Menu
Search
Vendredi 04 Octobre 2024
S'abonner
close
Vendredi 04 Octobre 2024
Menu
Search
lock image Réservé aux abonnés

Décollage de l’écosystème startups : que donne le modèle du Maroc ?

Le Maroc a bien démarré sa stratégie pour bâtir un écosystème de startups fort et compétitif, mais il y a encore du chemin à faire. Si le modèle d’accompagnement et de financement s’améliore au fil des années, les professionnels déplorent un engagement timide du secteur privé. Reste également le point du cadre juridique à revoir. Décryptage.

No Image
L’appui aux startups dans le domaine du digital est l’un des chantiers enclenchés en parallèle de la stratégie «Maroc Digital 2030». La ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la réforme de l’administration avait dans ce sens mis en évidence les efforts consentis pour promouvoir ces startups. De nombreuses initiatives sont ainsi engagées par le ministère pour l’accompagnement de ces startups. Ghita Mezzour vient ainsi de signer une convention-cadre avec la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) pour la structuration et la mise en œuvre d’une offre d’accompagnement et de financement destinée aux startups marocaines.

Cette convention-cadre comprend nombre de mesures, dont la «Bourse de vie» qui constitue un soutien aux porteurs d’idées expérimentés pour se lancer dans l’entrepreneuriat en plus de l’octroi du label «Jeune entreprise innovante» qui permet à ces startups de bénéficier d’une dotation plafonnée en devises étrangères de 1 million de dirhams en vue de les aider à traiter avec leurs partenaires à l’étranger.

En termes d’infrastructure, il y a eu le lancement du «Technopark Essaouira», qui offre des espaces de travail adaptés à 70 startups de la région. Il s’agit du cinquième site «Technopark» dans le Royaume qui a pu accompagner plus de 3.000 startups et créer plus de 15.000 opportunités d’emplois directs et indirects. L’objectif est de renforcer l’implantation de la société «Technopark» dans au moins une dizaine de villes marocaines d’ici 2026.

Avec ces avancées, il reste quelques leviers à actionner comme le cadre juridique. En effet, il est nécessaire, aujourd’hui, de revoir le cadre juridique des startups et d’améliorer leur niveau de suivi, en travaillant avec différents incubateurs marocains et en faisant appel à des incubateurs étrangers à valeur ajoutée, et en portant assistance à ces entreprises pour accéder aux marchés nationaux et internationaux et de leur offrir un financement complet, dans les différentes étapes de leur activité.

Levée de fonds, le Maroc fait des progrès

En 2023, les jeunes entrepreneurs marocains ont réussi à capter 17 millions de dollars, soit 0,5%, des financements accordés en Afrique. Le Maroc reste loin derrière le Kenya, l’Égypte, l’Afrique du Sud et le Nigeria, qui accaparent 87% des levées de fonds sur le continent. D’autres pays comme le Bénin (71 millions de dollars), la République démocratique du Congo (62 millions), le Ghana (57 millions), le Sénégal (44 millions), ou encore le Rwanda (44 millions), devancent aussi le Royaume. Les startups tunisiennes elles n’ont réussi à lever que 4 millions de dollars. Ces chiffres révélés par le site spécialisé «Africa: The Big Deal» qui surveille au quotidien les levées de fonds à travers le continent, a suscité moult réactions du microcosme des startups au Maroc à travers les réseaux sociaux.

Entretien avec la dirigeante et partner d’Inskip Entrepreneurs Maroc

Kenza Boughaleb : «Dans cet écosystème qui se structure, les Business Angels sont un maillon essentiel pour le financement et l’accompagnement des startups»



Le Matin : Comment évaluez-vous l’écosystème entrepreneurial national ?

Kenza Boughaleb :
Aujourd’hui, l’écosystème startups n’a pas bonne presse. On parle de retard, de stagnation, de manque de dynamisme, d’absence de capitaux. Je pense que c’est un narratif qui est quand même très négatif et pessimiste. Il faut quand même remettre en perspective cet écosystème entrepreneurial avec son niveau de maturité et de développement. C’est un écosystème qui est naissant. C’est un écosystème qui a 5 ans, 10 ans maximum. Certains pourraient dire que dix ans c’est beaucoup, mais à l’échelle nationale, c’est un écosystème qui est en cours de structuration. Et donc, il faut aussi lui laisser le temps de se structurer. Il y a beaucoup de choses qui ont été faites, des briques qui ont été posées, que ce soit au niveau des structures d’accompagnement, ou au niveau des acteurs du financement capital risque, etc.

Aujourd’hui, quand on parle de la scène tech marocaine, on a des startups marocaines qui sont des champions nationaux et qui sont à l’international. On a des startups marocaines qui participent à de grands programmes prestigieux. On a des entrepreneurs de la diaspora marocaine qui viennent chercher des capitaux au Maroc. On a des entrepreneurs de la diaspora marocaine qui viennent s’impliquer dans cet écosystème-là. Je pense qu’il y a un vrai enjeu à opérer entre une transition et un changement de discours.

