix des matériaux de construction et les difficultés administratives. «Il y a des leviers qui sont plus faciles à actionner que d’autres», reconnaît cependant M. Benjelloun. Et la parafiscalité en est un. «Est-ce que c’est aux promoteurs de s’acquitter des taxes parafiscales sur les eaux pluviales ?» se demande notre invité. Cette taxe est, par exemple, de l’ordre de 400.000 DH par hectare à Rabat, soit 3.000 à 4.000 DH par logement, et de 100.000 DH à Marrakech.

Autres contraintes qu’il serait facile de lever selon M. Benjelloun, celles liées à l’urbanisme. «Par exemple, il y a des équipements qui sont prévus dans les plans d’aménagement urbains. Leur taux de réalisation par les services concernés n’est que de 5 à 10%, soit une perte foncière allant jusqu’à 90%. Alors que ces équipements ne sont pas réalisés, l’Agence urbaine vous impose d’en réaliser d’autres (mosquée, école...)». De plus, partage-t-il, la méthode de calcul de ces équipements diffère d’une Agence urbaine à une autre, alors que les textes qui régissent le secteur sont clairs.

Quoi qu’il en soit, la situation est telle aujourd’hui, explique M. Benjelloun, que même des acteurs comme Al Omrane, qui est une entreprise publique, a du mal à suivre dans le cadre de ce nouveau programme alors qu’elle a accès à un foncier dont le prix est relativement raisonnable. La solution ? Des ajustements, répond l’invité de «L’Info en Face».

Les ajustements que les professionnels attendent

La solution : aligner tous les intervenants sur le même objectif pour débloquer la situation. «Il faut plus de 200 signatures tout au long du processus de réalisation d’un projet immobilier. C’est compliqué et harassant ! Obtenir une autorisation de construire nécessite entre 6 mois et un an et demi. En soi, c’est une anomalie. Or le temps coûte de l’argent (crédits bancaires et autres engagements)», fait remarquer notre expert pour qui la facilitation des procédures administratives est primordiale pour raccourcir les délais de production. Autre recommandation, que les plans d’aménagement évoluent, qu’il y ait plus de verticalité et qu’ils soient conçus avec une vision sur un siècle ou deux. Par ailleurs, préconise M. Benjelloun, il faut une stabilité réglementaire dans le secteur.

L’urbanisme actuel soulève aussi des questions. «Est-ce que les maisons construites dans les petites et moyennes villes sont des modèles à dupliquer ? Est-ce agréable à voir, à vivre ? Chaque quartier devrait disposer d’un véritable poumon. Est-ce qu’il y a de véritables espaces verts ? Tout cela n’est pas du ressort du promoteur immobilier. Et puis quel est le sens économique de demander à un promoteur immobilier de construire des hammams ou des douches qui ne se vendent pas ?», se demande M. Benjelloun pour qui le promoteur ne peut pas tout faire à la place de l’État.

C’est pourquoi, assure notre invité, la FNPI est disposée à se rasseoir à la même table avec le gouvernement afin de trouver des solutions concrètes et des ajustements capables d’accélérer le rythme du nouveau programme d’aide directe au logement et de relancer réellement le secteur. Car il y a trop d’intervenants, trop de discordances, trop de tiraillements, insiste le vice-président de la FNPI. «Un logement neuf est soumis à des droits de mutation auxquels s’ajoute la TVA. En revanche, un logement ancien est soumis à des droits de mutation sans TVA. Il y a discordance !», souligne-t-il.

Le gouvernement doit-il donc orienter ses efforts et ses objectifs vers la construction de plus de logements dédiés à ce programme ou maintenir ses aides directes aux primo acquéreurs ? «Je pense que ce programme a été mis en place pour faciliter l’accès à la propriété aux citoyens dans des situations financières difficiles, mais également pour la relance du secteur. Or la relance a du mal à se déclencher. Et ce n’est pas de la faute des promoteurs immobiliers», répond M. Benjelloun. En attendant cette relance, le flux migratoire depuis le monde rural vers les agglomérations continue de s’accélérer.

Selon Al Omrane, 3 millions de personnes supplémentaires se dirigeront vers les agglomérations à l’horizon 2030. «C’est une population dont le pouvoir d’achat est réduit et qu’il faudra loger. Les logements à 300.000 DH seront donc de plus en plus demandés. Or dans les conditions actuelles, il est difficile de réaliser ces logements dans les grandes agglomérations», estime M. Benjelloun. Pour y remédier, le vice-président de la FNPI appelle à une prise de conscience de tous les acteurs : ministère Intérieur, ministère de l’Économie et des finances, régies, Conservation foncière... et recommande la création d’une autorité supérieure qui mobiliserait tous les intervenants. La facilitation des procédures, elle, est un chantier qu’il n’est plus question de retarder selon notre invité.
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