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Changement climatique : voici les chantiers de Bank Al-Maghrib pour le verdissement de l’économie

Face à la montée des risques liés au changement climatique, le Maroc mobilise les écosystèmes institutionnel et bancaire afin d’en atténuer les impacts économiques et convertir les risques en opportunités. Le secteur bancaire est ainsi au cœur des chantiers mis en œuvre par Bank Al-Maghrib pour enclencher une véritable révolution verte. L’Institut d’émission travaille actuellement aux côtés du ministère des Finances sur l’élaboration d’une stratégie de financement de la lutte contre le changement climatique. Celle-ci devrait permettre d’évaluer le gap de financements verts et d’identifier les mesures et mécanismes permettant au secteur financier et aux institutions financières étrangères de massifier leurs contributions à la finance verte et climatique. La Banque planche également sur la préparation de nouvelles directives réglementaires. M. Jouahri, qui ne révèle toutefois pas l’horizon d’adoption de ces directives, assure que celles-ci viendront fournir aux banques des orientations sur les données à collecter et les indicateurs et métriques à mettre en place pour mesurer les risques climatiques émanant des grands emprunteurs et évaluer la part verte et durable de leurs portefeuilles.

La Banque mondiale estime que le pays pourrait viser la neutralité carbone d’ici 2050 en tirant pleinement parti de ses ressources abondantes et compétitives en énergies renouvelables et en mettant en œuvre son ambitieux programme de reboisement.
La Banque mondiale estime que le pays pourrait viser la neutralité carbone d’ici 2050 en tirant pleinement parti de ses ressources abondantes et compétitives en énergies renouvelables et en mettant en œuvre son ambitieux programme de reboisement.
La lutte contre le changement climatique et l’atténuation de ses impacts sur l’économie du Royaume requièrent la mobilisation de financements colossaux. Un défi de taille qui s’impose dans un contexte marqué au niveau mondial par des taux d’endettement public et privé très élevés et un amenuisement des marges budgétaires. L’affirmation est de Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, lors de l’ouverture d’une conférence sur les impacts macroéconomiques des changements climatiques, organisée à Rabat, le 2 février, en présence du directeur de la Banque centrale espagnole.



Selon M. Jouahri, qui se réfère à des estimations de la Banque mondiale, le Maroc devra mobiliser quelque 78 milliards de dollars d’investissements à l’horizon 2050 afin de pouvoir financer ses efforts de lutte contre le changement climatique et amorcer une réelle révolution verte. Le gouverneur de BAM affirme, par ailleurs, que la Banque travaille actuellement, aux côtés du ministère des Finances et des autres régulateurs financiers, pour l’élaboration d’une stratégie de financement de la lutte contre le changement climatique. Celle-ci devrait permettre d’évaluer le gap de financements verts et d’identifier les mesures et mécanismes à même de permettre au secteur financier national, ainsi qu’aux institutions financières étrangères, de massifier leurs contributions à la finance verte et climatique.



La stratégie en projet devra s’accompagner de l’adoption d’une taxonomie financière verte que M. Jouahri juge nécessaire pour canaliser les flux financiers et prévenir le «green washing». De même, l’Institut d’émission se penche actuellement sur la préparation de nouvelles directives réglementaires. M. Jouahri, qui ne révèle toutefois pas l’horizon d’adoption de ces directives, assure que celles-ci viendront fournir aux banques des orientations sur les données à collecter et les indicateurs et métriques à mettre en place pour mesurer les risques climatiques émanant des grands emprunteurs et évaluer la part verte et durable de leurs portefeuilles. Les futures directives visent également la transposition des normes internationales de transparence en matière de durabilité. Objectif, renforcer la discipline de marché au sein du secteur bancaire.

Sur le plan de la gestion de ses réserves de change, BAM affirme intégrer le principe de durabilité dans sa directive d’investissement, et ce en favorisant les placements à caractère durable et responsable. Le gouverneur rappelle que dès 2016, à l’occasion de la COP22 à Marrakech, BAM avait effectué un investissement de 100 millions de dollars dans des obligations vertes émises par la Banque mondiale. Et en 2023, le régulateur du secteur bancaire a réalisé un placement similaire d’un montant de 200 millions de dollars. Ses investissements dans des obligations vertes, sociales et durables représentent aujourd’hui 7% des réserves de change. Mais M. Jouahri ne compte pas en rester là. Selon lui, l’objectif à terme est d’atteindre une part de 10%.

L’action de la Banque centrale ne se confine pas uniquement à l’échelle locale. Selon M. Jouahri, BAM est consciente du fait que pour un défi mondial comme le changement climatique, des avancées concrètes ne peuvent être obtenues que dans un cadre global. C’est ainsi que la Banque participe activement aux travaux de nombreuses instances internationales telles que le NGFS, dont elle est membre du comité de pilotage, et renforce la coopération dans ce domaine avec les Banques centrales partenaires et les institutions internationales. L’objectif est toujours le même, affirme le patron de BAM : «Mieux comprendre pour mieux agir».