Les startups marocaines peinent toujours à réaliser d’importantes levées de fonds. Qu’en pensez-vous ?

Le dernier rapport par tech laisse le Maroc en cinquième position derrière les big four, qui sont le Kenya, le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte. Avec un gros décalage, certes, mais une avancée. Il y a 5 ans, le Maroc était à la 35e position derrière le Mozambique, le Togo, etc. Donc, il y a eu un vrai jump là-dessus. Mais reste que d’un point de vue quantitatif, on n’y est pas encore. Il y a effectivement des éléments structurels de l’écosystème qui aujourd’hui sont encore défaillants et qui ont besoin d’être améliorés et réellement consolidés : l’accompagnement, l’accès au financement, le rôle des corporates, etc. Mais néanmoins, moi, en tant que représentante de cette nouvelle génération, qui rentre aujourd’hui au Maroc et veut s’impliquer, je pense qu’on a un vrai enjeu à changer de narratif. Il ne faut pas que ce soit optimiste, candide, mais plutôt positif, réaliste et factuel.

Le Maroc a pourtant pris le lead en déclinant une stratégie du digital bien avant de nombreux pays africains. Est-ce que cette avancée ne permet-elle pas de booster l’écosystème entrepreneurial ?

Avant de répondre, je souhaite reprendre un triptyque qui désigne l’écosystème startups, à savoir l’accompagnement, le financement et le réglementaire. Sur le volet accompagnement, aujourd’hui, on a des structures d’accompagnement. Leur souci, c’est qu’elles sont de qualité inégale et de niveaux de compétences qui sont inégaux. Ce sont des structures qui, comme dans beaucoup d’autres pays, n’ont toujours pas trouvé leur business model et fonctionnent avec du financement public. La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui, quand on revient à cette stratégie du ministère de la Transition numérique ou même au dispositif lancé par «Tamwilcom», il y a une vraie ambition de donner à ces structures d’accompagnement du financement pour qu’elles accompagnent et du financement pour qu’elles le distribuent : des subventions, des prêts d’honneur, des bourses de vie, etc.

Avoir le financement public est une chose normale, mais ce n’est pas suffisant. Dans un écosystème, comme je le disais, qui s’amorce et qui se structure, c’est tout à fait normal que l’État endosse le rôle d’amorçage de la pompe. C’est normal que l’État mette de l’argent dans la machine, dans les structures d’accompagnement pour pouvoir amorcer ça. Néanmoins, là où il faudra être vigilant, et c’est pour ça que je pense qu’on est vraiment à un point d’inflexion et que la transformation de cet essai va se faire dans les deux années à venir, et on saura si effectivement il y a eu un succès ou pas, c’est qu’il faut très rapidement arriver à mobiliser les capitaux privés. L’argent public est là pour dé-risquer l’investissement privé. Les capitaux privés doivent venir en complément de l’argent public dans des tickets d’investissement.

Comment peut-on encourager le secteur privé à investir dans les startups ?

Il existe des exemples de startups qui ont réussi à décoller et qui peuvent inciter les capitaux privés à s’engager. Ces success-stories sont limitées, mais elles existent. On a Inyad, une fintech qui a réussi à lever au Maroc, puis ensuite aller s’internationaliser et lever des fonds internationaux, Partech Afrique et d’autres. Aujourd’hui, elle est déployée dans 40 pays en Afrique. Il y a également Kifal Auto, une startup marocaine rachetée par un groupe africain. Aujourd’hui, le financement public est là, mais l’enjeu reste lié aux modalités d’accès et de distribution de ces prêts et de ces subventions. On note notamment des délais longs pour l’attribution de ces prêts, des modalités administratives complexes. Donc aujourd’hui, l’enjeu est de faciliter et de fluidifier la distribution de ces produits financiers.

Est-ce qu’il serait plus efficace, sur le court et moyen terme, de renforcer l’accès à la commande publique ?

C’est un élément important. Il y a d’ailleurs des choses qui sont en train d’être faites au niveau du décret des marchés publics pour faciliter notamment et permettre aux startups d’être éligibles aux critères d’attribution de ces marchés. Je pense que, comme vu dans d’autres écosystèmes, le vrai point névralgique de la croissance et de la création de valeur par les startups, c’est les corporate. Aujourd’hui, le secteur privé doit arrêter de traiter la startup comme un élément de communication et de branding ! Donc aujourd’hui les grandes entreprises doivent apprendre à collaborer avec des startups sur des sujets business, à les faire travailler sur des vrais cas d’usage métier, à les intégrer dans les rouages et dans ce qui est stratégique pour eux. Cet exercice permettra ainsi de transformer la startup de la dimension de petit acteur qui est en train d’essayer d’innover à un actif stratégique qui va être au service du développement d’un groupe qui sert lui-même les enjeux de développement du pays. Il n’y a qu’à voir les exemples réalisés par de grands groupes dans le monde qui ont tiré de la valeur en collaborant et en investissant dans des startups. Donc, à mon avis, il n’y a pas grand-chose à démontrer, si ce n’est qu’il faut le faire et il faut que ce soit une décision stratégique qui repositionne la startup et les budgets qui sont alloués, non pas au niveau de départements marketing comme RSE, mais au niveau de départements cœur business, data, stratégie, growth, etc.