Financement de la transition verte : le secteur bancaire marocain, précurseur en Afrique

Le secteur bancaire est résolument engagé dans le développement de la finance verte et la décarbonation de l’économie nationale. C’est ce qu’affirme Mohamed Kettani, vice-président du Groupement professionnel des banques marocaines (GPBM) et PDG du groupe Attijariwafa bank (AWB), qui intervenait lors de la conférence. Pour preuve, M. Kettani assure que l’essentiel du parc énergétique renouvelable au Maroc a été financé en dirham. «Nous avons mené des consortiums bancaires pour financer les grands projets d’énergie renouvelable dans l’éolien et le solaire. Il faut savoir que dans l’énergie éolienne, le Maroc est en pole position, puisque nous sommes leaders du continent africain», fait valoir le patron d’AWB. En effet, détaille-t-il, le secteur bancaire a financé à ce jour plus de 2.000 MW dans différentes régions du Royaume.

À en croire le patron d’AWB, la préoccupation de la profession bancaire marocaine en termes de transition verte transcende les énergies renouvelables en générant des impacts positifs sur les territoires d’implantation des projets. «Tous les grands projets d’énergie renouvelable réalisés ont touché des territoires qui étaient relativement marginalisés dans le développement économique de notre pays», fait valoir le vice-président du GPBM. Selon lui, cette expérience a permis à trois groupes bancaires marocains, présents à l’international, d’enclencher une duplication du modèle de financement marocain dans les pays africains où ces banques opèrent. Le Royaume est devenu, par ailleurs, une plateforme pour les green bonds. Une activité qui s’ancre dans les pratiques du marché des capitaux et élargit de plus en plus son spectre.

Prenant sa casquette de patron d’AWB, M. Kettani revendique que son groupe a été la première banque commerciale en Afrique et la 7e au monde à être accréditée par le Green Climate Fund. Grâce à cette accréditation, la banque opère du coup entre ce Fonds et les gouvernements africains. «Car nous sommes devenus un point focal pour le Maroc et pour les pays africains ayant des projets dans la transition verte», souligne M. Kettani qui annonce au passage qu’AWB est en train de mettre œuvre un Fonds d’efficacité énergétique. Ce dernier, qui attend toujours le feu vert de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), viendra soutenir tous les efforts de transformation et de transition menés notamment par les PME qui, selon M. Kettani, n’ont pas les capacités requises pour engager des investissements dans la transition énergétique.

Le président d’AWB soutient, en outre, que certaines banques de la place ont déjà atteint un green asset ratio qui se situe dans la médiane des grandes banques européenne et qui a été vraiment une «belle surprise» pour la profession. «Ce ratio n’a pas été calculé par la banque que je représente, mais par AFC qui nous accompagne actuellement dans une mission d’évaluation et d’implémentation des outils et des normes nécessaires pour l’évaluation des risques climatiques», développe le patron d’AWB. Selon lui, le secteur bancaire est pleinement inscrit dans un mouvement de transformation. Ce dernier touche les stratégies des banques et leurs politiques respectives de risques, leurs stratégies commerciales, leurs organisations et leurs gouvernances. La preuve, assure M. Kettani, est que bon nombre de banques de la place se dotent aujourd’hui d’entités spécialisées dans la finance climatique, l’environnement et le développement durable. Selon lui, le défi pour la corporation bancaire, aujourd’hui, c’est d’accompagner ses clients, notamment les PME et les grandes entreprises familiale qui peinent à intégrer cette dimension si complexe de transition verte. Le secteur se mobilise également en s’alliant avec des experts pour faire un diagnostic et un plan d’action pour le compte de ses clients et complète cette démarche par des financements adaptés.

Risques de catastrophes : la couverture d’assurance insuffisante

C’est la Banque mondiale qui le confirme. Le Maroc s’est doté d’une architecture sophistiquée de gestion et de financement des risques de catastrophes. Une bonne démarche, certes, mais l’ampleur des investissements en matière de réduction des risques et la couverture d’assurance restent insuffisantes aux yeux de l’Institution de Bretton Woods. Rappelons que le pays a développé un système de gestion des risques de catastrophe (GRC), s’appuyant sur des dispositifs innovants, notamment le Fonds de lutte contre les effets des catastrophes naturelles (FLCN), initialement créé pour financer la reconstruction post-catastrophe, puis transformé en un mécanisme qui cofinance les investissements de réduction des risques de catastrophe et de préparation au niveau local. Le Maroc a également renforcé sa résilience financière face à ces risques (ou financement des risques de catastrophe-FRC) en mettant en place un régime mixte d’assurance contre les risques catastrophiques qui fait intervenir des assureurs privés et un Fonds de solidarité contre les événements catastrophiques (FSEC). Problème : la protection offerte actuellement par ces mécanismes demeure insuffisante.