Quels sont les leviers à actionner pour encourager le secteur privé à booster l’écosystème entrepreneurial ?

Aujourd’hui, sur le sujet réglementaire de l’écosystème startups, il y a un premier point qui est critique et dont l’ensemble des acteurs est conscient. Il s’agit de la définition de cette startup. De quoi est-ce qu’on parle juridiquement parlant ? Alors, la définition n’est pas simple, mais c’est un exercice à mener. Ce statut-là ou ce label est un premier déterminant sur lequel demain vont venir se greffer de nombreuses incitations fiscales, réglementaire en faveur des startups.

Pour revenir à la question des investisseurs privés, certes, il y a un maillon qui est critique dans cet écosystème qui n’est pas dressée, c’est celui des Business Angels. Dans des écosystèmes qui se structurent, ces Business Angels sont un maillon essentiel pour le financement et l’accompagnement qui sont les deux volets les prioritaires. Un Business Angel apporte de l’argent notamment en amorçage, mais il apporte aussi ce qu’on appelle du smart money, de l’accompagnement et de l’expertise. C’est un entrepreneur donc il sait comment accompagner. Aujourd’hui d’ailleurs, dans des écosystèmes plus développés, ce sont les Business Angels qui ont permis de convertir, voire de ne pas mourir. Au Maroc aujourd’hui, il n’y a rien qui permet aux Business Angels, en tant que mécanisme incitatif, d’investir dans la startup.

Pour capter les investisseurs, il faut insister sur les points suivants : les mécanismes et instruments d’investissement classiques qui sont plus entrepreneur-friendly. Aujourd’hui, on ne dispose pas encore de ce mécanisme d’investissement au Maroc, du coup, ça crée une lourdeur dans les processus d’investissement qui peuvent être dissuasifs. Le deuxième point, c’est le forward ou les opportunités d’exit. Un Business Angel, quand il met de l’argent, il y a quand même un enjeu de profitabilité, alors que les perspectives d’exit pour un Business Angel restent très limitées.

En somme, l’écosystème startups a besoin d’actionner de nombreux leviers et en simultanée ?

C’est multifactoriel, et je pense que c’est la complexité aussi de cet écosystème-là. Il faut à la fois adresser les sujets de l’accompagnement, des structures du financement du public, la mobilisation des capitaux privés, le réglementaire et l’incitatif, le financement. Donc, il y a beaucoup de petites briques à poser et à consolider. Il ne faut pas non plus arriver avec un discours qui est trop négatif ni trop pessimiste, parce qu’il y a beaucoup de choses qui sont faites. Si je prends l’exemple du financement via le Fonds Innov’Invest1, il faut reconnaitre qu’il a eu le mérite d’amorcer du financement non dilutif. Certes, c’était compliqué d’avoir ces subventions et ces prêts, mais ça a le mérite de distribuer et de permettre à des entrepreneurs de se lancer. Le dispositif InnoVinvest a également permis à d’autres acteurs, le 212 Founders, UM6P (Université Mohammed VI Polytechnique) Venture ou Itamax, de faire des investissements et de faire briller des startups.

Quel est l’impact de cet écosystème sur l’économie nationale ?

En termes de productivité, l’impact reste limité, parce que les startups ne sont pas forcément présentes dans les secteurs industriels. En revanche, en termes de compétitivité, aujourd’hui, le Maroc est quand même en train de se positionner comme un acteur de référence dans deux secteurs : la Medtech et l’Agritech, avec notamment le sujet de l’IA qui vient renforcer ces filières d’excellence et ces secteurs de compétitivité à l’échelle du continent. Les exemples dans le secteur médical sont très éloquents et ont réussi grâce à des solutions innovantes 100% marocaines.

En sommes, je suis convaincue que le Maroc est un pays d’entrepreneurs et un pays de personnes qui comprennent la tech et qui investissent dans la tech. Et donc, cette compétence-là fait que sur des secteurs comme la médecine et l’agriculture, on arrive à avoir de vraies pépites locales.
Lisez nos e-Papers
Nous utilisons des cookies pour nous assurer que vous bénéficiez de la meilleure expérience sur notre site. En continuant, vous acceptez notre utilisation des cookies.