Concrètement, les simulations quantitatives menées par la Banque mondiale concluent qu’un niveau optimal d’investissements dans la GRC permettrait de couvrir l’équivalent de 15 à 20% des pertes moyennes annuelles (PMA), soit un montant annuel d’investissement moyen entre 67 et 90 millions de dollars. Ces simulations soulignent également qu’il est essentiel de renforcer le système de FRC pour faire face aux événements climatiques extrêmes. En outre, étant donné leurs rendements élevés, les investissements non structurels, comme les systèmes d’alerte précoce, les solutions basées sur la nature, la connaissance des risques et du climat et la sensibilisation, devraient être plus systématiquement intégrés dans l’approche GRC. Sur le plan institutionnel, l’Institution internationale suggère que le Maroc devrait continuer à renforcer la coordination intersectorielle et territoriale pour accroître l’efficacité du système de GRC.

Décarbonation de l’économie : les ressources en ENR, une donnée encourageante

Le Maroc peut progressivement décarboner son économie en mettant à profit ses ressources renouvelables. En effet, la Banque mondiale estime que le pays pourrait viser la neutralité carbone d’ici 2050 en tirant pleinement parti de ses ressources abondantes et compétitives en énergies renouvelables et en mettant en œuvre son ambitieux programme de reboisement. Décarboner l´économie nationale pourrait aussi contribuer, selon la Banque, à renforcer son indépendance énergétique et réduire le coût moyen de production de l’électricité. Le secteur de l’électricité est la pierre angulaire de la stratégie de décarbonation : d’abord parce qu’il est le principal émetteur de gaz à effet de serre (GES), mais aussi parce qu’il permet de soutenir la décarbonation de secteurs qui sont également de gros émetteurs comme le transport routier et l’industrie. Bien que le Royaume ne pèse que 0,2% dans les émissions mondiales de GES, l’intensité carbone de son secteur de l´électricité reste élevée.

La décarbonation du secteur électrique nécessiterait, selon les experts de la Banque, la fermeture progressive des centrales au charbon au fur à mesure du déploiement des énergies renouvelables et des technologies de stockage de l’énergie, tout en recourant au gaz naturel comme combustible de transition. Pour passer de la dépendance à l’égard des grandes centrales thermiques à des centrales solaires et éoliennes plus dispersées et pour assurer la stabilité du réseau, d’importants investissements dans le réseau de transport et transmission électriques seront nécessaires.

À moyen et à long terme, le Maroc pourrait ainsi développer la production à grande échelle d’hydrogène vert et de ses dérivés, qui pourraient être utilisés sur le territoire national pour la production d’engrais verts, les transports et la production d’électricité, pour remplacer le gaz naturel, mais aussi exportés vers l’UE par exemple. En tant que cinquième exportateur d´engrais, le Maroc a déjà pris des mesures décisives pour réduire l´empreinte de son industrie du phosphate, qui consomme beaucoup d´énergie et d´eau.

En outre, souligne la Banque mondiale, les efforts doivent être poursuivis pour améliorer l’efficacité énergétique dans tous les secteurs. L’investissement dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique conformément aux objectifs fixés par le gouvernement pour 2030 pourrait permettre de créer environ 28.000 emplois nets par an, soit 9% du déficit annuel d’emplois (estimé à 300.000). Pour atteindre ces objectifs, des aménagements dans l’enseignement supérieur et la formation professionnelle devront être mis en place pour préparer la main-d’œuvre à ces nouveaux emplois. Des investissements massifs seront tout aussi importants et déterminants pour décarboner l’économie, ainsi que des réformes profondes. Selon les calculs de la Banque, le coût associé à la décarbonation de l’économie d´ici 2050 est estimé à 52,8 milliards en valeur actualisée nette.

85% des investissements nécessaires à la décarbonation doivent être couverts par le privé

La Banque mondiale estime que plus de 85% des investissements nécessaires pour décarboner l’économie devraient être couverts par le secteur privé. Toutefois, ces investissements privés ne se concrétiseront que si de profondes réformes sont menées, notamment dans le secteur de l’électricité. Ces réformes devraient notamment porter sur la séparation des activités de production, transport et distribution d’électricité, la création de marchés de gros et d’équilibrage, la mise en place d’une tarification pour l’accès au réseau et la consommation qui reflète pleinement les coûts, et une intégration accrue du marché avec l’Union européenne. Des politiques et des incitations devraient également être mises en place pour développer la mobilité électrique (e-mobilité) et l’hydrogène vert.

La décarbonation pourrait avoir d’importantes retombées positives sur l’économie du Royaume. Pour les experts de Bretton Woods, le pays est particulièrement bien placé pour profiter des avantages économiques qui pourraient découler de la tendance globale à la décarbonation. Son économie est étroitement intégrée à l’Union européenne, l’un des blocs régionaux ayant adopté des objectifs ambitieux en termes d’action climatique. De fait, la décarbonation représente pour l’industrie marocaine une opportunité de maintenir, voire d’accroître sa part de marché en Europe. Elle augmenterait également l’attractivité du Royaume pour les investissements directs étrangers et pourrait faire du Maroc un pôle, un «hub» pour les investissements et les exportations vertes, avec des retombées positives pour la croissance économique et la création d’emplois.
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